Question du management du travail local via plateforme

Question du management du travail local via plateforme

Définir le travail local via plateforme

Cette première section vise à définir ce que nous entendons par « travail local via plateforme ». Nous proposons cette notion afin d’identifier, de manière la plus neutre possible, le phénomène empirique qui consiste à déployer une activité rémunérée et coordonnée par l’intermédiaire de plateformes numériques. Dans un premier temps, nous retracerons l’émergence des plateformes numériques de travail. Pour ce faire, nous définirons d’abord ce qu’est une plateforme numérique. Puis, nous inscrirons la plateformisation au sein d’une tendance générale à l’externalisation et à l’individualisation du travail. Nous verrons dans un second temps que le travail via plateforme recouvre une hétérogénéité de situations, peu comparables entre elles. De ce fait, le phénomène est difficilement mesurable. Nous identifierons une pluralité de formes de travail via plateforme afin de mettre en exergue les particularités du travail local via plateforme, que cette recherche doctorale propose d’analyser. 1. L’émergence des plateformes numériques de travail Dans cette partie, nous nous attacherons à comprendre d’où vient ce phénomène nouveau de travail via plateforme en le replaçant dans son contexte global. Nous commencerons (1.1) par définir ce qu’est une plateforme numérique en tant qu’innovation technique. Ensuite, loin d’une perspective déterministe, nous montrerons (1.2) que cette innovation technique a rencontré des aspirations économiques générales de réduction des coûts. Nous défendrons une compréhension du travail via plateforme comme une extension des formes atypiques de travail au sein d’une économie financiarisée.

Une innovation technique nommée plateforme

Définir ce qu’est une « plateforme » n’est pas chose aisée : ce terme est aujourd’hui utilisé pour décrire une diversité de systèmes techniques, qui vont des médias sociaux aux systèmes 27 d’exploitation, en passant par des places de marché et autres opérateurs de travail qui nous intéressent ici. C’est justement sa souplesse et sa polysémie qui explique le succès rencontré par le terme « plateforme » aussi bien dans la littérature académique que dans le débat public (Gillespie, 2010). Afin d’explorer les enjeux que le terme « plateforme » recouvre, nous proposons d’en retracer l’historique avec l’aide des travaux de Beuscart et Flichy (2019). C’est en 1990 que le terme « plateforme » apparaît pour la première fois en Sciences de Gestion, initialement à travers la notion de « platform thinking ». Le « platform thinking » consiste à développer de nouveaux produits, en alliant économies d’échelles et personnalisation. Une plateforme est une infrastructure modulaire : ses composantes centrales sont standardisées pour une gamme de produits différents, mais il est possible d’apporter des éléments de personnalisation. Nous distinguons plusieurs types de plateformes-produits (Gawer, 2009) :  Plateformes internes : les plateformes sont utilisées par une même firme afin de produire des objets dérivés, dans une optique de personnalisation de masse. Le « platform thinking » a par exemple permis à Sony de construire plus de 250 modèles différents de Walkman.  Plateformes « supply chain » : la plateforme est ici partagée par plusieurs firmes dans le cadre d’alliances ou de sous-traitances du processus de production. Par exemple, Nissan Micra et Renault Clio partagent les mêmes composantes centrales.  Plateformes « d’industrie » : la plateforme développée par une firme sert de base pour le développement d’autres produits d’autres firmes. Par exemple, Microsoft Windows constitue une plateforme sur laquelle des producteurs de logiciels ou de jeux vidéo se basent. Au début des années 2000, la théorie des « multi-sided platforms », ou des « marchés bifaces » (Rochet et Tirole, 2003), renouvelle l’expression « plateforme » et donnera ensuite naissance aux plateformes numériques de travail. La réflexion reprend les idées d’une infrastructure modulaire et de recherche d’effets de réseau. Néanmoins, l’objectif n’est plus de faciliter l’innovation produit mais plutôt d’organiser les transactions entre offre et demande. Le modèle de la firme qui acquiert des ressources pour produire un bien ou un service est jugé comme étant quelquefois inadéquat : il lui faut privilégier un modèle d’entreprise « plateforme ». L’entreprise « plateforme » est moins chargée de produire que d’organiser les relations entre différents acteurs. Cette théorie économique, qui analyse les systèmes de prix et les dynamiques concurrentielles entre les acteurs, est reprise en gestion pour traiter des enjeux de la construction des plateformes numériques (Gawer, 2009 ; Evans et Schmalensee, 2016). Dès lors, et jusqu’à aujourd’hui, la notion de plateforme de transaction – ou multi-sided markets – se diffuse largement avec le développement du web participation (Beuscart et Flichy, 2019). Elle recouvre désormais une diversité de phénomènes : plateformes de culture et de connaissance (e.g. Youtube) ; d’échanges de biens (e.g. eBay) ; de travail (e.g. Amazon Mechanical Turk, Malt ou Uber) ; etc. Dans le cadre de cette recherche, nous emploierons de manière indifférenciée les termes « plateformes de transaction » et « plateformes numériques ». A partir de la littérature précédemment citée ainsi que de Flichy (2019), nous proposons une définition : une plateforme numérique est une infrastructure modulaire structurée par des algorithmes qui rapprochent l’offre et la demande et organisent l’activité. L’algorithme est un outil de calcul : c’est « une séquence d’instructions indiquant à un ordinateur ce qu’il doit faire dans le cadre d’un ensemble d’étapes et de règles précisément définies et conçues pour accomplir une tâche » (Duggan et al., 2019, p.6). Evans et Gawer (2016) fournissent quelques données chiffrées concernant les caractéristiques de l’économie des plateformes, à partir d’une enquête quantitative menée en 2015 auprès de 176 entreprises-plateformes. Il en ressort que les plateformes de transaction sont majoritaires : elles représentent 160 des 175 entreprises-plateformes enquêtées. La moitié d’entre elles ont été fondées en Asie, 39% en Amérique du Nord et 7% en Europe. Si les plateformes enquêtées relèvent plutôt de l’échanges de biens, Evans et Gawer (2016) reprennent des estimations selon lesquelles il aurait existé 300 plateformes de travail dans le monde en 2015. 

Une extension des formes atypiques de travail

A l’aide des travaux explorés en 1.1., nous définissons les plateformes numériques de travail comme appartenant aux groupes des plateformes de transaction. Le panorama que nous avons réalisé met l’accent sur l’infrastructure algorithmique et modulaire des plateformes de transaction. Pour autant, nous n’adoptons pas un angle de vue déterministe à l’égard de la 29 technologie. Si la conceptualisation et le développement des plateformes de transaction a rendu possible l’émergence de formes de travail via plateformes, la technique plateforme est également prise dans des enjeux économiques et organisationnels. Les plateformes de transaction constituent une ressource au service d’acteurs qui évoluent dans une économie financiarisée dans laquelle il importe de rechercher des formes moins coûteuses de travail (Acquier, 2017). Le travail via plateforme s’inscrit dans la continuité d’un mouvement d’individualisation et d’externalisation croissante de la main d’œuvre, et comme le dernier avatar de formes atypiques de travail. D’après Aroles et al. (2019, p. 286), nous définissons les nouvelles formes de travail comme « un large éventail de pratiques s’inscrivant dans un mouvement de flexibilisation et diversification des formes de travail, allant du travail à distance à l’entrepreneuriat collaboratif, en passant par le nomadisme digital ». En mobilisant les travaux de Davis (2016), nous tenterons ici d’inscrire la plateformisation du travail au sein des changements historiques que le paysage organisationnel a connu depuis les années 1980 sous l’influence de déterminants économiques, techniques et intellectuels. Ces changements dans le paysage organisationnel induisent des changements dans les systèmes de travail et d’emploi. Cherry (2015) et Davis (2016) mettent en évidence trois étapes de changements organisationnels (voir tableau 1). Notons que l’apparition d’un nouveau modèle ne signifie pas la disparition du précédent modèle mais plutôt un déclin en termes d’influence. Si les trois modèles d’organisation et de travail que nous allons expliciter ont vocation à coexister, cette typologie permet de mesurer les enjeux portés par le travail via plateforme en termes de bouleversement des systèmes contemporains d’emploi.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *