Origine de la variation linguistique dans les langues en danger

Le zoque ayapaneco, ayapaneco ou numte ʔoote (ethnonyme) est une langue appartenant à la famille linguistique mixe-zoque. Cette famille de langues est parlée au sud-ouest du Mexique dans les états d’Oaxaca, Chiapas, Tabasco et Veracruz. Elle se compose de deux branches (Wichmann, 1995) : la branche zoque (en vert) et la branche mixe (en orange) dans la figure 1.1 cicontre. Le zoque ayapaneco appartient à la branche zoque et elle est parlée exclusivement dans la localité d’Ayapa, municipalité de Jalpa de Méndez dans l’Etat de Tabasco, Mexique.

Traditionnellement, la famille mixe-zoque a été considérée comme génétiquement isolée, c’est-à-dire qu’elle n’a aucune filiation avec les autres familles linguistiques présentes sur le territoire mexicain ou mésoaméricain. Bien qu’Orozco y Berra (1864) a postulé une première hypothèse de filiation linguistique entre la famille mixe-zoque et la famille otomangue, celle-ci a été rejetée par manque de rigueur scientifique. Ensuite, Belmar (1910), Whorf (1935), McQuown (1942, 1956) Witkowski et Brown (1978), Greenberg (1987) et Campbell (1997) ont suggéré l’idée d’un probable cas de filiation entre la famille mixe-zoque et la famille totonaque.

De nos jours, plusieurs hypothèses de filiation linguistique concernant la famille mixe-zoque ont été avancées. Brown et al. (2011) ont avancé la relation entre le proto-totonaque et le proto-mixe-zoque, ce qu’ils appellent le proto-totozoque. Brown et al. (2014) ont proposé un cas de filiation entre le proto-totozoque et le chitimacha, langue isolée dans le Sud de la Louisiane qui n’a plus de locuteurs. Finalement, Mora-Marín (2016) a avancé la relation entre la famille mixe-zoque et la famille maya, ce qu’il appelle proto-mayamixe-zoque. Jusqu’à présent, ces hypothèses de filiation n’ont été ni vérifiées, ni examinées de façon critique par les spécialistes de cette famille de langues. Par conséquent, le sujet reste ouvert dans l’attente de nouvelles analyses.

En ce qui concerne la division interne de la famille mixe-zoque, selon Ethnologue (Eberhard et al., 2019), la branche mixe est composée par la sous-branche Oaxaca. Cette sous-branche se divise à son tour en plusieurs groupes ; le groupe des Basse Terres (lowland), le groupe Central (midland) et le groupe des Hautes Terres (highland). La branche zoque est composée par deux sous-branches : celle du Chiapas et celle du Golfe du Mexique. La sous-branche du Chiapas inclut le groupe nord-est.

D’autre part, Zavala (2015) et Wichmann (1995) considèrent que la branche mixe inclut la sous-branche Oaxaca. Celle-ci est composée par le groupe des Hautes Terres, celui du Sud des Hautes Terres, celui du Méridional et celui des Basses Terres. La branche zoque est composée par des langues de la sous-branche du Golfe à laquelle l’ayapaneco appartient.

Kaufman émet l’hypothèse que la division interne de la branche zoque remonte aux années 1200, ce qui a donné lieu à la sous-branche du Golfe (Kaufman, 2005).

Le nombre de langues ainsi que de locuteurs de cette famille linguistique varie en fonction de la source consultée. La distinction entre langue et variante ainsi que la découverte d’une nouvelle langue, le jitotolteco (Zavala, 2011) sont à l’origine de la différence au niveau du nombre de langues recensées. D’après l’INALI, en 2005, on recensait 206 234 locuteurs parlant une langue de cette famille (INALI, 2014).

Les langues de cette famille ont été relativement moins étudiées par rapport aux autres familles linguistiques parlées au Mexique telles que la famille maya ou la famille oto-mangue. Bien que depuis les années 50 commencent les premiers travaux sur cette famille de langues, c’est à la fin des années 70 qu’ils prennent leur élan. Ce gain d’intérêt de la part des chercheurs trouve son origine dans l’hypothèse d’une possible relation entre la civilisation olmèque et les langues de cette famille (Campbell et Kaufman, 1976). Pour donner un peu de contexte au lecteur, les Olmèques sont une civilisation mésoaméricaine qui s’est épanouie entre 1200 av. J. C. et 400 av. J.-C. principalement sur la côte du Golfe du Mexique (Cyphers, 2018 ; Magni, 2003).

Dans les années 50, on trouve une analyse des correspondances morphémiques dans Wonderly (1949) et une analyse des préfixes personnels dans Wonderly et Elson (1953). Kaufman (1963) offre une étude comparative de différentes langues de cette famille et la reconstruction historique de la famille linguistique. D’autres travaux de reconstruction historique ont été présentés par Elson (1992) et par Wichmann (1995). Ces recherches sont principalement des études comparatives et reconstructions historiques de la famille linguistique.

Entre les années 1990 et 2000, le Project for Documentation of the Languages of Mesoamerica (ci-après PDLMA) dirigé essentiellement par Terrence Kaufman a été développé dans le but de mettre au point une base de données et ainsi mener une reconstruction des langues de la famille mixe-zoque (Kaufman et al., 2001). Pour la famille mixe-zoque, il s’agit d’une collection lexicale et morphologique principalement du zoque de Santa María Chimalpa, du zoque de San Miguel Chimalpa, du zoque de Chiapas, du popoluca de la Sierra, du mixe de Sayula et de l’oluteco. Le zoque de Texistepec et l’ayapaneco ont fait l’objet d’une documentation plus fragmentaire par rapport aux autres langues citées. Le PDLMA est né pour permettre d’affiner le déchiffrage de l’écriture epi-olmèque (Justeson et Kaufman, 1993) en partant de l’hypothèse de la relation entre les olmèques et les langues mixe-zoque.

Dans la branche mixe, la langue la plus étudiée est l’oluteco. Le point de départ obligé est Clark (1981) avec son dictionnaire publié par le Summer Institute of Linguistics (SIL). Le même auteur a contribué à la description du zoque de Sayula au travers d’une description grammaticale (Clark, 1961). Toutefois, les travaux de Zavala s’avèrent être les principales sources disponibles sur cette langue. Ainsi, on trouve une étude sur la possession (1999), une description linguistique détaillée (2000), une étude sur les constructions causatives et applicatives (2001), un classement des verbes (2002), une étude sur les verbes de mouvement (2003), sur les adjectifs (2004), sur les verbes (2006b), sur les constructions possessives (2006a) et sur l’inversion (2007).

En ce qui concerne les autres langues de la branche, on trouve une étude préliminaire sur la phonologie du mixe du Guichicovi (Bickford, 1985), une esquisse grammaticale du mixe de Totontepec (Suslak, 2003), une étude de l’inversion et de l’alignement du mixe de Tamazulapam (Santiago Martinez, 2008), une grammaire de référence du mixe d’Ayutla (Romero-Méndez, 2009), une étude de la phonologie et la phonétique du mixe de Chuxnabán (Jany, 2011). Ce ne sont que quelques travaux relativement récents sur les langues de la branche mixe.

Sur l’ensemble des langues de la branche zoque, on trouve une étude phonologique (Herrera Zendejas, 1995).

Le zoque du Chiapas et celui de l’Oaxaca ont été décrits à travers leurs différentes variétés. Ainsi, Harrison et Garcia (1981) ont fait une étude comparative sur celui de Copainalá (Chiapas), Harrison et Harrison (1984) sur celui de Rayon (Chiapas) et Engel et al. (1987) sur le zoque de Francisco Léon (Chiapas). Knudson a fait une description phonologique (1975) et une analyse des types de constructions (1980) du zoque de Santa Maria Chimalapa. Johnson (2000) a proposé une grammaire du zoque de San Miguel Chimalapa (Oaxaca). Pour sa part, Faarlund (2012) a mené une recherche descriptive et comparative sur le zoque d’Ocotepec et de Tapalapa (Chiapas). Cette recherche s’avère intéressante du fait qu’il s’agit d’une étude comparative et descriptive de deux variétés génétiquement, géographiquement et typologiquement proches.

Par rapport au zoque d’Ocotepec, Ramirez Muñoz (2016) a fait une étude sur le complément dans le paradigme de prédication verbale et Cruz Morales (2016) a fait une description de la prédication sériale. Finalement, Zavala (2011) a fait une description générale du jitotolteco, langue inconnue parlée au Chiapas. Je ne cite ici que les principaux travaux sur les langues de la branche zoque.

Puisque l’ayapaneco appartient à la sous-branche du Golfe, je vais présenter à part les travaux correspondants. Le popoluca de la Sierra (ou soteapanec) est la langue la plus étudiée de cette sous-branche. Ainsi, on trouve une analyse de la structure syllabique dans Elson (1947), une analyse grammaticale de la langue dans Foster et Foster (1948), une description grammaticale dans Elson (1956, 1960, 1967), les marqueurs de personne dans Elson (1961), les relations linguistiques de la langue popoluca de la Sierra avec la famille mixe-zoque dans Nordell (1962), les constructions passives dans Elson (1984), l’ordre des constituants dans Elson (1989), l’analyse des syntagmes dans Elson et Marlett (1983), l’analyse de la constructions des verbes dans Himes (1997), plus récemment une description linguistique dans Boudreault (2009) et un texte glosé et traduit dans Boudreault (2017). Pour sa part, Gutiérrez Morales (2008) analyse les effets du contact du popoluca de la Sierra avec le nahuatl et l’espagnol. De même, le PDLMA a compilé une base de données de la langue.

Le texistepec, popoluca de texistepec ou zoque de Texistepec pour sa part a été peu étudié. Ainsi, on trouve Reilly (2002, 2004a, 2004b, 2007) et Wichmann (1994, 1996, 2002, 2003, 2007) comme les seules sources scientifiques disponibles. Les travaux de Reilly se centrent sur une enquête linguistique (Reilly, 2002) et sur l’analyse de l’ergativité de la langue (2004a et 2004b). Pour sa part Wichmann propose une étude phonologique (1994), un recueil de contes (1996), un dictionnaire (2002), une analyse des paradigmes auxiliaires (2003) ainsi qu’une esquisse grammaticale incluant les paradigmes morphosyntaxiques (2007). Plus récemment, un texte glosé et traduit a été publié (Wichman et Boudreault, 2017).

L’ayapaneco est parmi les langues de la famille, celle qui est la moins étudiée (voir section 2.3.9). En effet, la littérature scientifique se limite à un petit vocabulaire (Webb et Reber, 1960), une petite liste de mots et une mini description linguistique (García de León, 1969), une page sur les caractéristiques phonologiques de la langue (Wichmann, 1995), un article à propos de l’effet de la médiatisation sur les locuteurs d’ayapaneco (Suslak, 2011), un dictionnaire en attente de publication (Suslak, sous presse), un texte glosé et traduit (Suslak, 2017) et un travail sur la typologie des locuteurs d’ayapaneco (Rangel, 2017).

Toutes ces publications représentent la liste exhaustive des travaux consacrés à l’ayapaneco. Par conséquent, on constate que l’état de la littérature sur l’ayapaneco est fortement lacunaire. En effet, il n’existe aucune description linguistique approfondie sur la langue ce qui représente un défi pour l’élaboration de cette thèse.

Table des matières

1 Introduction
1.1 Le zoque ayapaneco
1.1.1 Classification linguistique et distribution géographique
1.1.2 Littérature sur la famille mixe-zoque et l’ayapaneco
1.1.2.1 Branche mixe
1.1.2.2 Branche zoque
1.2 Contexte
1.2.1 Brève histoire
1.2.2 Découverte de la langue
1.2.3 Contexte multilingue et politiques linguistiques
1.2.4 Ethnographie
1.2.5 Prise de conscience et médiatisation
1.2.6 Nombre de locuteurs
1.3 Questions de recherche, hypothèses et objectifs
1.3.1 Questions de recherche
1.3.2 Hypothèses de départ
1.3.3 Objectifs de la recherche
1.4 Contribution de la thèse
1.4.1 Documentation et description des langues en danger
1.4.2 Langues de la famille mixe-zoque
1.4.3 Expressions du domaine spatial
1.4.4 Variation linguistique
1.4.5 Origine de la variation linguistique dans les langues en danger
1.5 Méthodologie et traitement des données
1.5.1 Méthodologie et travail de terrain
1.5.2 Cadre de recherche-collaboration et locuteurs
1.5.3 Données
1.5.4 Traitement des données
1.5.5 Glose et transcription
1.6 Organisation de la thèse
2 Langue en danger et locuteurs d’ayapaneco
2.1 Introduction
2.2 Continuum de vitalité et langues en danger
2.2.1 Echelle de transmission intergénérationnelle
2.2.2 Langue en danger et langue moribonde
2.2.3 Echelle à neuf facteurs
2.2.4 Echelle complexifiée de la transmission intergénérationnelle
2.2.5 Echelle de mise en danger à trois facteurs
2.3 Vitalité du zoque ayapaneco
2.3.1 Transmission de la langue d’une génération à l’autre
2.3.2 Nombre absolu de locuteurs
2.3.3 Taux de locuteurs sur l’ensemble de la population
2.3.4 L’utilisation d’une langue dans les différents domaines et fonctions
2.3.5 Réaction face aux nouveaux domaines et médias
2.3.6 Matériels d’apprentissage et d’enseignement des langues
2.3.7 Attitudes et politiques linguistiques au niveau du gouvernement et des institutions
2.3.8 Attitudes des membres de la communauté vis-à-vis de leur propre langue
2.3.9 Type et qualité de la documentation
2.3.10 Synthèse
2.4 Classifications des locuteurs de langues en danger
2.4.1 Paramètres de classification
2.4.2 Profils de locuteurs
2.5 Profils des locuteurs d’ayapaneco
2.5.1 Mythe des derniers locuteurs d’ayapaneco
2.5.2 Paramètres distinctifs linguistiques
2.5.2.1 Outils d’évaluation de la compétence linguistique
2.5.2.2 Limites des outils d’évaluation
2.5.3 Paramètres de l’acquisition et de la perte de compétences
2.5.4 Niveau d’usage, d’exposition à la langue et compétence linguistique
2.5.5 Pratiques langagières, compétence linguistique et appartenance
2.5.6 Compétence linguistique et partenaires linguistiques
2.5.7 Croisement de paramètres
2.5.8 Classification des locuteurs par les locuteurs
2.5.8.1 Type 1. ni yodo numdi ʔoodi
2.5.8.2 Type 2. taani yodo gwüü numdi ʔoodi
2.5.8.3 Type 3. ni mbyadaj pero taani yodo
2.5.8.4 Type 4. ni yeʔe yuj numdi ʔoodi
2.5.8.5 Chevauchement et changements de types
2.5.9 Synthèse
2.6 Conclusion
3 Conclusion

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