Régionalisation floue des configurations spatiales du peuplement et de leur dynamique temporelle

Régionalisation floue des configurations spatiales du peuplement et de leur dynamique temporelle

Choix de la région spatio-temporelle d’étude Afin de poursuivre notre cheminement exploratoire au fil des espaces, des temps, des données et des méthodes, et d’aborder des problématiques où les niveaux spatiaux, temporels et d’incertitude sont mobilisés dans des questionnements thématiques plus spécifiques, nous avons sélectionné une région spatio-temporelle à étudier plus finement : il s’agit de la zone Nord-Est (Figure 60), incluant la zone de prospection et de fouille des Marges Arides, et des régions du Jazr et de la zone d’Ebla, sur l’intervalle temporel situé entre -3600 et -1200 av. J.-C (temps 1A, 1Ba, 1Bb et 1Ca).Les raisons de ce choix sont multiples : ‐ La datation étant moins précise sur cet intervalle temporel, comportant beaucoup d’UNAR « indéterminées », les enjeux sur la compréhension des structures et des dynamiques spatiales des systèmes de peuplement sont plus élevés ici que pour les périodes historiques, par exemple, où les périodes sont plus courtes et la résolution pour une évaluation du changement plus fine. En outre, cet intervalle permet également de se confronter aux questionnements soulevés dans les parties précédentes sur les niveaux temporels à mobiliser et leurs répercussions sur les analyses, modèles et conclusions que l’on en tire. ‐ Cet intervalle temporel est traversé par un épisode d’aridification du climat, l’évènement 4.2.B. P. (2200 av. J.-C.), souvent considéré par les archéologues comme un fort moteur de changement, voire d’effondrement de systèmes de peuplement (Weiss, Bradley 2001 ; Braemer et al. 2014). Il s’agit de voir si nos données nous permettent un quelconque discours sur d’éventuelles traductions spatiales de l’évènement. ‐ La zone sélectionnée est steppique : à la différence des sites situés dans la vallée de l’Oronte, toute proche, et dont l’agencement spatial linéaire suit de toute évidence le linéaire de la vallée, l’organisation spatiale des sites ne semble pas a priori suivre un facteur  environnemental majeur à échelle régionale. La recherche exploratoire des structures spatiales par des outils morphologiques et géostatistiques prend donc ici tout son sens.

Objectifs et moyens 

Nous avons choisi de limiter notre étude à la prise en compte des sites d’habitat, afin de ne pas associer des cadres interprétatifs trop différents (mais néanmoins probablement complémentaires). Nous ne raisonnons donc désormais plus en termes d’UNAR mais en termes de sites archéologiques. En effet, c’est désormais l’occupation du sol, ses modes et ses évolutions qui nous intéressent, et c’est donc le site en tant que lieu d’habitat qui est envisagé. Nos objectifs de départ sont, une fois encore, très généraux et dépourvus d’hypothèse majeure, du point de vue thématique. La démarche adoptée consiste en effet à interroger l’espace sous des angles divers et à se laisser guider au fil des traitements par les interrogations, les surprises ou même les régularités qui apparaissent dans les résultats (temporaires). Cette étude constituant de plus un « premier pas » d’analyses spatiales sur la zone et la période considérée, les orientations de notre recherche sont ainsi guidées uniquement par des questionnements et des enjeux de nature méthodologique forts. Ces enjeux sont multiples : ‐ Conserver et tester au fil des traitements et du raisonnement les divers niveaux d’information identifiés dans la partie précédente. L’objectif est d’évaluer l’impact de la prise en compte successive de ces divers niveaux d’information sur les résultats des traitements et les orientations thématiques et méthodologiques qu’ils alimentent. Ces niveaux d’information sont de diverses natures :  Enjeux spatiaux : nous sommes ici dans un contexte où l’absence de divisions administratives de l’espace doit nous conduire à nous questionner sur les niveaux spatiaux à considérer. En effet, si la géoprospective par exemple, peut se baser sur un jeu d’échelles de type commune-département-région pour observer le changement et en établir des profils, nous devons ici tenter une régionalisation des phénomènes afin de dépasser le carcan des échelles les plus communément mobilisées en archéologie: celle du site, et celle de la zone d’étude régionalisée sur des critères naturels (zones d’ « attractivité » ou de « répulsivité » par exemple) ou historiques. Nous postulons que, parallèlement à ces démarches orientées « environnement » ou « histoire », une régionalisation empirique basée sur les types de structures spatiales détectées au sein de la zone d’étude par la répartition des sites archéologiques peut éclairer la problématique des niveaux spatiaux à  mobiliser : bien plus qu’une fin, cette démarche de régionalisation sur la base des structures spatiales est ainsi envisagée comme un moyen. La diversité des niveaux spatiaux s’exprimera également dans l’exploration de la zone par l’outil du variogramme, qui sera lui-même calculé à partir de grilles différentes plaquées sur la zone étudiée : deux tailles seront testées, une grille aux mailles d’1 km de côté, et une autre aux mailles de 3 km de côté.  Enjeux temporels : le choix des niveaux temporels à mobiliser est directement lié aux niveaux de précision présentés précédemment dans le système de périodes et de « souspériodes », et à la quantité d’information que celles-ci expriment. La frise la plus à gauche sur la Figure 61 indique le nombre de sites d’habitat (fiables et non fiables confondus) liés à chaque période de la chronologie dans l’intervalle étudié. Cette figure mentionne également le regroupement en « temps » effectué dans la partie 2 de cette étude. On constate une répartition fort inégale des sites. Mais surtout, un niveau de précision certes élevé mais bien peu renseigné : les sous-périodes les plus précises contiennent bien moins de sites que les niveaux de sous-périodes plus englobants. Dans un but purement technique (la plupart des sous-périodes disposent d’un nombre bien trop faible de sites pour pouvoir réaliser des analyses spatiales ou géostatistiques qui soient significatives), nous avons ainsi choisi de considérer les phénomènes à l’échelle des « temps » identifiés plus tôt, et correspondant en fait au second niveau de sous-périodes de la frise chronologique. La frise la plus à droite sur la Figure 61 indique la quantité de sites associée à chaque temps considéré (somme des sites des périodes de niveau 1 et 2). En outre, les sites du Chalcolithique indéterminé n’étant potentiellement présents que sur les 500 premiers siècles de l’intervalle étudié, et vu le niveau de précision choisi, nous avons éliminé ceux-ci de nos données, ces sites ayant statistiquement plus de probabilités d’appartenir aux 14 siècles situés hors de notre intervalle qu’aux 5 premiers nous concernant. Il convient désormais de s’interroger sur le temps 1A. En effet, seuls quatre sites d’habitat sont identifiables de cette période. Si cela peut, d’un côté, témoigner d’une très faible occupation de la zone durant les siècles précédant le temps 1Ba, cela peut également être le résultat d’une attribution chronologique des sites peu précise : en effet, soixante-neuf sites sont considérés comme datant du « bronze ancien indéterminé », et peuvent être répartis sur les seize premiers siècles de l’intervalle temporel étudié. Ces sites appartiennent-ils au temps 1Ba ou précèdent-ils celui-ci (temps 1A) ? Dans la mesure où il n’est pas possible de Chapitre 7 : Régionalisation floue des configurations spatiales du peuplement et de leur dynamique temporelle 174 les individualiser, un niveau temporel supplémentaire nommé 1A+1Ba sera mobilisé, correspondant aux sites 1A et 1Ba, ainsi qu’aux sites « indéterminés ». Les sites correspondant aux périodes numérotées 41 (Bronze indéterminé) et 78 (Chalcolithique/Bronze indéterminé) ne peuvent quant à eux rien nous apprendre sur la dynamique de changement de l’occupation du sol, dans la mesure où leur probabilité d’appartenance couvre tout l’intervalle étudié (plus les quatorze siècles précédents pour le chalcolithique/Bronze indéterminé). Ceux-ci peuvent cependant nous donner un renseignement purement spatial sur l’étendue des zones occupées sur l’ensemble de l’intervalle étudié. Ce niveau temporel correspondant à l’ensemble des sites de l’intervalle étudié (c’est-à-dire, en termes de chronologie archéologique, la totalité de l’âge du Bronze) ne seront donc mobilisés que dans cette optique.

Détection des grandes structures spatio-temporelles par la variographie

Rappel sur la détection des structures spatiales par la variographie 

Comme cela a déjà été mentionné dans la partie 1, le variogramme est une courbe permettant de représenter le degré de continuité spatiale d’un phénomène (Matheron, 1963). Celui-ci « permet de savoir dans quelle mesure ce qui se passe en un point ressemble ou non, en moyenne, à ce qui se passe dans son entourage distant de h ; il mathématise la notion d’influence d’un échantillon : si l’influence d’un point sur son voisinage décroît très rapidement quand on s’éloigne de ce point, la croissance du variogramme à l’origine est très rapide » (Guillaume, 1977). La variable régionalisée notée, ݂௜ est définie en chaque point i du champ. « Le variogramme au pas h est la valeur moyenne du carré de l’écart entre les implantations de la variable, distantes de h (h étant un vecteur donné) » (Dauphiné, Voiron-Canicio, 1988). Le variogramme 2γ(h) est ainsi défini par la formule : ( )² 1 2 ( ) 1 i h i n h i f f n h h         où N-h est le total des couples de points d’appui mobiles. Le variogramme est, dans notre démarche, un outil privilégié pour interroger l’espace en amont d’une chaîne de raisonnement exploratoire, pour son aptitude à simplifier et ordonner la tendance, les structures cachées, les discontinuités et l’anisotropie des phénomènes, tout en prenant en compte leurs composantes structurale et aléatoire, ainsi que les échelles de structures. Il constitue une première approche permettant d’orienter les questionnements et les traitements à venir et de déterminer les niveaux d’étude pertinents auxquels les réaliser. 

Mode de réalisation des variogrammes

 Les variogrammes nous permettent ainsi d’observer l’évolution de la dépendance spatiale entre les sites, ou plutôt, entre la quantité de sites par maille de taille 1 et de taille 3, pour chaque temps présenté dans la Figure 62. La Figure 66 montre quant à elle les types de données sur lesquelles se base le calcul des variogrammes : la valeur de chaque maille correspond au nombre de sites relevés pour le temps considéré (1Ba, 1A+1Ba, 1Bb ou la totalité de l’intervalle étudié), selon que Chapitre 7 : Régionalisation floue des configurations spatiales du peuplement et de leur dynamique temporelle 181 l’on considère les sites d’habitat fiables uniquement (grilles à gauche sur la Figure 66) ou la totalité des sites quel que soit leur niveau de fiabilité (grilles à droite sur la Figure 66). 

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