Observations et modélisation in-situ du carbone des sols boréaux et des émissions de méthane associées

Observations et modélisation in-situ du carbone des sols boréaux et des émissions de méthane associées

Zones humides, tourbières et pergélisols 

Définitions 

Les zones humides sont des zones saturées en eau ou inondées de manière permanente, saisonnière ou encore irrégulière. Ce terme reste cependant assez vaste, et recouvre une large variété d’écosystèmes : plaines d’inondation, marais et marécages, tourbières, lacs peu profonds. La distribution spatiale de ces zones humides est vaste : du haut-Arctique aux tropiques, et des basses zones côtières aux hauts plateaux. Au cours de ces dernières décennies, plusieurs groupes de recherche ont compilé de nombreuses informations sur leur distribution et leur classification, dérivées majoritairement de données satellitaires (Matthews and Fung, 1987; Aselmann and Crutzen, 1989; Prigent et al., 2001; Lehner and Doell, 2004). Malgré tout, les cartes ainsi disponibles restent étonnamment incomplètes : les bases de données de zones humides sous-estiment l’étendue de ces écosystèmes de 44−55 %, et certaines cartes dérivées de données satellitaires sous-estiment leur superficie de 77−98 % (Frey and Smith, 2007). Les problèmes liés au contrôle de ces superficies sont d’une part dˆus à leur saisonnalité, et leur nature inaccessible et/ou dispersée. Leur étude, sur le terrain ou par satellite, est ainsi difficile et coˆuteuse. Depuis une dizaine d’années, des approches multi-satellites semblent avoir résolu un certain nombre de ces problèmes et sont ainsi relativement fiables, en superficie comme en temporalité (Prigent et al., 2007; Frey and Smith, 2007). Bien que mieux contraintes, les incertitudes concernant les superficies des zones humides n’en restent pas moins importantes. Les superficies de zones humides simulées par les modèles participant au projet d’intercomparaison WETCHIMP (Melton et al., 2013) sont ainsi de 8.6 − 26.9 × 106 km2 , et la littérature utilisée dans ce mˆeme projet rapporte des superficies de 4.3 − 12.9 × 106 km2 . Ces incertitudes sur la superficie des zones humides pèsent ainsi sur les émissions simulées de méthane, évaluées entre 141 et 264 TgCH4.an−1 par le projet WETCHIMP (Melton et al., 2013). Malgré tout, il est avéré que plus de la moitié des zones humides sont présentes dans les hautes latitudes de l’hémisphère Nord. De plus, les types de zones humides les plus communs dans les régions arctiques et boréales sont les tourbières (Aselmann and Crutzen, 1989). Les tourbières sont un type particulier de zones humides, saturées en permanence. Comme pour ces dernières, le terme tourbière contient de nombreux sous-types d’écosystèmes, qui différent d’aprés la provenance de l’eau (stagnante ou issue de cours d’eau, …), leur teneur en matière organique, ou encore leur acidité. La langue fran¸caise n’a pas de mots spécifiques pour ces différences, contrairement à la langue anglaise (bog, fen, pocosins, mire,…). Dans ces écosystèmes, le taux d’accumulation de matière organique est majoritairement supérieur au taux de décomposition, ce qui en fait donc un important réservoir de carbone du sol. Le taux d’accumulation des tourbières dépend de la position du niveau hydrostatique, de la température du sol et de la production primaire nette (net primary production, ou NPP). Dans ces tourbières, les conditions anoxiques aboutissent à des décompositions lentes. Au-dela de 40°N, les tourbières recouvrent une étendue d’environ 3.2 × 106 km2 , et on estime leur stock de carbone à 400 − 500 PgC (Roulet, 2000). Au niveau du budget radiatif global, on estime leur effet sur le climat entre −0.2 et −0.5 W.m−2 , soit un effet refroidissant : les effets de la séquestration surpassent les effets des émissions de méthane. Les pergélisols, aussi appelés permafrost, constituent une autre source naturelle de méthane. Les pergélisols sont définis comme des sols dont la température se maintient en permanence sous 0 °C, pendant une période minimale de deux ans. Ces conditions   de gel inhibent les processus de décomposition de la matière organique (Smith, 2004; Zimov, 2006; Schirrmeister et al., 2011). Ainsi, les pergélisols sont particulièrement riches en matière organique, souvent ancienne, qui s’est accumulée au fil du temps. A l’échelle globale, les sols sont le plus grand réservoir de carbone terrestre : on estime actuellement à 2000 Pg ces stocks sur les deux premiers mètres (Shangguan et al., 2014). En particulier, les régions pergélisolées, pourtant minoritaires en superficie (environ 15% des surfaces terrestres, et jusqu’à 25 % en ne considérant que l’hémisphère Nord), représentent une grande fraction de ces stocks : entre 1400 et 1850 PgC d’aprés Tarnocai et al. (2009) et 1100 − 1500 PgC d’aprés Hugelius et al. (2014), soit bien plus important que le réservoir atmosphérique de 730 PgC. La majeure partie est stockée sur les trois premiers mètres, et 272 Pg supplémentaires en profondeur dans les pergélisols profonds, comme par exemple le Yedoma (Hugelius et al., 2014). La dynamique de gel et de dégel dans ces régions est un des facteurs principaux expliquant la dynamique des flux de méthane observés, à la fois saisonniers comme interannuels. En effet, la plus grande partie du méthane émis du sol vers l’atmosphère provient de processus ayant lieu dans la couche de surface soumise au gel et au dégel saisonnier. Cette couche est appelée couche active. Les liens entre zones humides, tourbières et pergélisols sont importants, car ces derniers influent sur les propriétés hydrologiques et thermiques des sols. En effet, les sols gelés -en particulier quand ils sont riches en eau- contiennent de la glace. Cette eau gelée empˆeche l’eau liquide provenant des précipitations, de la fonte des neiges ou encore du ruissellement de surface de s’infiltrer par drainage dans les couches plus profondes du sol. Si, de surcroˆıt, la topographie du terrain est suffisamment plate pour prévenir tout ruissellement , des conditions saturées voire inondées sont courantes dans les terrains pergélisolés. D’autre part, les tourbières et sols fortement organiques affectent aussi la dynamique des pergélisols par leurs propriétés thermiques particulières. Pour exemple, en Amérique du Nord, 36 % de la superficie totale des tourbières ont une base pergélisolée (Bridgham et al., 2006). 

 Processus responsables des émissions de méthane des zones humides et des pergélisols 

Comme dit précédemment, les zones humides sont le principal contributeur des émissions de méthane naturelles. Historiquement, le méthane a d’ailleurs été découvert via ses émissions provenant des rives du Lac Majeur (Volta, 1778). Les émissions de méthane provenant des tourbières et, plus généralement, des zones humides sont le produit final de trois classes de processus : la production microbienne de méthane, l’oxydation microbienne de méthane, et le transport vers l’atmosphère. Ces émissions sont grandement déterminées par le climat qui influence à la fois la végétation et la NPP, et les processus de surface liés à la température et l’hydrologie du sol, et -dans le cas des pergélisols- de la profondeur de la couche active. La figure 1.4 schématise 13 (a) (b) Figure 1.3 – (a) Densité du carbone organique du sol (SOC) sur le premier mètre de profondeur (Scharlemann et al., 2014) (b) Localisation latitudinale des pergélisols (Schuur et al., 2008) 14 ces différents processus pour une zone humide non pergélisolée, et ces processus ont également lieu dans la couche active des pergélisols. Figure 1.4 – Représentation schématique des processus biogéochimiques de production et de méthane, et des mécanismes d’échanges de gaz entre le sol et l’atmosphère sur une zone humide. Production de méthane à partir de matière organique Le méthane est l’un des produits terminaux de la dégradation de la matière organique par des processus biochimiques. Il est généralement produit par des archées méthanogènes en conditions anaérobies ; bien que de récentes études montrent la possibilité d’une méthanogenèse en condition aérobie (Serrano-Silva et al., 2014). Certains types de méthanogènes peuvent également exister dans des environnements oxiques, mais sont en état de dormance jusqu’à établissement de conditions anoxiques. Le méthane est donc majoritairement produit sous la profondeur de pénétration de l’oxygène dans le sol, qui est trés corrélée avec le niveau hydrostatique (water table). Le substrat organique préférentiellement décomposé par les méthanogènes est un mélange de matières carbonées, dérivées de la décomposition des exudats des racines et litière. Il faut noter que l’ensemble du processus méthanogénique est complexe, et fait intervenir une suite de différents processus biogéochimiques : hydrolyse, transformation du substrat en une suite de composés intermédiaires précurseurs du méthane, etc. D’autre part, plusieurs voies métaboliques différentes sont responsables de la production du méthane selon le type de substrat 15 (Conrad, 2007). Conséquemment, il n’existe pas d’équation de réaction chimique unique ou simplifiée rendant compte du processus de méthanogenèse, et le lecteur intéressé pourra consulter Conrad (2007); Billard (2016). Au cours de cette thèse, on considérera la méthanogenèse comme une simple transformation de la matière organique en condition anaérobique, comme le font la trés grande majorité des travaux de modélisation existant. Oxydation du méthane dans le sol L’oxydation biologique du méthane en condition aérobie, appelée méthanotrophie, est réalisée par des bactéries méthanotrophes. Cette méthanotrophie permet l’utilisation du méthane comme source de carbone et d’énergie. Comme pour la méthanogenèse, le processus d’oxydation du méthane est complexe et fait intervenir 4 étapes successives durant lesquelles le méthane est transformé en méthanol (CH3OH), puis en formaldéhyde (CH2O), en formiate (HCOOH), et finalement en dioxyde de carbone. L’équation simplifiée, ne faisant pas apparaitre ces transformations, s’écrit comme : CH4 + 2O2 −→ CO2 + 2H2O De mˆeme que pour la méthanogenèse, on dénombre différentes voies métaboliques pour la méthanotrophie, se distinguant par différentes voies d’assimilation du formaldéhyde. Une description biogéchimique détaillée des processus sous-jacents est donnée dans Billard (2016). Une fois le méthane produit dans la colonne de sol, on dénombre trois principaux processus de transport du sol vers l’atmosphère : la diffusion, l’ébullition et le transport par les plantes et les racines . Diffusion dans le sol La diffusion est le processus de migration d’une espéce chimique, transportée via des chocs aléatoires de molécules (Crank, 1975). Cette diffusion moléculaire tend à uniformiser le profil de gaz dans le sol : le gaz est en effet transporté des régions aux concentrations les plus fortes vers les régions de faible concentration. La vitesse de la diffusion dépend de l’espèce chimique considérée, de la température, de la pression, mais aussi du milieu dans lequel s’effectue ce transport : en milieu aqueux, la diffusion est quatre ordres de grandeur plus lente qu’en milieu gazeux. Des trois processus de transport de méthane vers l’atmosphère, il s’agit du plus lent.

Table des matières

Remerciements
Résumé
Abstract
Table des figures
Liste des tableaux
Introduction générale
1 Echanges de carbone entre surfaces continentales et atmosphère sous forme de méthane
1.1 Préambule
1.2 Cycle du carbone
1.2.1 Réservoirs et échanges de carbone à l’échelle globale
1.2.2 Flux de carbone entre biosphère continentale, atmosphère et le sol
1.3 Le méthane : bilan atmosphérique, puits et sources
1.4 Zones humides, tourbières et pergélisols
1.4.1 Définitions
1.4.2 Processus responsables des émissions de méthane des zones humides et des pergélisols
1.4.3 Mesures et observations des flux de méthane
1.4.4 Rétroactions potentielles des émissions boréales et arctiques de méthane sur le climat
1.5 Modèlisation des émissions naturelles de méthane
1.5.1 Quelques modèles de processus
1.5.2 Vers un nouveau modèle de méthane
2 Modélisation des surfaces continentales au CNRM
2.1 Préambule
2.1.1 Modèles de surface continentales
2.1.2 Bilan d’énergie à la surface des continents
2.1.3 Cycle hydrologique et bilan hydrique
2.2 Le modèle ISBA
2.2.1 Résolution de la physique du sol
2.3 Modélisation du cycle du carbone continental
2.3.1 Représentation du cycle du carbone dans la végétation
2.3.2 Représentation du cycle du carbone sur et dans le sol
3 Développement d’un nouveau modèle biogéochimique : description et étude du modèle
3.1 Préambule
3.2 A new process-based soil methane scheme in the ISBA land-surface model : evaluation over Arctic field sites
3.2.1 Introduction
3.2.2 Model description
3.2.3 Site description, Material and Methods
3.2.4 Results
3.2.5 Discussions
3.2.6 Conclusions
3.3 Compléments
3.3.1 Indices hydrologiques
3.3.2 Sensibilité à la perméabilité de l’aerenchyme
3.4 Conclusion partielle
4 Stocks de carbone dans le sol : étude du modèle et comparaisons avec des mesures sur site
4.1 Préambule
4.2 Etude de terrain : mesures de carbone du sol à Nuuk
4.2.1 Mesures topographiques et couche sédimentaire
4.2.2 Mesures de température et d’humidité en surface du sol
4.2.3 Prélèvements d’échantillons de sol le long des transects
4.2.4 Premiers résultats : pourcentages massique de carbone
4.2.5 Estimations et détermination de la masse volumique apparente du sol
4.2.6 Densité de carbone du sol et profils mesurés
4.2.7 Stocks de carbone total
4.2.8 Résumé et conclusion partielle
4.3 Etude des stocks et profils de carbone modélisés
4.3.1 Stocks de carbone et tendance annuelle
4.3.2 Impact de la limitation explicite en oxygène de la décomposition oxique sur les stocks de carbone et les flux de CH4 et de CO2
4.3.3 Rétroactions avec le module biogéochimique
4.3.4 Répartition sur la verticale des différents réservoirs de carbone
4.3.5 La représentation encore incertaine de la dynamique verticale du carbone sous-terrain pour d’autres modèle
4.3.6 Résumé et conclusions partielles
4.4 Comparaison des stocks et profils de carbone observés et modélisés ; étude des flux résultants et calibration du modèle de carbone du sol
4.4.1 Profils de carbone observés et modélisés
4.4.2 Flux de CH4 et de CO2 simulés par le modèle for¸cé avec les profils de carbone mesurés
4.4.3 Tests de sensibilité aux taux de décomposition
4.4.4 Tests de sensibilité à la vitesse d’advection
4.5 Résumé du chapitre et conclusions principales
5 Conclusion et Perspectives
A Résolution de l’équation des gaz par un schéma de Crank-Nicholson
A.0.1 Schéma de Crank-Nicholson
A.0.2 Condition de Dirichlet à l’interface sol/atmosphère
A.0.3 Condition de Neumann à la dernière couche de sol
A.0.4 Système tridiagonal final

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