POESIE ORALE DU BURUNDI : LE CAS DES POEMES DE MARIAGE

POESIE ORALE DU BURUNDI : LE CAS DES POEMES DE MARIAGE

Guhoza umwana (Ibihozo) / les berceuses

La berceuse, par définition, selon le Dictionnaire Le Grand Robert, est une « chanson pour endormir un enfant ». Les berceuses, en tant que genre littéraire qui relève de l’oralité, sont constituées de paroles douces répétées en boucle ou inventées, qui finissent par apaiser le bébé qui pleure. Même si bercer l’enfant c’est le calmer quand il est en train de pleurer en associant paroles chantées et caresses, la plupart des chercheurs ont affirmé l’existence de cette forme culturelle et son universalité « en se fondant sur les postulats de la diffusion unanime du bercement et de l’existence constante du sentiment maternel. Les berceuses ont toujours eu une permanence émotionnelle. Leur point de départ, ce sont toujours l’amour et l’attention sans limite de la mère à l’égard de son enfant. (…). L’amour de la mère est toujours illimité surtout dans ses formes idéalisées et poétisées »223, affirme Albert DOJA. Au niveau énonciatif, les berceuses commencent par la formule « Hora, hora mwana wanje » (Calme-toi, calme-toi mon enfant) et la mère continue en chantant, développant ainsi des thèmes variés, tel la jalousie qu’ont les femmes qui n’ont jamais mis au monde à l’égard de celles qui ont eu ce privilège d’enfanter. Ceci laisse entendre que, par principe, c’est la mère qui berce son enfant même si d’autres peuvent aussi le faire comme Albert DOJA continue à le dire:  « Les suppléantes naturelles de la mère sont les grand-mères et éventuellement les tantes et d’autres femmes proches de la famille (…). Dans la littérature anthropologique, peu de documents pour la plupart incertains (…) attestent que ce rôle soit assumé par des hommes. Leur rôle (bien entendu les femmes224 ) dans cette activité maternelle est d’assurer en même temps la transmission continue de la tradition orale des chants ».225 C’est aussi l’occasion qui est offerte à la mère d’exalter publiquement la joie qu’elle a et remercier du coup le Tout Puissant pour lui avoir donné un enfant, une chance qui n’est pas donnée à tout le monde.On entendra ainsi dire « umwana ni akatabona bose » (un enfant est un don qui n’est pas offert à tout le monde ). En un mot, l’enfant est un cadeau divin. Dans cette littérature orale chantée par la mère de l’enfant, Cikuru BATUMIKE note que : « Les mots, les images et les nombreuses métaphores utilisés sont d’une très grande force évocatrice (…). Dans ces poèmes, l’amour maternel déborde « sans contrainte, sans fausse honte; la fierté de la femme féconde s’exprime librement. La mère chante son admiration devant l’objet de son affection, elle souhaite le bonheur de ce petit être fragile entouré de tant d’ennemis possibles, elle mêle à son chant ses préoccupations, elle songe à la haine que lui porte sa rivale, sa coépouse, l’autre femme de son mari ».C’est pourquoi la mère dit qu’elle ne donnera pas son enfant à sa coépouse qui pourrait lui imposer des traitements dégradants. Voici un exemple : 1 Hora, hora mwananje Hora, hora nkwime mukaso Mukaso ni igikoko Yogutuma gusenya 5 Yogutuma kuvoma Mu mvura y’igitondo Traduction (Notre traduction) 1 Calme-toi, calme-toi mon enfant Calme-toi, calme-toi je ne te donne pas à ma coépouse 224 Ce sont nos propres commentaires pour éviter la confusion entre le rôle des hommes et celui des femmes. 225 DOJA, A., Op.cit., p. 188. 226 BATUMIKE, C., « Poète africain, où es-tu passé? », in Agencetropiques, 2003, en ligne, consulté le 16 octobre, 2014. 245 Ma coépouse est un animal Elle t’enverrait chercher du bois de chauffage 5 Elle t’enverrait puiser de l’eau Pendant qu’il pleut le matin Les berceuses, de par leur contenu, constituent un moyen de communication à travers lequel la mère exprime ses joies et peines et, de manière publique, dit aussi ce qu’elle pense de son entourage et de la société en général.

Imyibutsa/ les proverbes

Comme nous avons eu l’occasion de le dire à propos du conte, le proverbe est aussi un conte mais sous forme de synthèse de toute une situation que l’on peut dérouler durant plusieurs heures. Il existe plusieurs définitions du proverbe, mais toutes convergent vers le fait qu’il exprime une vérité d’expérience comme on aime citer volontiers Don Quichotte qui le résume ainsi : Sentencias brevas sacadas de la experiencia « Courtes sentences tirées d’une longue expérience ».Les différentes définitions s’accordent également sur le fait qu’un proverbe est un conseil populaire, une proposition courte qui est généralement imagée. Pour illustration, prenons-en deux définitions tirées de deux sources différentes : 1. Un proverbe est une « Formule présentant des caractères formels stables, souvent métaphorique ou figurée et exprimant une vérité d’expérience ou un conseil de sagesse pratique et populaire, commun à tout un groupe social ».228 2. Un proverbe est une « Sentence courte et imagée, d’usage commun, qui exprime une vérité d’expérience ou un conseil de sagesse et auquel se réfère le locuteur ».229 En confrontant les deux sources, nous pouvons dire qu’un proverbe use des images, renforce les arguments et enrichit la conversation. Bien plus, il n’est compris que par des auditeurs familiarisés avec la culture de celui qui l’énonce. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (C.N.R.T.L.), France, mise en ligne en 2012, consulté le 17 octobre 2014. 246 Les proverbes au Burundi comme partout où on les utilise, constituent un champ privilégié pour justifier une situation. Et comme ils n’ont pas d’auteurs connus, ils véhiculent des messages au nom de la mémoire collective. Ainsi, un locuteur, en voulant insérer un proverbe dans sa conversation en vue d’étayer son argumentation, s’empêche de le dire en son nom propre. Il dit ceci en kirundi: « Abasokuru barayamaze bati : « … » (Nos aïeux l’ont bien dit : « …»230). En kirundi, le proverbe appelé « umwibutsa » (quelque chose qui rappelle) se présente généralement sous forme de structure binaire, donc deux propositions dont l’une est imagée. Qui dit rappel, dit en même temps un renvoi à la notion de référence que Georges KLEIBER développe en ces termes : « Si le proverbe s’inscrit dans une relation référentielle dénominative de nature métalinguistique, c’est, tout d’abord, parce qu’il doit avoir fait l’objet d’un acte de dénomination préalable pour pouvoir être utilisé et faire référence à un objet x ».231 Ceci montre que l’utilisateur appuie son argumentation en faisant référence à un autre objet qui vient donner du poids aux idées avancées. La force des proverbes réside aussi dans le fait que les mots tels qu’ils sont rangés sur l’axe syntagmatique sont impossibles d’être remplacés l’un par son synonyme. Cela s’explique par le caractère codé du proverbe, le décodeur étant détenu par les usagers partageant la même culture. Ex. : Abagabo barara kubiri bakarota rimwe (Des gens pensent la même chose en n’étant pas ensemble) Ici, la structure binaire du proverbe nous aide à comprendre cette réalité du codage. Les deux propositions du proverbe se séparent au moment de garder la pause et nous avons ainsi : Abagabo barara kubiri / bakarota rimwe. La barre oblique indique la frontière des deux propositions qui se complètent. On dirait la césure qui sépare les deux hémistiches dans un alexandrin. Au niveau syntagmatique, il n’est pas possible de procéder au remplacement d’un mot par son équivalent car, le proverbe perdrait son sens. Par exemple on ne peut pas faire la substitution de « Abagabo » (des hommes qui désignent les gens de manière globale dans le proverbe) par « Abagore » (des femmes) et garder le même sens du proverbe. Les points de suspension sont à la place du proverbe que le locuteur lance pendant la conversation. De ce qui précède, nous pouvons affirmer avec moins de risques de nous tromper, que les expressions ou les éléments constitutifs des proverbes sont pour la plupart connotés. En réaction à la définition d’un auteur anglais  pour qui un proverbe doit être : « a) court, b) simple, c) répandu, d) figuratif, e) ancien, f) vrai. » , M.A.J. Greimas, lui, proposait234 d’opposer les proverbes aux dictons, les premiers étant connotés, donc figuratifs, et les derniers non connotés. Au moment de l’enseignement des proverbes, le maître énonce la première partie pour se faire compléter par l’apprenant dans le strict respect du rythme profond qu’est le moment de la pause (ce n’est pas généralisé pour tous les proverbes du kirundi). Illustrons ce cas de figure par un exemple concret. Nous donnons la traduction littérale d’abord pour ensuite faire la traduction littéraire pour permettre au lecteur la compréhension du proverbe : Impfizi y’intama… (Un mâle de la brebis…). Un tel syntagme, sur le plan sémantique, ne peut intéresser personne, du moins si on garde cette traduction littérale qui est en même temps une paraphrase. En faisant une traduction littéraire, le sens se construit. Ainsi, « Impfizi y’intama » ne se traduira pas par « un mâle de la brebis » mais plutôt par « Tel père ». De cette façon, il sera plus aisé d’imaginer la suite, pour finalement construire le sens complet du proverbe qui est : « Impfizi y’intama itendera nka se » dont l’équivalent en français est « Tel père tel fils ». En paraphrasant J.Cauvin, nous pouvons dire que comprendre finalement un proverbe revient à comprendre la culture dans laquelle le proverbe est émis. Or, un proverbe recourt à ce langage imagé, et bien plus, « Chez l’Africain (…), le langage est si imbibé de mystique que sa saisie et sa compréhension s’en trouve dépendante de la nécessité de découvrir une clé appropriée pour le décryptage et le décodage de l’encodage des images pourvoyeuses de sens que charrient le langage en tant que discours ».235 232 Dans son article, MILNER, G. B., ne précise pas le nom de cet auteur anglais. Pour question d’honnêté intellectuelle, nous avons préféré reprendre le passage tel qu’il est libéré.  Au niveau définitionnel, la notion de proverbe est très discutée par différents chercheurs, selon les langues et les cultures. Nous trouvons intéressant à ce stade, l’apport de Georges B. MILNER quand il propose de : « Concentrer son attention sur les propriétés communes des locutions proverbiales, et surtout sur celles qui sont si générales qu’elles restent valables d’une langue et d’une société à l’autre ».236 Sa contribution est constituée d’éléments sur lesquels tout le monde semble être d’accord plutôt que de se limiter aux seules définitions tirées des dictionnaires occidentaux selon son entendement. Ainsi : a) Une locution proverbiale est, ou doit être, laconique, lapidaire et facile à retenir. Fréquemment elle rime, elle est rythmée, elle est marquée par la répétition, l’allitération ou l’assonance. b) Elle est piquante et gauloise. Elle sent le terroir et parfois elle est grossière. Elle traite des intérêts primordiaux de l’homme et de la femme : l’amour et la lutte; la santé et la maladie; l’âge et la jeunesse; la nourriture et la faim; la pauvreté et la richesse; le travail, le délassement et la vie familiale. c) Elle formule un message abstrait et universel fondé sur l’expérience et l’observation. Ce message peut être exprimé au propre ou au figuré. d) Elle donne un aperçu immédiat d’une situation en soulignant son côté comique, souvent par une allusion plus ou moins discrète. Elle s’adresse au bon sens, à l’honnêteté, à la simplicité. e) Elle se rattache souvent à une expression qui de prime abord a l’air de lui donner le démenti. Cependant toutes deux restent valables et passent pour avoir leur quote-part de vérité. f) L’emploi d’une locution proverbiale a souvent l’effet de rehausser le discours du ton ordinaire à un ton fortement marqué. Le but en est soit de louer, d’exhorter, d’enseigner ou de convaincre, soit d’avertir, de condamner, d’empêcher ou de désabuser. En se résumant, Georges B. MILNER note que : « Le trait distinctif d’une locution proverbiale consiste en ce qu’elle possède une armature symétrique de fond et de forme. En corollaire, la valeur (et, par là, la faveur) d’une locution proverbiale est fonction directe de la mesure dans laquelle la symétrie de la forme reproduit la symétrie du fond ».237 Dans son article « Idiotismes, proverbes, dictons »238 , GREIMAS attire l’attention de ses lecteurs sur la structure binaire des proverbes et parle avec justesse de « couples oppositionnels de mots » pour reprendre ses propres termes. Pour lui, « Une locution proverbiale est un énoncé quadripartite. C’est ce fait d’avoir quatre parties constituantes qui la distingue des métaphores et des idiotismes, qui, eux, sont en général tripartites ou bipartites ».Dans cette même source, nous précise Algirdas Julien GREIMAS : « Chaque quadrant renferme un mot ( ou plusieurs ) se rapportant à quelque chose que l’on peut qualifier de « bon » ou de « mauvais » pour en indiquer brièvement et commodément le caractère utile ou inutile, agréable ou désagréable, dangereux ou inoffensif, ami ou ennemi, attrayant ou rébarbatif, avantageux ou désavantageux et ainsi de suite. C’est ce mot qui donne au quadrant où il se rencontre sa valeur et sa fonction dans l’ensemble de la locution (…). Il attribue à un tel mot le signe (+) s’il se rapporte à quelque chose de « bon », et le signe (-) s’il se rapporte à quelque chose de « mauvais ». Toute locution proverbiale ainsi définie se compose par conséquent d’une moitié initiale positive ou négative que nous appellerons tête, suivie d’une moitié finale positive ou négative que nous appellerons queue. » En nous servant de cette théorie de GREIMAS, dans les exemples ci-dessous, la barre oblique (/) indique la frontière entre la tête et la queue de la locution proverbiale (en kirundi) alors qu’en français la tête et la queue seront séparées par une virgule (,) mais pas pour tous les proverbes. Pour permettre une lecture aisée à ceux qui ne comprennent pas le kirundi, l’application est faite sur les traductions en français que nous présentons dans un tableau à deux colonnes et deux lignes. La première ligne représente la tête et la seconde la queue. La deuxième colonne quant à elle, mentionne la positivité ou la négativité de la tête ou de la queue. Ainsi, nous mettons entre  parenthèses le signe (+) ou (-) devant chaque mot ou groupe de mots pour en indiquer qu’il se rapporte à quelque chose de « bon » ou de « mauvais ». Pour lever toute équivoque, nous allons utiliser dans la suite le mot proverbe à la place de locution proverbiale. Nous pensons que dix (10) exemples suffisent pour illustration. 

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : CORPUS, TRANSCRIPTION, TRADUCTION ET ANNOTATION
DEUXIEME PARTIE : LA SOCIETE BURUNDAISE ET SA LITTERATURE ORALE
CHAPITRE 1 : PRESENTATION DE LA SOCIETE BURUNDAISE DANS SON ENSEMBLE
CHAPITRE 2 : LES DIFFERENTS GENRES DE LA LITTERATURE ORALE DU BURUNDI
TROISIEME PARTIE : ETUDE THEMATIQUE
CHAPITRE 1 : L’EVOLUTION DE LA FEMME BURUNDAISE A TRAVERS LES POEMES DE MARIAGE
CHAPITRE 2. LA VARIETE THEMATIQUE, INDICATEUR D’UNE PENSEE MULTIPLE ET PROFONDE
QUATRIEME PARTIE : ETUDE STYLISTIQUE
CHAPITRE 1 : LA THEORIE STYLISTIQUE ET RHETORIQUE APPLIQUEE AUX CHANSONS DE MARIAGE
CHAPITRE 2 : LA DIMENSION POÉTIQUE DANS LES CHANSONS DE MARIAGE A TRAVERS LES PROCEDES STYLISTIQUES ET RHETORIQUES
CONCLUSION GENERALE

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