Mise en suspension de particules immergées par injection de gaz

Mise en suspension de particules immergées par
injection de gaz

Physique des suspensions 

La définition d’une suspension peut varier selon les communautés et les travaux effectués [24]. De manière très générale, on peut définir une suspension comme un milieu granulaire immergé dans un liquide, quel que soit le liquide ou les particules composant le milieu granulaire, l’isodensité entre les grains et le fluide environnant n’étant qu’un cas particulier. Une suspension peut-être formée de divers types de particules. On parle de milieu monodisperse (à l’inverse de polydisperse) lorsque la suspension est formée de particules qui ont toutes les mêmes propriétés (forme, taille, masse volumique…). Cependant, il existe deux grandes catégories de particules qui changent fondamentalement les propriétés d’une suspension : les particules browniennes, et non-browniennes. Les systèmes browniens, comme les suspensions colloïdales, sont des systèmes où l’agitation thermique joue un rôle majeur, contrairement aux systèmes non-browniens qui sont athermiques. De nombreuses études concernant les comportements des suspensions browniennes en terme de rhéologie [25, 26] ou de dynamique [27] ont été effectuées mettant en avant l’importance du nombre de Péclet qui compare les effets de conduction et de convection thermique. Pour les suspensions non-browniennes, les effets thermiques étant négligeables, le nombre de Péclet n’intervient pas, et la rhéologie et le comportement de ce système est bien différente [28]. Outre l’agitation thermique, un second effet peut avoir son importance dans la dynamique des suspensions, la gravité. Il existe dans ce cas deux types de suspensions : les suspensions isodenses, pour lesquelles la densité des grains est la même que la densité du liquide environnant, et les suspensions nonisodenses. Dans ce dernier cas, selon la densité des particules, ces dernières sédimentent ou remontent (« crémage »).

Rhéologie globale

Pour comprendre les écoulements dans des milieux granulaires immergés, il s’avère nécessaire de décrire la rhéologie de ces derniers. À la différence d’un fluide, lorsque l’on contraint un milieu granulaire, il n’y a pas de relaxation vers un état homogène après application de la contrainte. Les propriétés rhéologiques des milieux granulaires immergés dépendent donc de leur état initial (homogénéité, fraction volumique en grains φ…). La rhéologie des suspensions fait encore aujourd’hui l’objet de nombreuses études tant expérimentales, que théoriques ou numériques. Dans cette partie, nous discuterons des propriétés globales de la rhéologie des suspensions, et notamment leur viscosité effective. Il est à noter que l’ensemble des modèles présentés ici ont été réalisés sur des suspensions isodenses. L’ensemble de ces modèles se basent sur le principe que le milieu granulaire apporte une autre source de dissipation d’énergie, et on peut considérer la suspension comme un liquide possédant une viscosité effective plus élevée que le liquide environnant. En effet, lorsque l’on cisaille un milieu granulaire immergé, des effets hydrodynamiques augmentent la viscosité effective η de l’ensemble liquide-grains. Le premier modèle a été développé par Einstein en 1905 [29, 30], qui détermine une loi linéaire entre la viscosité effective η et la fraction volumique en grains φ valable pour de ssupensions très diluées : η = η0(1 + 2.5φ) (1.1)  où η0 est la viscosité dynamique du liquide immergeant (sans grains). Batchelor a ensuite proposé un développement à l’ordre 2 en φ valable pour φ ≤ 10% [31] : η = η0(1 + 2.5φ + 6.2φ 2 ) (1.2) Cependant, plusieurs études expérimentales montrent que la viscosité effective diverge pour une valeur de fraction volumique en grains φmax, qui dépend du milieu granulaire. Dans le cas de sphères monodisperses, on trouve cette transition pour des fractions volumiques de l’ordre de 64 %. Cette limite s’explique par le phénomène de « jamming ». Lorsque l’on contraint le milieu granulaire, les grains n’étant pas déformables, il y a apparition d’un encombrement stérique qui bloque le milieu et les grains ne peuvent plus bouger entre eux, la viscosité effective du milieu diverge donc. Le premier modèle semiempirique prenant en compte l’existence du « jamming » est le modèle de Krieger-Dougherty, qui ajuste bien les données expérimentales pour φ ≤ 40% [32] : η = η0  1 − φ φmax −2.5φmax (1.3) avec φmax de l’ordre de 60 %. Pour de faibles valeurs de φ, un développement limité permet de retrouver la relation d’Einstein. Des études expérimentales plus récentes [33] mènent à des expressions empiriques qui permettent de décrire la viscosité effective de suspensions dont la fraction volumique peut-être proche de la transition de « jamming » : η = η0 e −2.34φ (1 − φ/φmax) 3 (1.4) Dans le cas des suspensions denses (φ > 40%), l’application d’un cisaillement (contrainte tangentielle) sur une suspension provoque la migration des particules dans la suspension. Cette migration entraîne alors l’apparition de contraintes normales et de friction entre les grains, c’est la transition frictionelle [34–36]. L’existence de friction solide entre les grains modifie fortement la rhéologie du milieu [37–39]. En effet, lorsque les particules se meuvent sous cisaillement, il peut y avoir contact et frottement entre ces particules, modifiant alors la réponse du milieu. Dans le cas où la suspension est diluée, donc pour de faibles valeurs de fraction volumique en grains, le contact entre les particules peut-être négligé et le milieu présente une faible viscosité. À l’inverse, pour de fortes concentrations en grains, il est nécessaire de tenir compte de la friction entre les grains, qui fait alors apparaître une augmentation de la viscosité. Cette transition est importante car elle peut modifier la divergence de la viscosité et la valeur φmax au « jamming » [38]. Une unification des propriétés rhéologiques des suspensions denses et des milieux granulaires secs basé sur une rhéologie frictionnelle, a été proposée récemment [40]. L’étude s’attache à montrer que la rhéologie globale des milieux granulaires en général (secs ou immergés) peut être caractérisée par deux quantités : la fraction volumique en grains φ et le coefficient de friction entre les grains µ, et notamment dans leur évolution avec un nombre adimensionné I. Ce dernier résulte du rapport entre un temps macroscopique basé sur le cisaillement, et un temps de réarrangement qui peut être inertiel ou visqueux, dont l’expression est variable selon les cas (secs ou immergés). L’étude conclue sur la mesure expérimentale de la viscosité effective jusqu’à la transition de « jamming » où l’on observe la divergence de la viscosité (figure 1.3). Figure 1.3 – Mesure expérimentale de la viscosité effective ηs d’une suspension composée de particules sphériques de polystyrène (d = 0.58±0.01 mm) en fonction de sa fraction volumique en grains φ. Insert : Figure en échelle logarithmique. φm est la valeur de φ pour laquelle il y a divergence de ηs. Figure tirée de [40]. On observe une divergence de la viscosité de la suspension dûe à la transition de « jamming ». On trouve φm ≤ 64%, ce qui montre qu’une suspension initialement plus dense, se dilate sous cisaillement afin d’atteindre l’équilibre. 

Rhéologie locale

Les propriétés de rhéologie globale ne suffisent pas à expliquer totalement la physique des suspensions, et des effets locaux peuvent être observés, comme la localisation de l’écoulement pour des valeurs de φ proche de 58% [41,42]. En effet, dans le cas des suspensions denses, en dessous d’un taux de cisaillement critique, à certains endroits une partie de la suspension reste bloquée et ne bouge pas, tandis que le reste de la suspension est affectée par le cisaillement. Il a été montré que ces effets locaux sont dûs principalement à la migration des particules sous cisaillement, ces dernières migrant vers les zones de faible taux de cisaillement [43, 44]. Dans le cas d’une géométrie confinée on observe que la migration des particules se fait donc vers le centre du tube dans le cas à une dimension ou du canal en deux dimensions [45–51], vers les zones de faible taux de cisaillement donc. Par rapport à l’écoulement d’un fluide simple, pour lequel le profil de vitesse a une forme parabolique (écoulement de Poiseuille [52]), l’inhomogénéité de la suspension dûe à la migration des particules entraîne un changement dans le profil de vitesse [44, 53] (figure 1.4). Le profil est alors plus plat au centre que le profil parabolique, car la présence des particules diminue la vitesse du fluide au centre du canal. Enfin, un dernier effet est à noter est la perte de réversibilité temporelle de l’écoulement. Contrairement au cas de l’écoulement d’un fluide simple à faible nombre de Reynolds (écoulement de Stokes) [52], lorsque l’on déforme la suspension par cisaillement pendant un certain temps, et ensuite, pendant cette même durée, on applique un cisaillement contraire, le fluide ne revient pas à son état d’origine. La présence des particules entraîne la perte de la réversibilité de l’écoulement [54]. Figure 1.4 – Différence entre le profil de vitesse de Poiseuille (trait plein) et le profil de vitesse pour une suspension constituée de billes de polystyrène sphériques (d = 60 ± 6µm), mesuré expérimentalement (points), dans une conduite rectangulaire. v/Vmax est le rapport entre la vitesse du fluide et la vitesse maximum atteint par le régime de Poiseuille et x représente la distance au centre de la conduite. On observe la diminution de vitesse au centre du tube dû à la migration des particules vers le centre. Figure tirée de [49]. 1.2.4 Sédimentation Dans la plupart des cas, naturels ou non, la densité des particules n’est pas la même que celle du liquide, elle est plus élevée. Ainsi, les particules sédimentent dans le liquide, ce qui peut changer les propriétés de la suspension par rapport au cas des suspensions isodenses. Une particule sphérique de rayon R sédimentant à une vitesse U au sein d’un fluide simple subit deux forces, la poussée d’Archimède FA, responsable de la remontée, et une force de traînée F qui ralentit la bulle. Dans notre cas, la poussée d’Archimède s’exprime comme FA = 4 3 π∆ρgR3 (1.5) où ∆ρ est la différence de masse volumique entre le liquide environnant et le matériau. L’expression de la force de traînée dépend du régime d’écoulement dans lequel on se trouve. Elle dépend en particulier d’un nombre sans dimension qui compare les effets d’advection et les effets visqueux du fluide appelé le nombre de Reynolds : Re = ρlUR η (1.6) où ρl est la masse volumique du liquide et η sa viscosité dynamique. Suivant la valeur de ce nombre par rapport à 1, le régime d’écoulement ne sera pas le même et l’expression de la force de traînée sera différente, ainsi nous avons dans le cas d’une sphère solide indéformable : Re ≪ 1 → F = 6πηRU (1.7) 7 1.2. PHYSIQUE DES SUSPENSIONS CHAPITRE 1. INTRODUCTION 1 ≪ Re ≪ 100 → F = 1 2 ρCdπR2U 2 (1.8) où Cd est le coefficient de traînée. Dans le cas où Re ≥ 100, il apparaît des tourbillons dans le sillage des particules et la vitesse est plus difficile à exprimer. Si on se place dans le cas Re ≪ 1, et en régime établi (le régime transitoire de sédimentation des particules est négligé), on peut obtenir une expression de la vitesse de la particule, appelée vitesse de Stokes, en écrivant que le bilan des forces est nul : UStokes = 2∆ρgR2 9η (1.9) Dans le cas où deux particules sédimentent dans le même fluide, la dynamique du fluide autour d’une particule est influencé par la seconde particule, il y a une interaction hydrodynamique entre les particules, modifiant ainsi la vitesse de sédimentation des deux particules par rapport à la vitesse de Stokes. Il existe de nombreuses études théoriques [55,56] et expérimentales [57,58] portant sur le calcul exact ou la mesure de la vitesse des particules. On note θd l’angle entre la verticale et le segment formé à partir des deux centres de la sphère, et r la distance entre ces deux centres. Pour certaines valeurs de θ, il est facile de dériver une expression de la vitesse Udoublet des particules [24] Udoublet UStokes = 1 + 3R 2r pour θd = 0 (1.10) Udoublet UStokes = 1 + 3R 4r pour θd = π/2 (1.11) On retrouve pour r tendant vers l’infini la vitesse de Stokes. Pour la vitesse moyenne de sédimentation d’une suspension, le calcul analytique s’avère impossible car il y a trop d’interactions à prendre en compte. Des études expérimentales ont été effectuées pour étudier la sédimentation d’une suspension [59, 60]. Richardson et Zaki ont ainsi proposé en 1954 une correction empirique à la vitesse de Stokes pour évaluer la vitesse moyenne de sédimentation d’une suspension [61], qui ajuste bien les données expérimentales : Us = (1 − φ) 5UStokes (1.12) Il est à noter que cette relation devient fausse lorsqu’on s’approche de la transition de « jamming » à cause de la divergence de la viscosité évoquée précédemment. Dans le cadre de l’étude des écoulements granulaires, une généralisation de la loi µ(I) a été proposée [62, 63]. Elle permet de prédire la friction effective de l’écoulement, et donc la viscosité effective du système grains-liquide. Ce modèle permet de décrire aussi bien la rhéologie des suspensions que celle des lits granulaires secs et immergées, et permet d’unifier les écoulements granulaires et les suspensions en général au cas de particules sédimentant dans le fluide. Cependant, il est à noter que le front de sédimentation des particules peut subir des instabilités, et l’interface entre les grains sédimentant et le fluide environnant n’est plus horizontale et former différents motifs tels que des doigts de sédimentation [64]. Cet instabilité s’apparente à une instabilité de RayleighTaylor lorsqu’un fluide de plus grande densité s’écoule dans un fluide de plus faible densité [65, 66]. De nombreuses études expérimentales et simulations ont montré l’existence de différents motifs de sédimentation des grains [67–69]. L’étude de ces instabilités est aussi intéressante dans le cadre du 8 CHAPITRE 1. INTRODUCTION 1.2. PHYSIQUE DES SUSPENSIONS mélange d’un milieu granulaire lors de sa sédimentation dans un fluide. En effet, plusieurs études se sont attardées sur le mélange provoqué par l’instabilité de Rayleigh-Taylor [70] et notamment l’effet de la compressibilité du fluide environnant ainsi que de sa viscosité [71]. Il apparaît alors que la viscosité du fluide joue un rôle bien plus important dans la formation des motifs et dans le mélange, que la compressibilité du fluide.

Table des matières

Remerciements
1 Introduction
1.1 Introduction générale
1.2 Physique des suspensions
1.2.1 Définition
1.2.2 Rhéologie globale
1.2.3 Rhéologie locale
1.2.4 Sédimentation
1.2.5 Transport de particules
1.2.6 Remontée de bulles
1.3 Ecoulement multiphasique à travers un milieu poreux
1.3.1 Ecoulement à temps court
1.3.2 Ecoulement à temps long
1.4 Objectifs de la thèse et plan du manuscrit
2 Matériel et méthodes
2.1 Dispositif expérimental
2.2 Particules
2.3 Protocole expérimental
2.4 Méthodes de mesures
2.4.1 Variables d’intérêt
2.4.2 Taille du lit granulaire (A)
2.4.3 Fraction volumique en grains (φb, φs)
2.4.4 Largeur moyenne des bulles (Lb)
2.4.5 Taille de la suspension (Ls)
2.4.6 Détection des bulles
2.5 Nombres sans dimension
3 Mise en suspension en configuration verticale
3.1 Régime stationnaire
3.1.1 Existence d’un état stationnaire
3.1.2 Taille du lit granulaire A
3.1.3 Fraction volumique en grains dans le lit granulaire φb
3.1.4 Fraction volumique en grains dans la suspension φs
3.1.5 Influence des différents paramètres
3.1.6 Taille de la suspension (Ls) et des bulles (Lb)
3.1.7 Retour sur la calibration
3.2 Modèle phénoménologique
3.2.1 Sédimentation (dN +)
3.2.2 Entraînement (dN −)
3.2.3 Évolution du nombre de grains n(t)
3.2.4 Etat stationnaire
3.2.5 Validation et discussion
3.2.6 Amélioration du modèle
3.3 Etude du régime transitoire
3.3.1 Résultats expérimentaux
3.3.2 Modèle
3.3.3 Dépendance du temps caractéristique
3.4 Conclusion
4 Influence de la gravité effective
4.1 Régime stationnaire
4.1.1 Résultats expérimentaux
4.1.2 Entraînement des grains
4.1.3 Sédimentation : effet Boycott
4.1.4 Influence sur la taille du lit granulaire
4.2 Fluctuations et statistiques
4.2.1 Premières observations
4.2.2 Homogénéité de la suspension
4.2.3 Statistiques des bulles
4.2.4 Contact entre les phases
4.3 Régime oscillant
4.3.1 Observations
4.3.2 Caractéristiques des oscillations
4.3.3 Diagramme des régimes
4.4 Conclusion
Conclusion et perspectives
Bibliographie

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