Modèle hypothétique de l’addiction aux drogues

Modèle hypothétique de l’addiction aux drogues

Perspectives thérapeutiques

Les toxicomanes viennent au CSAPA lorsque la solution défensive de l’addiction est en échec, lorsqu’ils passent plus de temps qu’ils ne souhaitent à chercher leur produit, en particulier quand ils travaillent, lorsque le coût financier les met en difficulté, lorsque l’angoisse les envahit ; lorsqu’ils ont le sentiment d’avoir perdu la maîtrise de leur pratique. Ils viennent consulter quand ils ressentent une souffrance secondaire causée par leur addiction, alors que la souffrance primaire à l’origine de leurs recours aux drogues n’est pas identifiée. Il y a aussi ceux qui viennent poussés par leurs proches, parfois avec un ultimatum de séparation. Mais leur demande concerne avant tout un traitement de substitution, et parfois exclusivement cela. Certains patients sont dans le déni d’une souffrance primaire qui aurait pu les conduire à leur consommation. Ils banalisent leur comportement, avançant que « c’est pour faire comme les autres ». Aussi, lorsque la souffrance secondaire est traitée par la substitution, réapparaît alors la souffrance primaire qui risque d’être une cause de rechute, d’un nouveau recours à l’automédication par les drogues. Le recours à la drogue doit être compris comme un mécanisme de défense, une stratégie « de régulation émotionnelle non consciente, ayant pour fonction d’éviter, de minimiser ou de convertir des affects qui sont trop difficile à tolérer208 . » Le traitement de substitution est bien souvent indispensable pour débuter les soins. Il permet souvent la réinsertion sociale et le suivi médical. Le sevrage ne concerne qu’une infime partie de cette population héroïnomane, ceux, en particulier, qui ne consomme de l’héroïne que depuis peu de temps ; par contre, il concerne tous les autres patients atteints d’addiction à d’autres produits toxiques ou d’autres conduites puisqu’aucun traitement de substitution n’existe pour pallier à cette souffrance. La rencontre d’un psychologue est aléatoire. Très peu de demandes viennent des patients eux-mêmes ; il y a les injonctions thérapeutiques et le respect du protocole méthadone, qui prescrit la rencontre d’un psychologue, au moins une fois, pour évaluer sa 208 Schore A., La régulation affective et la réparation du soi, p. 342. 187 demande de substitution. Cependant, il y a aussi des demandes émergeant des difficultés rencontrées après que soit instaurée la prise en charge médicale par le traitement de substitution. Lorsque certains se rendent compte que les médicaments ne suffisent pas à résoudre leur mal-être, il y a alors un appel, plus qu’une demande, auquel il faut consacrer toute sa disponibilité psychique. Parfois, encore, ils acceptent de le rencontrer pour trouver une oreille attentive témoin de leur parcours chaotique ou simplement par curiosité… L’accueil des patients toxicomanes par le psychologue pose de multiples questions. La première est l’absence. S’absenter en raison de la difficulté à rencontrer un ̏psy ̋ (« Je ne suis pas fou » disent certains), la honte que l’on éprouve de s’adonner à un ̏vice ̋, d’être devenu dépendant d’une drogue. Les retards sont une deuxième complication. La temporalité est sérieusement perturbée chez les toxicomanes. Comme l’écrit Piera Aulagnier : « La tâche du Je c’est de devenir capable de penser sa propre temporalité : il lui faut pour cela penser, anticiper, investir un espace-temps futur alors même que l’expérience du vécu va assez vite lui dévoiler que ce faisant il investit non seulement un non-prévisible mais un temps qu’il pourrait ne pas avoir à vivre. En d’autres termes il investit un  » objet  » et un  » but  » qui possèdent les propriétés dont le Je a le plus horreur : la précarité, l’imprévisibilité, la possibilité de faire défaut. » 209 Les conduites addictives sont souvent une tentative de figer le temps. Le sujet s’exclut du passé et du futur par la répétition de sa prise de produit, seul investissement dont il connait l’effet en raison de son immédiateté. « C’est en fait un déni du temps. […] Dans la compulsion de répétition, non seulement nous refusons de grandir, mais nous avons le fantasme fou que nous pouvons arrêter la marche du temps. […] Nous devons quand même admettre que des forces destructrices sont en jeu d’abord et avant tout contre le psychisme du sujet et aussi contre notre représentation des autres. Un paradoxe peut être formulé ici. La destruction détruit la représentation des objets que nous haïssons et détruit aussi les processus temporels qui leur sont reliés. Ainsi, en procédant à la destruction des processus temporels et en réalisant les vœux de mort adressés aux objets de notre haine, le temps figé, immobilisé, pétrifié, qui en résulte, empêche l’idée de la mort de ces objets dans le psychisme. L’objet est haï mais son amour et sa présence restent d’importance vitale. Aussi la mort de l’objet doit-elle être à la fois recherchée et conjurée. La seule façon de satisfaire ces exigences contradictoires est de geler l’expérience du temps et de nier les fantasmes qui y   sont reliés. » 210 S’il n’y a pas de futur, c’est très difficile de se projeter dans une rencontre prise sur rendez-vous. Ces mécanismes de défense doivent être considérés comme faisant parti de la pathologie addictive. Il faut alors jouer sur la demande de reprise de rendez-vous et sur la malléabilité horaires (décalage des heures de rendez-vous) quand ils sont absents ou en retard. Pour nous inscrire dans la réalité, ils tentent la destruction et testent ainsi notre capacité à survivre (Winnicott, 1971) à leur jeu de cache-cache. Ils peuvent ensuite s’installer dans un espace/temps dont ils jouissent à leur convenance, un espace de « sécurité subjective ». Le rythme des rencontres s’adapte à la carte, il faut bien se garder de vouloir imposer son propre temps. Si ce temps d’« apprivoisement » fonctionne la régularité des rendez-vous s’instaure, car la rencontre clinique s’est transformée en « attracteur ». L’un des enjeux de la rencontre est d’aider les patients à construire la possibilité de l’expérience d’être seul en présence de l’autre, mais cela demande un long travail d’implication du psychologue dans l’attention portée à son encontre, dans sa disponibilité et son empathie émotionnelle, et d’attente de la confiance.

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