Michel vinaver : une ecriture particuliere

Deux interprétations de 11 septembre 2001 : une ouverture abrupte

Analyse Comme mentionné au point 3.2, le début de cette pièce est « abrupte ». Cette entrée in medias res laisse une grande liberté au metteur en scène. L’absence de didascalie, la pluralité des lieux ainsi que des personnages confirment l’immensité du champ exploré. Attardons nous sur l’interprétation deM Jean-François Demeyère : un plateau sombre et nu, une lumière forte concentrée sur les comédiens qui se tiennent debout, chacun avec un micro sur pied, vêtus de manière ordinaire, quotidienne. Des feuilles de papier et dossiers jonchent le sol ; on distingue quelques câbles. Au fond, on voit un certain nombre d’appareils qui font penser à des pupitres de contrôle, des claviers ; on voit également une échelle contre un mur, élément de verticalité qui suggère peut-être la fuite impossible. On remarque d’emblée que ce dispositif efface en partie l’illusion théâtrale par la simplicité du décor et des costumes. La scène restitue l’effet ressenti à la lecture de la pièce : c’est comme si des « personnes » et non des personnages venaient face au public pour témoigner. Les dossiers, feuilles de papier et câbles au sol se réfèrent aux bureaux du World Trade Center. Le désordre évoque la destruction.

L’environnement sonore composé d’extraits audio tirés de la réalité est particulièrement intéressant : il restitue la force tragique du texte, renforcée ici par le travail particulier effectué sur les sons. Là encore, le metteur en scène a cherché à être le plus près possible du réel restituant fidèlement la volonté de l’auteur qui voulait, par cette oeuvre, «fixer l’événement»16. Des bruits d’avions, d’enregistrements et de transmissions radio sont intégrés à la bande son ; les voix des acteurs sont parfois traitées comme s’ils parlaient au téléphone ou depuis une tour de contrôle. L’effet de réel est saisissant et se trouve renforcé par la reprise de répliques dans les deux langues, d’abord en américain puis en français ; on a ainsi l’impression d’être plongé dans un reportage avec traduction simultanée. Certaines prises de parole ne sont pas traduites, tel que « Oh my God oh my God » ou encore « Are you guys ready ? / Let’s roll » afin d’accentuer l’émotion des personnages, comme si ces derniers mots ne pouvaient trouver toute leur force que dans leur langue originelle, les traduire ne servirait qu’à perdre le sens même du dire. Contrairement à la volonté de l’auteur, les acteurs n’identifient pas les personnages qu’ils sont en train d’interpréter. De ce fait, le metteur en scène occulte l’aspect théâtral et calque ainsi sa mise en scène sur la réalité.

Yan Walther offre quant à lui une tout autre réalisation. Un seul comédien assure le spectacle contre six chez Demeyère. Ce dernier assignait plusieurs rôles à chacun de ces acteurs. Yan Walther crée un nouveau rôle chargé d’articuler les vingt-six personnages. Il s’agit d’une personne obnubilée par les attentats du 11 septembre qui rejoue indéfiniment la scène sous différents angles. Nous pouvons le comparer à un inspecteur trop impliqué dans son enquête qui aurait perdu la raison. Son habillement particulier conforte dans l’idée d’avoir affaire à un fou. En effet, ce dernier est pieds nus, chemise ouverte et pantalon de costume. Nous pouvons aussi noter que cet accoutrement évoque immanquablement un rescapé du World Trade Center. La scène se joue à huis clos dans un appartement délabré où des tonnes de journaux empilés font office de murs. Une vieille télévision fait face à un fauteuil, on aperçoit un lavabo en arrière fond, sur la gauche trône un bureau et au sol des marionnettes alignées dont le regard est dirigé au plafond.

Cette position rappelle les nombreux témoins au pied des tours, assistant ahuris au spectacle dramatique. Nous avons ici affaire à une mise en scène qui ne se base pas sur des événements réalistes. Du reste, le metteur en scène ne s’appuie pas sur des bandes sonores ou des images tirés des événements. Au contraire, le personnage use de documents médiatiques qu’il a réalisés lui même. Yan Walther a littéralement inventé un média afin de transmettre le texte de Vinaver. Dès l’introduction, le réalisateur fait appel au souvenir des spectateurs. Le prologue est composé de la diffusion d’une vidéo contre un mur composé de journaux, montrant des passants en Suisse répondant à une interview faite par le metteur en scène. Ils racontent où ils étaient et ce qu’ils faisaient le 11 septembre 2001. L’impact émotionnel provoqué par l’annonce des attentas influence grandement le fait que beaucoup de gens se rappellent exactement ce qu’ils faisaient et où ils se trouvaient au moment où ils ont appris la nouvelle. Suite à cette introduction, la pièce s’attache d’avantage au texte et se déroule sur un tempo relativement lent où l’on ne ressent ni panique, ni stupéfaction contrairement à la réalisation de Demeyère où le rythme se veut rapide. L’acteur choisit par Yan Walther cite le nom des personnages avant d’interpréter son texte. L’effet de réel est abandonné pour laisser tout l’espace à la pièce, et de ce fait à la réflexion.

CONCLUSION

Mon intérêt pour le théâtre contemporain m’a fait choisir une approche peu commune pour un cours de français. Toutefois, une telle séquence didactique n’est pas aisée à élaborer. La recherche des mises en scène s’ajoute au travail d’analyse et à l’élaboration des exercices. Toutes ces démarches prennent du temps mais permettent une approche qui place, plutôt que le texte, les mises en scène au centre de la séquence didactique. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on s’adresse à un public qui n’est a priori pas amateur de théâtre. J’ai trouvé intéressant d’utiliser cette méthode pour son aspect ludique et cela a été relevé par les élèves. Cette approche facilite le premier contact avec le théâtre contemporain, qui à tort ou à raison, est défini d’accès difficile. En outre, l’interprétation des deux metteurs en scène permet aux élèves d’envisager la compréhension d’un texte dramaturgique sous plusieurs angles. Les étudiants apprennent à aborder différentes notions théâtrales sans être conscient de l’effort intellectuel que cela implique. A tous ces points positifs s’ajoutent les travaux et corrections effectuées en groupe. J’apprécie de pouvoir laisser les élèves débattre entre eux car cela favorise la réflexion, l’argumentation l’émulation durant tout le cours, ce qu’un enseignement de type ex cathedra ne pourrait pas apporter. Ce type d’approche « protège » l’enseignant d’une surcharge de travail et captive l’attention des élèves, empêchant l’ennui de s’installer. Les exercices, dont les difficultés s’enchaînent en crescendo (questionnaire « scolaire », analyse objective, analyse subjective ») permettent aux élèves d’atteindre un bon niveau d’analyse de mise en scène sans se sentir submergés par la difficulté.

Toutefois, par manque de temps, cette séquence didactique a pour faiblesse de négliger la forme du texte (structure et syntaxe) que l’élève devrait pouvoir fournir dans son analyse. Ce défaut doit être corrigé est travaillé en profondeur. La même remarque s’applique aux corrections en groupe : la méthode a pour vertu de rendre les élèves attentifs, mais les plus faibles d’entre eux ont tendance à se contenter de reprendre les réponses de leurs camarades sans se questionner sur leur propre travail. Les résultats des élèves et leurs remarques m’ont convaincu de la pertinence d’aborder le théâtre par l’analyse de mises en scène avec une classe de première année section Employé de Commerce Maturité Professionnelle Intégrée. Un autre élément à améliorer, tient dans le fait qu’il faut pouvoir s’appuyer sur des captations d’excellentes qualités, ce qui n’est malheureusement pas le cas de celles dont nous disposions pour cette séquence didactique. Il est intéressant de constater que certains élèves « littéraires », ayant fait leurs preuves durant l’année, se sont sentis perdus face au travail d’interprétation des mises en scène. A mon avis, c’est là que cette séquence prend tout son sens. En effet, ces élèves doués en littérature ont ici la possibilité de travailler leurs points faibles, et a contrario les élèves ayant moins d’intérêt pour la face littéraire du français, prendront plaisir à travailler sur le théâtre par une approche moins scolaire. En conclusion, cette séquence didactique, riche par ses différentes approches, explore une autre manière de travailler le théâtre en cours de français. L’analyse théâtrale permet une grande liberté d’étude qu’il serait dommage de restreindre à une approche classique. L’interprétation de chaque metteur en scène donne un nouveau sens au texte. De ce fait, elle mérite une analyse tout aussi pertinente que la pièce elle-même.

Table des matières

1. INTRODUCTION
1.1 PROBLEMATIQUE
1.2 ETAT DE LA RECHERCHE
2. PLAN DE LA SEQUENCE
3. DEROULEMENT DE LA SEQUENCE
3.1 DECOUVERTE DU TEXTE
3.2 ETUDE DES PREMIERES PAGES
3.3 CONTEXTE
3.3.1 MICHEL VINAVER : UNE ECRITURE PARTICULIERE
3.3.2 QUELQUES CARACTERISTIQUES DU THEATRE CONTEMPORAIN
3.4 LA MISE EN SCENE
3.5 ANALYSE DE CAPTATIONS
3.5.1 DEUX INTERPRETATIONS DE 11 SEPTEMBRE 2001 : UNE OUVERTURE ABRUPTE
3.5.2 DEUX INTERPRETATIONS DE 11 SEPTEMBRE 2001 : LES DIALOGUES CROISES
3.6 EVALUATION
3.7 PROLONGEMENT POSSIBLE
4. CONCLUSION
5. BIBLIOGRAPHIE
6. REMERCIEMENTS
7. ANNEXES

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