Polymorphisme associé aux ressources

Polymorphisme associé aux ressources 

Chez les vertébrés, les individus d’une même espèce peuvent présenter un polymorphisme associé aux ressources, soit la présence de deux ou plusieurs formes à l’intérieur d’une même population (SkUlason and Smith 1995; Robinson and Wilson 1994). Il est parfois possible de faire la différence entre les formes (ou écotypes) en se basant surla morphologie, la coloration, les traits d’histoire de vie et  le comportement (Smith and SkUlason 1996). Ces formes présentent souvent des adaptations morphologiques ou comportementales liées à l’acquisition de ressources différentes, dans des habitats distincts (SkUlason and Smith 1995; Jonsson and Jonsson 2001; Adams and Huntingford 2002; McKinnon and Rundle 2002; Robinson and Parsons 2002). Ces différences permettraient aux individus d’obtenir des avantages adaptatifs dans leurs habitats respectifs. La sélection divergente associée à l’utilisation différentielle des ressources est considérée comme une force évolutive qui peut mener à de la spéciation, s’il y a éventuellement un isolement reproducteur (Figure 1; SkUlason and Smith 1996).

Polymorphisme associé aux ressources chez les poissons 

Le polymorphisme associé aux ressources est commun chez les poissons (SkUlason and Smith 1995; Smith and SkUlason 1996). Les lacs de l ‘hémisphère nord présentent généralement deux types d’habitats distincts, soit la zone littorale et la zone pélagique et dans plusieurs études portant sur le polymorphisme associé aux ressources, différentes formes de la même espèce sont associées à ces deux zones (Smith and SkUlason 1996). Par exemple, des formes littorales et pélagiques ont été observées chez l’omble chevalier  (Salvelinus alpinus) (Gudkov 1994; Griffiths 1994; Hindar and Jonsson 1982), la truite brune (Salmo trutta) (Ferguson and Taggart 1991; McVeigh et al. 1995), le saumon sockeye (Oncorhynchus nerka) (Foote et al. 1989; Wood and Foote 1990), le grand corégone (Coregonus clupeaformis) (Bodaly et al. 1988; Echelle and Komfield 1984), l’éperlan arc-en-ciel (Osmerus mordax) (Taylor and Bentzen 1993), l’épinoche à trois épines (Gasterosteus aculeatus) (Cresko and Baker 1995; McPhail 1994), le crapet soleil (Lepomis gibbosus) (Eh linger and Wilson 1988; Robinson and Wilson 1994) et le crapet arlequin (Lepomis macrochirus) (Robinson et al. 1993; Wimberger 1994).

Il y a principalement deux types de polymorphisme associé aux ressources chez les poissons: un polymorphisme « contrastant» où les différences entre les formes sont clairement visibles et un polymorphisme « subtil» où les différences morphologiques peuvent seulement être détectées par des mesures précises et des analyses statistiques multivariées (SkUlason and Smith 1995; Robinson and Wilson 1996). Le cas de l’omble chevalier de lacs scandinaves (Hindar and Jonsson 1982; Malmquist 1992) est un exemple de polymorphisme contrastant. Par exemple, le lac Vangsvatnet en Norvège présente plusieurs formes d’omble chevalier (Hindar and Jonsson 1982). La population du lac est composée d’un phénotype pâle présentant des marques de tacon sur les flancs ainsi qu’une faible coloration de fraie (ombles nains) et un autre, présentant des flancs argentés en condition normale et une coloration rouge vif en période de fraie (ombles normaux) (Hindar and Jonsson 1982). La distribution des individus et des ressources alimentaires de chacune des formes ont montré qu’il y a une ségrégation marquée au niveau de l’habitat et des ressources alimentaires durant l’été, la forme naine occupant la zone profonde benthique et la forme normale, la zone littorale (Hindar and Jonsson 1982). Il y a disparition de cette ségrégation en période d’abondance des ressources, ce qui suggère que le choix de l’habitat serait causé par une compétition intraspécifique pour les ressources alimentaires (Hindar and Jonsson 1982). Les auteurs ont comparé les formes d’ombles du lac Vangsvatnet avec ceux du lac Lgnavatnet, un lac voisin moins profond qui présente une seule forme d’omble mature, sois la forme normale. Les auteurs ont conclu que les formes d’omble chevalier sont adaptées aux conditions environnementales locales telles que la morphologie du lac, la disponibilité de nourriture ainsi que la composition de la communauté de poissons (Hindar and Jonsson 1982). Le nombre de formes dans un endroit donné serait donc associé au nombre de niches écologiques disponibles durant la saison de croissance (Hindar and Jonsson 1982).

Le cas du crapet soleil (Lepomis gibbosus) du lac Paradox dans l’état de New York est un exemple de polymorphisme subtil (Robinson and Wilson 1996). Cette étude a montré les compromis fonctionnels pour deux variables de la valeur sélective (angl. : fitness), le facteur de condition et le taux de croissance chez une population de crapet soleil. Les poissons des habitats littoral et pélagique diffèrent par leur alimentation, la forme générale du corps et la morphologie de structures trophiques telle que les branchicténies et la mâchoire pharyngienne (Robinson et al. 1993). Il est intéressant de noter que cette population n’est pas constituée de deux formes distinctes, mais bien d’une distribution morphologique unimodale dans laquelle la plupart des poissons ont une forme intermédiaire (Robinson and Wilson 1996). Les auteurs ont trouvé que les poissons qui affichent des extrêmes de morphologie pélagique (corps plus fusiformes) ont en moyenne une croissance et un facteur de condition supérieurs aux poissons qui affichent des caractères morphologiques intermédiaires, particulièrement ceux capturés dans la zone pélagique (Robinson and Wilson 1996). Cet exemple montre bien que même subtiles, les différences morphologiques permettent de supposer un avantage adaptatif au niveau intraspécifique.

Polymorphisme associé aux ressources chez l’omble de fontaine 

L’omble de fontaine (Salvelinus fontinalis) retrouvé dans les lacs du Bouclier canadien présente un polymorphisme subtil associé aux ressources; une forme littorale s’alimente de proies benthiques dans la zone littorale et une forme pélagique s’alimente de zooplancton dans la colonne d’eau (Venne and Magnan 1995; Bourke et al. 1997, 1999; Dynes et al. 1999; Rainville et al. 2021 a, b). Les différences individuelles dans l’utilisation de l ‘habitat ont été reliées à des différences morphologiques: les individus pélagiques sont plus fusiformes et affichent des nageoires pectorales plus courtes que les individus littoraux, qui sont plus trapus et présentent des nageoires pectorales plus longues (Bourke et al. 1999; Dynes et al. 1999; Marchand et al. 2003; Proulx et Magnan 2002, 2004). Une forme fusiforme réduirait le coût énergétique de la nage (réduction de la friction) en eau libre (Gatz 1979; Webb 1984) et devrait ainsi améliorer les performances de recherche et d’acquisition des ressources alimentaires dispersées et mobiles, tels que le zooplancton. Par ailleurs, un corps plus trapu améliorerait les mouvements soudains et rapides (angl. : burst swimming), qui seraient avantageux lors de la capture de proies benthiques retrouvées dans l’habitat littoral, telles que les larves d’insectes, plus grandes et plus rapides (Webb 1984; Norton 1991; Malmquist et al. 1992; Walker 1997). Les nageoires pectorales plus longues des individus spécialisés sur les proies benthiques seraient quant à elles mieux adaptées aux manœuvres complexes dans l’habitat littoral, alors que les nageoires pectorales plus courtes des individus spécialisés sur le zooplancton permettraient de réduire la résistance de l’eau durant la nage dans la zone pélagique (Gatz 1979; Webb 1984; Winemiller 1991).

La différentiation morphologique liée au polymorphisme associé aux ressources serait reliée fonctionnellement avec la performance de nage et l’énergétique des deux écotypes. Dans des expériences de nage à différentes vitesses de courant, Peres-Neto et Magnan (2004) ont trouvé que des changements morphologiques ont été induits chez les deux formes en réponse à des demandes énergétiques différentes (Peres-Neto and Magnan 2004). La longueur de la nageoire pectorale, qui diminuait en fonction d’une augmentation de la vitesse du courant, était le trait qui répondait le plus fortement aux prédictions attendues sous une sélection divergente liée à l ‘habitat. Dans des expériences de nage forcée en respiromètres, Rouleau et al. (2010) ont observé que la vitesse de nage critique (Ucrit) des individus pélagiques provenant du milieu naturel était supérieure à celle d’individus littoraux. De plus, les individus littoraux et pélagiques élevés en laboratoire ont montré des Ucrit supérieures à leurs hybrides. Les valeurs de Ucrit supérieures étaient associées à des nageoires pectorales, anales, caudales et dorsales courtes (poissons sauvages) ainsi qu’à une largeur de corps (poissons sauvages et ceux élevés en laboratoire) et hauteur de corps (poissons élevés en laboratoire) plus élevées. Lorsque forcés à se nourrir dans des enclos situés en zone pélagique, des ombles de fontaine littoraux ont dépensé plus d’énergie (Marchand et al. 2003) et présentaient une performance physiologique moins grande (Proulx and Magnan 2002) que les individus pélagiques, suggérant que la diversification associée aux ressources est adaptative chez cette espèce.

Table des matières

Chapitre 1 Introduction
1.1 Polymorphisme associé aux ressources
1.2 Polymorphisme associé aux ressources chez les poissons
1.3 Polymorphisme associé aux ressources chez l’omble de fontaine
1.4 Mécanismes responsables de l’expression des traits chez les vertébrés
1.4.1 Transmission héréditaire
1.4.2 Plasticité phénotypique
1.4.3 Épigénétique
1.5 Problématique
1.6 Objectifs et prédictions
Chapitre II Multi-generational transmission of behavioral and morphological traits in littoral and pelagie brook charr (Salvelinus fontinalis): evidence of transgenerational epigenetic inheritance
Abstract
Introduction
Material and methods
Experimental fish and rearing conditions
Foraging experiments
Morphological measurements
Statistical analyses
ResuIts
Foraging behavior
Morphology
Discussion
Inheritance of foraging behavior
Inheritance of morphological traits
Conclusion
Acknowledgments
References
Figure captions
Tables
Supplementary material
Chapitre III Conclusion générale

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