Pistes d’amélioration des inégalités sociales de santé en médecine générale

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Introduction

Les premières descriptions du scorbut auraient été retrouvées au sein du papyrus d’Ebers, rédigé près de 1500 ans avant notre ère. En occident, les observations sur le sujet se multiplièrent en parallèle du développement de la construction navale, autour du XVe siècle. De nombreux explorateurs comme Christophe Colomb, Vasco de Gama, Ferdinand Magellan ou encore Jacques Cartier, durent alors assumer la responsabilité de leur ignorance, voyant régulièrement leur équipage réduit de plus de moitié après quelques mois de périple. Certains rapportèrent, au fil des années, plusieurs éléments thérapeutiques éprouvés pour traiter cette pathologie, alors surnommée « Peste des mers ». (1) (2) (3)
À titre d’exemple, au cours de l’hiver 1535, les bateaux de Jacques Cartier furent pris dans les glaces du Saint-Laurent ; une épidémie de scorbut décima son équipage : « Et tellement se esprit la dicte maladie à noz trois navires, que à la my Febvrier de cent dix hommes que nous estions il n’y en avoit pas dix sains (…) durant lequel temps nous deceda jusques au nombre de vingt cinq personnes ». En délicate posture, le capitaine quitta un jour ses hommes pour aller marcher sur la glace qui l’avait perdu et croisa le chemin d’Iroquois. Ces derniers lui enseignèrent le remède de cette condition, préparé à partir de feuilles et d’écorce d’Anneda : « Lequel a faict telle operation, que si tous les medecins de Louvain & de Montpellyer y eussent esté avec toutes les drogues de Alexandrie, ilz n’en eussent pas tant faict en ung an, que le dict arbre a faict en six jours ». (1) Dans cette région du monde, seuls les conifères, plantes vasculaires particulièrement riches en vitamine C, gardent leurs feuilles en hiver. (4)
La première étude expérimentale de l’histoire de la médecine occidentale, réalisée par James
Lind en 1753, apportera une preuve formelle de l’efficacité des agrumes dans la prise en charge du scorbut. En 1795, les marins anglais se mirent à embarquer un remède constitué d’alcool et de jus de citron à bord de leurs navires, ce qui permettra à la Royal Navy d’assurer sa suprématie sur les eaux du globe. Ce breuvage restera un secret militaire jusqu’en 1840, avant d’être imité par d’autres pays quelques années plus tard. (2) (3)
Au début du XXe siècle, la notion de vitamine (vit : vital, amine : composé organique) fut introduite, suite à la découverte de la thiamine et de son rôle dans le développement du béribéri. C’est en 1927 qu’Albert Szent-Györgyi parvint à décrire la structure chimique de la vitamine
C, après avoir étudié les phénomènes de respiration cellulaire et de production d’énergie et remarqué que l’oxydation des fruits et légumes était inhibée par le jus de citron. (3)
De nos jours, le scorbut est généralement considéré comme rare en occident, cette vitamine est encore souvent prescrite comme complément alimentaire avec un statut proche de celui du placebo : associée au paracétamol pour les états grippaux ou en vente libre en pharmacie pour lutter contre la fatigue passagère. En pensant à la vitamine C, le slogan bien connu de santé publique : « cinq fruits et légumes par jour » s’impose à nous. En France, le dosage de l’ascorbémie et le traitement par vitamine C sont remboursés par la sécurité sociale uniquement dans le cadre d’une suspicion de scorbut chez un patient pris en charge en milieu hospitalier.
Le travail que nous allons vous présenter est le fruit d’une réflexion approfondie sur la question de la vitamine C en population générale. Qui sont ces patients atteints de scorbut de nos jours ? Dans quelle mesure cette molécule peut-elle permettre d’améliorer la santé de nos patients ?

Physiopathologie du scorbut

a. Homéostasie et matrice extra-cellulaire
Depuis les premiers jours de la physiologie, les médecins reconnurent que la notion de santé était associée à un équilibre entre de multiples forces au sein d’un organisme. (5) (6) Cet équilibre, phénomène dynamique régit par nombre de lois, fut ensuite développé sous le terme d’homéostasie :
« Les moyens de manifestation physico-chimiques sont communs à tous les phénomènes de la nature et restent confondus pêle-mêle, comme les caractères de l’alphabet dans une boîte où une force va les chercher pour exprimer les pensées ou les mécanismes les plus divers. C’est toujours cette même idée vitale qui conserve l’être, en reconstituant les parties vivantes désorganisées par l’exercice ou détruites par les accidents et par les maladies ». Claude Bernard, Introduction à la médecine expérimentale, 1865.
L’environnement immédiat de toute cellule de l’organisme humain est le liquide extra-cellulaire, dispersé au sein d’une matrice extra-cellulaire (MEC) complexe. Cette matrice, synthétisée par les cellules, détermine en retour leur phénotype. Elle fournit un échafaudage
pour les organiser en tissus et participe à la transmission de l’information intercellulaire à l’aide de messagers chimiques afin de réguler leur activité, leur migration, leur croissance et leur différenciation. Les protéines de la matrice extra-cellulaire se disposent en fibres de collagène et d’élastine et en un mélange de protéoglycanes, protéines CCN et glycoprotéines de structure.
(5) (7)
b. Radicaux libres et stress oxydatif
Selon les lois de la chimie quantique, les électrons situés autour du noyau atomique occupent des régions nommées orbitales (fonction d’onde d’un électron, définissant son comportement spatial). De manière simplifiée, un atome serait dans sa configuration la plus stable lorsque chaque orbitale est occupée en totalité par des électrons ; un agent chimique ayant un ou plusieurs électrons non appariés sur sa couche externe est appelé radical libre. Les radicaux libres sont ainsi des composés instables, pouvant gagner des électrons en oxydant les atomes, ions, ou molécules voisines.
Ce mécanisme, mis en place dans le cadre de la réponse de l’organisme face à une situation d’hypoxie, d’agression par un germe pathogène, ou encore dans plusieurs voies de communications intracellulaires, peut être dérégulé. Cette dérégulation de la balance homéostatique, définie par la notion de stress oxydatif, peut être responsable d’altérations moléculaires affectant l’intégrité structurelle et fonctionnelle des tissus.
c. Métabolisme de l’acide ascorbique
L’acide ascorbique, molécule hydrosoluble, ne peut être stocké au sein de l’organisme humain.
Dans sa forme oxydée, relativement stable, il peut être métabolisé et éliminé par voie rénale, ou être de nouveau réduit. L’élimination se fait sous formes natives (acide ascorbique et acide déshydroascorbique) et de métabolites, dont le principal est l’acide oxalique. (8) (9) Sa concentration au sein de l’organisme varie en fonction du tissu considéré et des apports exogènes. (Figures 1 à 3)

Table des matières

Remerciements
Liste des abréviations
Table des matières
Liste des figures
I. Introduction
I. 1. Physiopathologie du scorbut
I. 1. a. Homéostasie et matrice extra-cellulaire
I. 1. b. Radicaux libres et stress oxydatif
I. 1. c. Métabolisme de l’acide ascorbique
I. 1. d. Synthèse du collagène
I. 1. e. Régulation du stress oxydatif
I. 1. f. Contrôle épigénétique
I. 1. g. Interactions
I. 1. h. Toxicité
I. 2. Manifestations cliniques
I. 2. a. Troubles neuropsychiatriques
I. 2. b. Atteinte cutanée et troubles des phanères
I. 2. c. Atteinte stomatologique
I. 2. d. Atteinte cardiovasculaire
I. 2. e. Manifestations rhumatologiques
I. 3. Considérations biologiques
I. 4. Prévalence du scorbut en occident
I. 5. Facteurs de risque
I. 5. a. Comorbidités
I. 5. b. Apports alimentaires
I. 5. c. Traitements
I. 6. Mode de vie et santé
I. 6. a. Mode de vie et mortalité
I. 6. b. Expositions environnementales
I. 6. c. Exposition aux toxiques, exemple du tabac
I. 6. d. Quand le mode de vie contribue à favoriser certaines pathologies : exemples de situations représentatives
I. 7. Prendre en compte le régime alimentaire de nos patients
I. 8. Pistes d’amélioration des inégalités sociales de santé en médecine générale
I. 9. Pandémie et inégalités sociales de santé
Finalement que retenir ?
II. Matériel et méthode
II. 1. Le choix de la méthode d’une série de cas
II. 2. Modalités et circonstances du recueil de données
II. 2. a. Le contexte du recueil des données
II. 2. b. Période de recrutement
II. 2. c. La réalisation du travail de thèse
II. 2. d. La répartition du travail dans le binôme
II. 3. L’identification des cas.
III. Résultats
III. 1. Caractéristiques des trente patients carencés
III. 2. Tableaux des caractéristiques des cas
III. 3. Série de six cas de scorbut
III. 3. a. Monsieur A
III. 3. b. Madame G.
III. 3. c. Madame M
III. 3. d. Madame S.
III. 3. e. Monsieur B
III. 3. f. Monsieur L
IV. Discussion
IV. 1. Discussion de la méthode
IV. 1. a. Les limites et les biais de cette méthode
IV. 1. b. La plus-value de cette méthode
IV. 1. c. Le travail de thèse en binôme
IV. 2. Discussion des résultats
IV. 2. a. Aspect nutritionnel
IV. 2. b. Facteurs de risque
IV. 2. c. Manifestations cliniques
IV. 2. d. Perturbations biologiques
IV. 3. Perspectives pratiques et scientifiques
V. Conclusion
Bibliographie

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