Recherche expérimentale et esprit gestionnaire l’ordre interne des pratiques de recherche sous tension

Recherche expérimentale et esprit gestionnaire l’ordre interne des pratiques de recherche sous tension

 La présente contribution vise à analyser les conséquences observables d’une politique scientifique d’orientation gestionnaire sur la recherche expérimentale. La politique retenue est celle menée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) à travers un programme de financement: les Pôles de recherche nationaux (PRN). Dans l’esprit de cette agence de financement (FNS), ces PRN constituent autant de «centres de compétence» et d’«entreprises publiques» qui se distinguent non seulement par l’excellence scientifique de leur recherche mais aussi par son management professionalisé116. Cela dit, pour rendre compte des conséquences du programme « Pôles de recherche nationaux » sur la recherche, il convient d’analyser les « pratiques interprétatives » des chercheurs financés par le programme en question. En effet, quel que soit la norme, la règle ou le discours, on peut supposer que le sens de chacun est déterminé par son interprétation, dans des circonstances toujours particulières, selon les contingences et motivations d’une situation spécifique (cf. Benninghoff, Sormani 2006a). En l’occurrence, l’analyse de pratiques interprétatives particulières, par les chercheurs observés au travail et abordées en conversation, est d’autant plus intéressante que le modèle institutionnel, promu par le discours normatif du FNS, se veut non seulement d’intérêt général mais peut aussi facilement être critiqué comme contradictoire. N’y aurait-il par exemple pas une contradiction entre la promotion explicite d’un modèle « entrepreneurial » et « orienté » de la recherche et la stipulation de son caractère « fondamental » et « libre », voire « désintéressé »? Au lieu de déterminer, d’emblée et en termes généraux, le statut de la contradiction éventuelle, il s’agit d’investiguer comment elle est perçue, gérée et résolue par les chercheurs concernés, aux fins pratiques qui s’avèrent être les leurs ; d’où une série de questions : dans quelle mesure, de quelle manière le modèle institutionnel et les sujets idéaux promus par le Fonds national sontils convoqués, repris ou rejetés, par les scientifiques? Comment les chercheurs gèrent-ils ou ésolvent-ils les problèmes liés à la contradiction entre deux modèles normatifs, « entrepreneurial » vs. « mertonien » ? L’intérêt d’une telle analyse, tant détaillée que située, est également de spécifier comment la problématique esquissée se présente aussi comme un problème pratique pour les participants impliqués. Elle mettra en évidence comment les questions sociologiques, concernant par exemple le rapport entre « science» et « politique », peuvent également être des enjeux et problèmes pratiques des chercheurs en interaction (Mondada 2005; Sormani 2006).

 Entre recherche fondamentale et pratiques managériales: les plateformes technologiques

A l’instar de la physique, la biologie moléculaire connaît depuis quelques années un développement sans précédent de grands instruments autour desquels s’organise, en partie, la recherche (Tambourin, 2006). Pour cette raison, la biologie moléculaire serait dorénavant considérée comme une « big science ». Dès lors, des travaux se sont intéressés à la manière dont l’utilisation de ces grands instruments intervient sur les pratiques de recherche. Certaines études montrent que la mise sur pied de ces grands instruments participe à une standardisation, automatisation et à une commercialisation de techniques de recherche (Keating et al., 1999 ; Jordan et Lynch, 1998 ; Hilgartner, 1994). D’après ces études, ces techniques ont été en partie « sorties » des laboratoires et institutionnalisées au sein de plateformes technologiques, comprises comme des réseaux de techniques, d’équipements et de compétences mis à disposition des chercheurs. Une telle institutionnalisation de techniques de recherche au sein de plateformes technologiques conduirait également à une division du travail de plus en plus importante et visible au sein de la recherche expérimentale. Quelles que soient les possibles conséquences sur les pratiques de recherche, l’institutionnalisation des grands instruments au sein de la plateforme technologique constitue un objet idoine pour qui veut analyser, in situ, les transformations des pratiques de recherche. La manière dont les chercheurs gèrent le rapport à ces nouveaux instruments en biologie moléculaire – qui peut varier en fonction de la forme prise par leur institutionnalisation (« académique », « hybride », « privé »)117 – sera au centre de notre questionnement. Ces rapports sont parfois paradoxaux (Mangematin, Peerbaye, 2004 ; Vinck, 2006), dans la mesure où les logiques propres aux plateformes technologiques peuvent être soient complémentaires aux logiques de recherche soient en tension, voire en contradiction avec celles-ci : – Elles peuvent être complémentaires dans la mesure où les techniques mises à dispositions par les plateformes permettent de renforcer les dispositifs de recherche existants, de développer de nouvelles hypothèses de travail ou de favoriser des approches interdisciplinaires et/ou innovantes (Genet et al. 2007 ; Joerges et Shinn, 2001). – A l’inverse, ces logiques (propres aux plateformes technologiques) peuvent entrer en tension dans la mesure où le maintien d’un équipement implique d’important volume de travail et d’argent, conduisant les équipes de recherche à (devoir) travailler systématiquement avec de tels équipements. De même, les responsables de plateformes peuvent favoriser l’utilisation de certaines techniques plus coûteuses afin de rentabiliser la gestion de la plateforme. L’accès réglementé à ces équipements peut aussi remettre partiellement en question l’autonomie des chercheurs dans l’accomplissement de leurs pratiques de recherche. De même, la mise sur pied de tels équipements implique également une forte dépendance financière aux pouvoirs publics et à des financiers privés. Finalement, les critères de qualité ne sont pas forcément identiques entre les activités de service sur une plateforme technologique et les activités de recherche au sein d’un laboratoire (Genet et al. 2007). En d’autres termes, les plateformes technologiques constituent à la fois une ressource pour la recherche fondamentale mais également une contrainte à laquelle les chercheurs doivent faire face. Précisions que ces tensions entre logiques de recherche et celles propres aux plateformes technologiques peuvent varier en fonction du type de plateformes auxquels les chercheurs ont à faire (public, hybride, privé) et du type de recherche mené.

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