Passage de la gestion du risque sous incertitude à la gestion de la résilience

Historique et définition de la gestion des actifs ou « asset management »

La gestion des actifs (ODA) ou « Asset Management (AM) » a été utilisée la première fois dans les années 1980 au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande dans le but d’ assurer la performance des actifs, la sécurité, la production de biens ou de services, la réduction des coûts, le support de la planification stratégique et la priorisation des activités sur les actifs et ce, par le biais d’ actions pro actives (Heck, 2008; IAM, 2015). Selon !AM (2015), ces premières applications furent dans le domaine du pétrole, du gaz et du secteur public. Dès 1988, elle a permis pendant des décennies à la « US national Council on Public Works » de définir des politiques dans le domaine des infrastructures et de l’eau pour assurer le niveau de service souhaité pour un coût de cycle de vie minimal (lAM,2015). En 1994, l’Institue of Asset Management (lAM) fut créée et commença à travailler avec différentes organisations qui aboutirent à l’établissement de la norme britannique sur les actifs physiques PAS 55 en 2004 qui fut renouvelée en 2008 (lAM, 2015). Finalement, ce n’est qu’en 2014 qu’une norme internationale qui la concerne, ISO 55000, fut publiée. C’ est ce qui fait d’elle une jeune discipline en cours de maturation et d’ expansion compte tenu de son rôle dans la création de valeurs ajoutées durables à une organisation par l’entremise des actifs (Komljenovic et al., 2016). En ce sens, au vu des vertus de la gestion des actifs (GDA), plusieurs secteurs d’activités ont commencé à créer une GDA spécifique aux leurs. Par exemple, les industries d’ infrastructures en génie civil notamment celles de l’ Australie, de l’Angleterre et des États-Unis ont adopté une GDA qui se définit comme un processus décisionnel rationnel qui a pour but de satisfaire le niveau de service exigé sur leurs actifs et qui optimise les coûts et les opportunités (S. Park et al., 2016).

L’ industrie nucléaire a développé une approche de la GDA basée sur la gestion des actifs à risques ou « Risk lnformed Asset Management (RIAM) » qui est une approche de la gestion des risques qui soutient la planification à long terme des actifs et les décisions d’ investissement pour améliorer la sécurité et l’économie (Vaurio, 2011). Les industries d’énergie électrique cherchent à développer une gestion des actifs appropriée pour mesurer, prédire et optimiser les coûts sur leurs systèmes de transmission d’énergie tout en optimisant les coûts d’ investissement et de maintenance (Lacroix et Stevenin, 2016). Plusieurs progrès ont été accomplis dans cette discipline à travers le monde (lAM, 2015). Sa nécessité est née de la nature complexe des systèmes modernes (Hastings, 2015). Ceci est dû à la mondialisation du marché, l’ évolution rapide de la technologie, la concurrence ardue entre les entreprises qui font face à des clients exigeants, l’ apparition d’évènements perturbateurs, etc. Pour définir la gestion des actifs, plusieurs paramètres intrinsèquement liés à l’organisation, s’ imposent. Ces paramètres dépendent des valeurs, du besoin/attente/implication des parties prenantes, du contexte commercial et opérationnel, de la législation, des ressources et des plans et objectifs de l’organisme (lAM, 2015; ISO- 55001,2014; PAS-55, 2008). Hastings (2015, p. Il) soutient que « asset management supports the realization ofvalue while balancing financial, environmental and social costs, risk, level and quality of service, and asset performance ». La norme britannique sur la gestion des actifs, PAS-55 (2008), la définit comme: « Systematic and coordinated activities and practices through which an organization optimally and sustainably manages ifs assets and asset systems, their associated performance, risks and expenditures over their life cycles for the pur pose of achieving ifs organizational strategie plan ».

Science de la complexité et système complexe

La science de la complexité est une discipline qui n’est apparue qu’au cours de la dernière moitié du 20e siècle et qui s’ intéresse à l’ étude des systèmes complexes (McMillan, 2008). C’est une science qui prend de l’ampleur depuis la création du « Santa Fe Institute» dans les années 80 et qui est un centre qui explore les théories de cette discipline (Pascale, 1999). Elle recadre la vision faite sur les systèmes qui ne sont que partiellement compris par les connaissances scientifiques traditionnelles (Zimmerman et al., 1998). McKelvey (2004) soutient que deux écoles de pensée ont été développées pour cette science : l’école européenne et l’école américaine. La première se base principalement sur la science physique fortement soutenue par les mathématiques et la seconde s’ appuie sur la science de la vie, les sciences sociales et la théorie du chaos. La complexité fait référence au degré de difficulté pour prédire avec précision, les comportements futurs d’ un système (Fischi et Nichiani, 2015). Jensen et Aven (2018) soulignent que leur défi majeur en gestion des risques est que les connaissances au niveau du système sont insuffisantes même s’ il existe de grands acquis au niveau de ses composants.

Dans le contexte du marché actuel, les organisations sont considérées comme des systèmes complexes sous l’appellation « Complex Adaptive System (CAS) » ou Systèmes adaptatifs complexes (Boh6rquez Arévalo et Espinosa, 2015; Byrne et Callaghan, 2013; Daryani et Arnini, 2016; McMillan, 2008; Reiman et al., 2015; Zirnrnerman et al., 1998). Le terme « Complex System» ou système complexe est défini tel que précédemment discuté. Le terme « Adaptive» ou adaptatif signifie que le système a la capacité d’ alterner ou de changer, la capacité d’ acquérir de l’expérience (Zirnrnerman et al., 1998). Cette nécessité pour que les organisations s’adaptent est causée par la complexité de l’ environnement dans lequel elles évoluent (Boh6rquez Arévalo et Espinosa, 2015; Byrne et Callaghan, 2013). Or, comme mentionné dans la problématique de cette étude, la gestion du risque traditionnelle est inefficace pour gérer l’incertitude des perturbations dans les systèmes complexes. Par conséquent, il y a lieu de poursuivre davantage les réflexions sur les possibilités d’ évitement des évènements nuisibles sur les actifs ainsi que leurs phénomènes de cascade au sein de ces systèmes. Basée sur Jensen et Aven (2018), la définition d’un système complexe est vue comme suit: « Un système complexe est un système où les connaissances sur les causes et les conséquences de ses perturbations ou comportements sont médiocres même s’il existe des connaissances approfondies sur ses composants et interactions et ce, quelque soit le nombre de ceux-ci ».

Passage de la gestion du risque traditionnelle à la gestion du risque sous incertitude

Le développement rapide de la technologie, le changement de comportement des clients, l’émergence de nouveaux modèles commerciaux et la pression règlementaire engendrent des environnements dynamiques où l’ imprévisibilité devient élevée (Davis et al., 2009). De ce fait, l’ incertitude qui entoure les évènements aux effets nuisibles sur les actifs devient de plus en plus grandissante au vu de la complexité de l’environnement des organisations qui sont elles-mêmes des CAS (Complex Adaptive System). 36 Des travaux ont montré qu’ il existe toujours des incertitudes sur les risques qUi se manifestent au sein de ces systèmes (Goodwin et Wright, 2010; Jensen et Aven, 2018; Makridakis et al., 2009). De plus, une stratégie clé de la gestion de risque traditionnelle est d’ identifier les composants critiques et à les renforcer mais cette approche n’est pas toujours facile à concrétiser notamment lorsque l’environnement devient de plus en plus complexe, les interdépendances fortes et les menaces inconnues (Alderson et al., 2015; Bostick et al., 2018) Conséquemment, les organisations évoluent dans des incertitudes profondes et donc, la gestion du risque traditionnelle n’y est plus appropriée (Slagmulder et Devoldere, 2018). Ceci est causé par le fait que cette gestion du risque traditionnelle se recentre principalement sur la connaissance des évènements perturbateurs et de leurs conséquences (produit de la probabilité d’occurrence d’une perturbation par sa conséquence). C’est ce qui n’est pas évident dans le contexte précédemment mentionné. En ce sens, Aven (2017, pp. 541-542) soutient que « the risk assessments need to see beyond the traditional risk assessment methods and highlight the knowledge and lack of knowledge aspects of risk, and not only probabilities ».

En effet, un manque d’ information/donnée ne peut pas conduire à des probabilités précises (Y. Xia et al., 2017). De plus, il y a des lacunes dans cette gestion de risque traditionnelle pour la prise de décision lorsqu’ il n’ y a pas de distribution de probabilité associable aux conséquences possibles des perturbations (Giang, 2015). Ainsi, il s’est avéré que l’ utilisation de la probabilité n’a pu cerner tous les aspect pertinents de l’incertitude (Keynes, 2013). L’évaluation de la gestion du risque traditionnelle s’appuie principalement sur la connaissance des perturbations, de leurs probabilités d’ occurrence et des composantes du système. Or, cette stratégie devient insuffisante dans le cadre des systèmes complexes. C’est ce qui explique les lacunes de la gestion du risque au sein des systèmes complexes (Aldunce et al., 2015; Aven, 2017, 2018; Brusset et Teller, 2017; Eisenberg et al., 2014; Etinay et al., 2018; Folke, 2006; Jain, Pasman, et al., 2018; MacAskill et Guthrie, 2014; Mentes et Turan, 2018; Ongkowijoyo et Doloi, 2018; Parker et Ameen, 2018; Patriarca, Di Gravio, et al., 2018; Zio, 2018). Les approches de cette gestion du risque traditionnelle peuvent être contestées dans le contexte où les connaissances disponibles sont limitées ou médiocres du fait qu’elles ne fournissent pas une base solide pour une évaluation quantitative des risques (Aven et Zio, 2011). C’ est ce qui conduit au recours à la gestion du risque sous incertitude puisqu’avec des incertitudes de plus en plus présentes dans les paramètres d’ entrée, il faut prendre davantage de mesures pour réduire les risques (Bostick et al., 2018). Quelques outils pertinents de cette gestion du risque sous incertitude sont présentés au tableau 2.4.

Table des matières

DÉDICACE
REMERCIEMENTS
RESUMÉ
LISTE DES FIGURES
LISTE DES T ABLEAUX
AVERTISSEMENT
CHAPITRE 1 – DÉFINITION DU PROBLÈME DE RECHERCHE
1.1. Introduction
1.2. Problématique
1.3. Question de recherche et objectifs
CHAPITRE 2 – REVUE DE LA LITTÉRATURE
2.1 Introduction
2.2 Processus de la gestion des actifs (GDA) ou « asset management (AM) »
2.2.1. Notion d’un actif ou « asset »
2.2.2. Historique et définition de la gestion des actifs ou « asset management»
2.2.3. Modèles de gestion d’actifs
2.3. Science de la complexité, système complexe et évènements rares
2.3 .1. Science de la complexité et système complexe
2.3.2. Évènements rares
2.4. Gestion du risque traditionnelle et ses lacunes au sein des systèmes
2.5. Passage de la gestion du risque traditionnelle à la gestion du risque sous incertitude
2.6. Passage de la gestion du risque sous incertitude à la gestion de la résilience
2.7. Gestion de la résilience en GDA
2.7.1. Analyse de la résilience
2.7.2. Modèle et approches quantitatives de la gestion de la résilienc
2. 7.3. Lien entre gestion du risque et gestion de la résilience
2.8. Conclusion
CHAPITRE 3 – MÉTHODOLOGIE
3.1. Introduction
3.2. Rappel des objectifs
3.3. Structure de la méthodologie
3.4. Conclusion
CHAPITRE 4 – Conception du modèle de prise de décision et du cadre de gestion de la résilience
4.1. Introduction
4.2. Algorithme du modèle de prise de décision
4. 2.1. Construction de la base des évidences
4.2.2. Base de connaissances
4.2.3 Analyse du système
4.2.4. Évaluation de la base de connaissances
4.2. 5. Évaluation globale des risques
4.2.6. Revue, jugement et prise de décision
4.3. Approches génériques et spécifiques de la gestion de la résilience
CHAPITRE 5 – ÉTUDE DE CAS ET MISE EN APPLICATION DU CADRE DE PRISE DE DECISION
5.1. Introduction
5.2. Présentation de l’entreprise Hydro-Québec
5.3. Description de l’évènement de la tempête automnale du 1er novembre 2019
5.4. Données historiques d’interruptions de services d’Hydro-Québec lors de la tempête automnale du 1er novembre 2019
5.5. Algorithme de programmation sur Matlab
5.6. Modélisation du processus de récupération de la tempête
5. 7. Modélisation des coûts des évènements majeurs en contexte des lignes aériennes de distribution d’Hydro-Québec
5.7.1. Données historiques des évènements maj eurs dans le service de
5.6.2. Estimation de la fonction de répartition des coûts annuels des évènements rares (pannes majeures) du service de distribution
5.7.3. Test d’ ajustement
5.6.4. Calcul de la période de retour (périodicité) des pannes majeures
5.8. Coûts des pannes dans les lignes souterraines d’Hydro-Québec distribution
5.9. Mise en application du cadre développé dans le contexte de l’étude de cas
5.9.1 Base des évidences
5.9.2. Base de connaissances
5.9.3. Analyse du système
5.9.4. Évaluation de la base de connaissances, analyse des hypothèses et de ses sensibilités
5.9.5. Évaluation globale des risques
5.9.6. Revue, jugement et prise de décision
5.10. Conclusion
CONCLUSION
Annexe A (confidentielle) – Coût des pannes majeures, leurs clients heures-interruptions
(CHI) et leurs jours évènement extrême, Hydro Québec distribution
Annexe B (confidentielle) – Données sur la détermination des paramètres Gumbel & Graphique Gumbel pour les investissements annuels dans les pannes majeures en aérien
Annexe D (confidentielle) – Période de retour des investissements dans les pannes majeures en aériens
Annexe E (confidentielle) – Ratio des coûts, taux interruption, durée de vie et coût de remplacement des principaux éléments entre la structure aérienne et la structure souterraine ainsi que les coûts liés à la gestion de la végétation
Annexe F – Impacts importants des changements climatiques et leurs conséquences pour Hydro-Québec (Hydro-Québec, 2017, p. 64; 2018, p. 49)
Annexe H – Indice de durée d’interruption moyenne du client (Customer Average Interruption Duration Index « CAIDI »)
RÉFÉRENCES

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