Mécanismes d’adaptation autonome pour la radio cognitive

Conception statistique d’un système radio

La proposition d’un nouveau service (ou l’amélioration d’un service existant) résulte souvent d’un besoin mis en avant par la stratégie ou le marketing en fonction des progrès technologiques et de l’évolution du marché. L’expression du besoin reste encore fonctionnelle (e.g. pouvoir accéder à sa messagerie personnelle en situation de mobilité) ce qui laisse place à un grand nombre de solutions potentielles. La phase d’analyse transforme la description fonctionnelle du besoin en une série de spécifications techniques guidant le concepteur dans sa recherche d’une solution adaptée. Les ingénieurs système s’accordent sur un ensemble d’indicateurs de performance (e.g. taux d’erreurs binaires, débit, latence) et définissent des valeurs cibles garantes du service demandé. Le système  doit pouvoir maintenir cette qualité de service pour la majorité des situations rencontrées par le futur utilisateur. Or la fiabilité du lien radio varie grandement en fonction du temps et du lieu. Ce problème est géré traditionnellement en définissant un pire cas d’utilisation représentant les plus mauvaises conditions de propagation supportées par la norme. C’est pour ce pire cas que les contraintes de performance s’appliquent.
En plus de cet objectif d’efficacité, les solutions techniques développées doivent aussi respecter des contraintes de faisabilité ce qui limite encore plus le domaine d’action des concepteurs. Pour un système radio, il est nécessaire de tenir compte de deux facteurs. D’une part, la solution n’a d’intérêt que si elle peut être réalisée physiquement. Les concepteurs sont donc dépendants des progrès technologiques. D’autre part, le spectre radio-fréquence est une ressource limitée à partager entre les services et les utilisateurs. Cette contrainte de coexistence justifie la mise en place d’un cadre de régulation pour contrôler les interférences.
Au-delà de ces spécifications techniques, le système doit être conçu dans un souci d’optimisation afin d’améliorer la qualité de service (e.g. réduire la consommation d’énergie des équipements portables) tout en maximisant les profits (e.g. diminuer les coûts opérationnels et matériels, augmenter la capacité du réseau).

Vers une adaptation dynamique autonome

Une radio consomme des ressources lorsqu’elle communique. Certaines ressources sont personnelles (e.g. énergie) alors que d’autres sont partagées entre tous les utilisateurs (e.g. spectre radio). Les objectifs/contraintes de conception ne cessent d’augmenter avec la popularité croissante des communications sans fils et les exigences toujours plus grandes de qualité de service (QoS : Quality of Service). Il est donc nécessaire d’assurer une gestion toujours plus efficace des ressources disponibles. Cet objectif d’optimisation peut être atteint en suivant deux approches différentes mais complémentaires.
La première approche consiste à développer de nouvelles techniques pour transmettre l’information plus rapidement avec une plus grande fiabilité (e.g. modulations avancées, principe turbo, traitements multi-antennes). Cette approche a longtemps été privilégiée.
La seconde approche passe par le développement d’équipements plus flexibles. Les concepteurs du système disposent alors d’un certain nombre de paramètres que l’équipement peut modifier en ligne pour s’adapter à son environnement. Les variations de l’environnement ne sont donc plus considérées comme un handicap mais comme une opportunité d’optimiser l’usage des ressources en fonction de la difficulté de la situation. La radio peut ainsi profiter de conditions favorables pour diminuer sa consommation d’énergie, réduire son empreinte spectrale (et ainsi augmenter la capacité du réseau) et/ou améliorer la QoS délivrée à l’utilisateur. Cette approche est susceptible de limiter énormément le gaspillage de ressource. Son intérêt n’est donc pas nouveau. Les systèmes de communication de seconde génération (e.g. GSM) peuvent déjà adapter leurs opérations aux conditions de propagation. Le contrôle de puissance à l’émission permet de garantir une fiabilité minimum du lien radio tout en réduisant les interférences générées. En réception, les performances du système sont optimisées à l’aide d’algorithmes adaptatifs capables d’ajuster leur complexité en fonction des variations du canal (e.g. égaliseur MLSE pour la norme GSM). L’adaptation reste cependant encore limitée.
L’adaptation passe à un niveau supérieur avec l’arrivée d’architectures matérielles plus flexibles. Pour atteindre des débits toujours plus élevés, les radios peuvent désormais ajuster leur schéma de modulation et de codage en fonction des informations remontées par le récepteur sur la qualité du canal (e.g. 802.11, GPRS, EDGE, HSDPA). Les réseaux de troisième génération gagnent aussi en flexibilité et peuvent allouer dynamiquement les ressources en fonction de leur charge. La norme HSDPA permet ainsi d’affecter jusqu’à 15 codes à un utilisateur afin d’augmenter le débit de la communication.

Concept et champs d’application de la radio cognitive

La radio cognitive est un concept technologique poussant vers une adaptation totale et autonome des équipements vis-à-vis de leur contexte opérationnel. Une radio cognitive s’appuie sur une observation intelligente de son environnement pour adopter la meilleure ligne de conduite en toutes circonstances à l’aide d’actions réactives et proactives. Elle prend ses décisions dans le meilleur intérêt de l’utilisateur et du réseau et elle apprend de ses expériences pour toujours améliorer ses performances. La radio passe ainsi d’un simple exécuteur aveugle de protocoles prédéfinis à un agent intelligent, sensible au domaine radio et autonome.
La radio cognitive a attiré une grande attention depuis son introduction en 1999 par Mitola . La vision de Mitola projette le concept loin dans l’avenir en considérant le terminal radio comme un assistant personnel capable d’anticiper les besoins de l’utilisateur pour y répondre de la meilleure façon. Cette vision futuriste a depuis laissé place à des visions plus technologiques permettant une meilleure organisation des efforts de recherche sur le sujet. Nous noterons cependant qu’il aura fallu un certain temps à la communauté pour se mettre d’accord sur la définition et les propriétés attendues d’une radio cognitive. Encore maintenant, il est préférable de raisonner en termes de degrés de cognition pour distinguer les solutions proposées en fonction de leurs capacités intrinsèques .
La radio cognitive reste un sujet de recherche très vaste, stratégique pour tout acteur travaillant dans le domaine des télécommunications. Le concept de radio intelligente a donné naissance à un grand nombre d’applications particulièrement prometteuses comme par exemple :
L’accès opportuniste au spectre : Maximiser l’efficacité spectrale par une allocation dynamique des fréquences et une gestion efficace des interférences (reçues et émises) dans le respect du cadre de régulation.
La conception cognitive du lien radio : Optimiser les performances du système radio en sélectionnant les blocs de traitement du signal les plus appropriés.
La sélection de la meilleure technologie d’accès radio : Identifier le réseau d’accès répondant au mieux aux besoins de l’utilisateur pour un coût aussi faible que possible.
L’adaptation de la topologie d’un réseau : Augmenter la couverture et la capacité d’un réseau par une coopération entre les radios.

Organisation interne d’une radio cognitive

Le comportement intelligent d’une radio est dû à l’introduction d’un moteur cognitif structurant les opérations de modélisation, de prise de décision et d’apprentissage nécessaires au contrôle dynamique du processus de reconfiguration. Le système de communication alimente le moteur cognitif avec les informations qu’il récupère sur son contexte opérationnel (e.g. mesures sur l’environnement radio, indicateurs de performance, politiques diffusées, niveau de batterie restant). Le moteur cognitif analyse les exigences de l’utilisateur et de l’opérateur, les régimes de régulation ainsi que le lien physique afin d’identifier les objectifs de conception et les contraintes applicables. Il se base ensuite sur cette compréhension du contexte pour adapter les paramètres de la pile protocolaire du système de communication.
Le cadre de régulation est défini à l’aide de politiques mémorisant les contraintes d’accès au spectre dans un langage compréhensible par la machine. Les politiques sont diffusées localement et les contraintes peuvent évoluer en fonction du temps et du lieu. La radio doit respecter en permanence le cadre de régulation. Elle dispose pour cela d’un moteur d’inférence (policy engine) capable de bloquer toute solution violant les règles de régulation locales. Le moteur d’inférence est un composant cognitif appliquant un raisonnement déductif à partir d’informations exprimées dans un langage machine standardisé. Les capacités d’inférence du moteur peuvent être mises à profit pour d’autres activités. Par exemple, le moteur cognitif peut faire appel à lui pour analyser les possibilités de reconfiguration des objets communicants, pour identifier les objectifs opérationnels, voire pour proposer une stratégie de communication adaptée. Le moteur d’inférence sera exploité plus ou moins intensément en fonction de l’approche cognitive adoptée. Ce composant est néanmoins obligatoire ne serait-ce que pour garantir la légalité des propositions du moteur cognitif vis-à-vis du cadre de régulation.

Conception d’un moteur cognitif

Le moteur cognitif exploite les possibilités de reconfiguration du terminal pour répondre au problème de conception posé par son contexte opérationnel. Il recherche une solution au problème dans son espace de conception délimité par les caractéristiques architecturales de l’équipement reconfigurable (e.g. schémas de modulation et de codage disponibles, puissance maximale de l’amplificateur, portions du spectre accessibles). Il est guidé dans son exploration par un ensemble d’objectifs opérationnels définis sur un espace appelé espace des objectifs. Cet espace a été particulièrement bien étudié et théorisé par Rondeau dans sa thèse . Le problème de décision y est décrit comme un problème d’optimisation multi-objectifs impliquant les objectifs suivants : Minimiser le taux d’erreurs binaires, Maximiser le rapport signal/interférence plus bruit (i.e. éviter les interférences), Maximiser le débit d’information (throughput), Maximiser le débit de transmission (data rate), Minimiser le délai de communication et ses fluctuations (jitter), Minimiser la complexité algorithmique des traitements appliqués, Minimiser la puissance consommée, Minimiser les interférences générées, Maximiser la bande spectrale occupée, Maximiser l’efficacité spectrale. Ces objectifs interagissent fortement, souvent de manière conflictuelle . Par exemple, pour minimiser le taux d’erreurs binaires, il est préférable de transmettre les informations à une puissance d’émission élevée afin d’améliorer le rapport signal sur bruit (SNR ou Signal-to-Noise Ratio) à la réception. Cette action a cependant un impact négatif sur la consommation énergétique. De plus, elle s’oppose aux objectifs de coexistence, l’énergie rayonnée augmentant le niveau d’interférences moyen pour la région spectrale considérée. Au lieu d’augmenter la puissance d’émission, le moteur cognitif peut aussi choisir une modulation plus robuste mais cela affectera le débit de la communication dans ce cas. Nous voyons à la lumière de ces exemples simples qu’il n’existe pas de solution unique mais une multitude de solutions en compétition. Chaque solution représente un compromis plus ou moins intéressant vis-à-vis des objectifs opérationnels.
Pour choisir la meilleure solution possible, le moteur cognitif a besoin d’organiser ses actions en deux phases essentielles. Nous présentons ces deux phases dans un premier temps puis nous résumons la mission du moteur cognitif à l’aide d’un schéma récapitulatif.

Table des matières

Chapitre 1 Introduction
1.1 Contexte 
1.1.1 Conception statistique d’un système radio
1.1.2 Vers une adaptation dynamique autonome
1.1.3 Concept et champs d’application de la radio cognitive
1.2 Objectifs de la thèse 
1.3 Organisation du document
Chapitre 2 Intelligence artificielle appliquée aux télécommunications
2.1 Introduction d’un cycle cognitif dans une radio flexible 
2.2 Conception d’un système de communication cognitif
2.2.1 Contexte opérationnel d’une radio
2.2.2 Organisation interne d’une radio cognitive
2.2.3 Axes de recherche
2.3 Conception d’un moteur cognitif 
2.3.1 Détermination du problème de conception
2.3.2 Résolution du problème de conception
2.3.3 Synoptique d’un moteur cognitif
2.4 Approches cognitives existantes
2.4.1 Approche experte
2.4.2 Approche exploratoire
2.4.3 Approche prédictive
2.5 Approche adoptée dans nos travaux 
Chapitre 3 Démarche de conception du moteur cognitif
3.1 Scénario considéré pour l’évaluation du moteur cognitif
3.2 Modélisation du problème de prise de décision autonome 
3.2.1 Hiérarchisation des objectifs et étapes de résolution du problème
3.2.2 Introduction de relations d’ordre entre les alternatives
3.2.3 Formalisation de la prise de décision comme un problème de classification
3.2.4 Avantages du modèle proposé
3.3 Codification de l’expertise 
3.4 Cadre d’apprentissage 
3.4.1 Discussion sur les différentes formes d’apprentissage
3.4.2 Buts de l’apprentissage
3.5 Techniques d’intelligence artificielle choisies
3.5.1 Pour la prédiction des performances
3.5.2 Pour la gestion du dilemme exploration/exploitation
3.5.3 Pour la sélection de la configuration la plus adaptée
Chapitre 4 Mécanismes cognitifs pour la prise de décision autonome dans un espace de conception totalement ordonné
4.1 Organisation structurelle du moteur cognitif 
4.2 Description des mécanismes cognitifs 
4.2.1 Processus d’analyse prédictive
4.2.2 Processus de décision
4.2.3 Processus d’expérimentation
4.2.4 Processus d’apprentissage
4.2.5 Algorithme de supervision
4.3 Evaluation du moteur cognitif 
4.3.1 Présentation des indicateurs de performance
4.3.2 Présentation des radios de référence
4.3.3 Résultats
Chapitre 5 Mécanismes cognitifs pour la prise de décision autonome dans un espace de conception partiellement ordonné
5.1 Organisation structurelle du moteur cognitif généralisé 
5.2 Extension des mécanismes cognitifs 
5.2.1 Processus d’analyse prédictive
5.2.2 Processus d’expérimentation
5.2.3 Processus d’apprentissage
5.2.4 Algorithme de supervision
5.3 Evaluation du moteur cognitif 
5.3.1 Présentation d’indicateurs de performance supplémentaires
5.3.2 Résultats
Chapitre 6 Moteur cognitif complet fondé sur les concepts proposés
6.1 Améliorations du moteur à l’aide de mécanismes cognitifs avancés
6.1.1 Améliorations par des techniques existantes
6.1.2 Mécanismes proposés pour des améliorations supplémentaires
6.2 Gestion d’un environnement dynamique 
6.2.1 Organisation structurelle du moteur cognitif
6.2.2 Organisation fonctionnelle du moteur cognitif
6.3 Gestion d’un espace de conception à complexité accrue 
6.3.1 Prise en compte de plusieurs contraintes de performance simultanées
6.3.2 Augmentation de la flexibilité des équipements
6.4 Application des concepts à l’accès opportuniste au spectre 
Chapitre 7 Conclusion et perspectives
7.1 Bilan des travaux réalisés 
7.2 Contributions 
Annexe A Modélisation analytique du système de communication reconfigurable
Annexe B Compléments d’information sur les mécanismes cognitifs
B.1 Processus d’expérimentation généralisé 
B.2 Résultats supplémentaires 
Glossaire 
Références bibliographiques

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