Suivi géomorphologique de l’expérience de recharge sédimentaire du Vieux Rhin

Suivi géomorphologique de l’expérience de recharge sédimentaire du Vieux Rhin

Eléments bibliographiques sur les recharges sédimentaires et leurs suivis scientifiques

Des exemples d’opérations de recharge sédimentaire

La recharge sédimentaire par injection artificielle de charge grossière représente un moyen de limiter les effets écologiques et économiques induits par un transport solide très déficitaire, à la suite notamment de l’interruption du transit par des barrages ou d’extractions sévères de granulats. Ces effets se traduisent le plus souvent par une incision du lit, conduisant à la dégradation des habitats piscicoles et à la fragilisation des ouvrages implantés en lit mineur (Kondolf et Matthews, 1993 ; Rollet, 2007). Cette pratique de restauration, de plus en plus courante, a été développée à la fin des années 1960 en Californie, où les enjeux écologiques et économiques sont particulièrement forts du fait d’importantes populations de salmonidés présentes dans ces cours d’eau et de la pêche commerciale qui en dépend dans le Pacifique (Rollet, 2007 ; Gaeuman, 2012). Les principaux objectifs sont de réduire la taille du substrat (bed fining) pour améliorer la qualité des frayères, augmenter la mobilité sédimentaire pour faciliter le lessivage des fines des couches de surface et de subsurface, et reconstruire une topographie de radiers et de mouilles afin de diversifier les habitats (Sklar et al., 2009). Environ 380 000 m3 de graviers ont ainsi été introduits dans la Trinity River et dans les rivières de la Central Valley (bassins de la Sacramento River et de la San Joaquin River) entre 1968 et 2004, à travers 114 projets (Kondolf et al., 2005). Les données disponibles pour la moitié des projets recensés permettent d’estimer le coût de ces actions à 9,8 millions de dollars pour l’achat, le transport et l’injection des sédiments (Kondolf et al., 2005). La recharge sédimentaire n’a pas uniquement une portée écologique. Ainsi, sur le Rhin en aval d’Iffezheim (dixième et dernier barrage de la chaîne hydro-électrique du Rhin supérieur, construit en 1977), l’objectif des recharges est de stabiliser le fond du lit en cours d’incision afin d’assurer la sécurité des infrastructures (piles de pont, écluses…) et la navigabilité du tronçon fluvial (tirant d’eau constant) (Kuhl, 1992). La recharge constitue ici une alternative à la construction d’un onzième barrage, qui aurait stoppé l’incision au droit d’Iffezheim mais l’aurait reporté en aval. Depuis 1978, environ 170 000 m3 de graviers sont injectés annuellement, ce qui représentait en 2003 un volume total de 4 508 782 m3 et un coût moyen de 3,96 millions d’euros/an, soit un coût total de 99 millions d’euros sur 25 ans (WSA, 2003). Il s’agit du plus important programme de recharge sédimentaire au monde (Kondolf et al., 2005). La granulométrie injectée en aval du barrage d’Iffezheim est proche de celle du lit naturel (0-63 mm). Les sédiments sont déversés en bandes successives d’environ 10 m de large et 25 cm d’épaisseur sur le fond depuis des barges à clapets. L’opération est assistée par un bateau de sondages bathymétriques qui lève des profils en travers après chaque clapage afin de déterminer l’emplacement de la bande suivante (WSA, 2003 ; CHR, 2009) (fig. 3.1).

Le suivi scientifique des recharges sédimentaires

Des « structures » thématiques, spatiales et temporelles bien définies constituent l’ossature d’une démarche de suivi (Morandi, 2010 ; Morandi et Piégay, 2012). 2.1. Définition des structures de suivi Les milieux biotiques et abiotiques sont les deux compartiments thématiques généralement intégrés au suivi et à l’évaluation d’une opération de restauration. Par exemple, le suivi scientifique accompagnant le programme d’aménagement du Danube est structuré en quatre à cinq volets relatifs à ces deux compartiments (fig. 3.4) : le dispositif prend en compte les effets de corrélation et de rétroaction entre les variables, dans le but d’optimiser l’élaboration de modèles prédictifs de la réponse des écosystèmes (Schabuss et al., 2008). Figure 3.4 : Structure thématique du programme de suivi accompagnant le projet d’aménagement intégré du Danube en aval de Vienne (Schabuss et al., 2008) Les structures spatiales et temporelles d’un suivi constituent les deux autres pivots de la démarche. Celles-ci font référence au nombre de sites ou de stations et à leur localisation, ainsi qu’à la durée et à la fréquence des mesures (ponctuelles, continues, discontinues régulières ou irrégulières) (Morandi et Piégay, 2012). La structure temporelle de suivi la plus fréquemment rencontrée suit une logique « avant-après » (Before-After, Green, 1979, cité par Roni, 2005). Elle consiste, littéralement, à caractériser et comparer l’état du site pré- et post-intervention. Récemment, une analyse des opérations de restauration conduites en France depuis les années 1990 (Morandi et Piégay, 2012) a révélé que l’évaluation s’appuie dans la majorité des cas sur la caractérisation d’un état avant travaux, et bien souvent sur seulement un ou deux états après, en années 1 et 2. Seulement 10 % des projets sont évalués pendant plus de quatre ans, avec quelques exceptions dépassant dix ans (cas des restaurations du Rhône et du Drugeon). En terme de fréquence, certains guides opérationnels (Adam et al., 2007) préconisent un suivi morphologique discontinu et régulier de trois ans, avec une campagne supplémentaire si une crue supérieure au Q5 survient durant l’intervalle. Les structures temporelles plus denses sont rares : seulement 13 % des suivis hydro-morphologiques recensés comportent plusieurs campagnes annuelles (Morandi et Piégay, 2012). Le manque de moyens financiers et humains, ainsi que les contraintes métrologiques, conditionnent le plus souvent la fréquence temporelle des mesures (Bash et Ryan, 2002 ; Kondolf et al., 2007 ; Roni et Beechie, 2012). Il est possible de compléter la logique « avant-après » par un suivi reposant sur une logique spatiale « contrôle-impact » (Control-Impact), qui consiste à évaluer un site de contrôle en même temps que le site restauré (i.e. impacté). L’intérêt de ce site témoin est d’aider à différencier les effets directement liés à l’action de restauration, de ceux liés à la variabilité naturelle (Smith et al., 1993, cités par Roni, 2005). Cependant, ce type de suivi est encore peu appliqué : en France, il ne concerne que 30 % des projets recensés (Morandi et Piégay, 2012). Au-delà des contraintes financières, ce manque pourrait trouver son explication dans la question complexe du référentiel. En effet, que la référence soit « d’écart », c’est-à-dire un site de contrôle non restauré et dégradé duquel s’éloigner, ou « d’objectif », c’est-à-dire un site de contrôle non dégradé représentant l’état optimal à atteindre (Morandi et Piégay, 2012), il est souvent difficile de sélectionner des sites analogues en termes de géologie, de climat, de position dans le bassin versant, de pressions anthropiques et de fonctionnement hydro-morphologique et écologique (Palmer et al., 2005). Par conséquent, les sites de contrôle sont le plus souvent choisis à proximité du secteur à restaurer, en amont ou en aval. Cette localisation implique cependant que les sites subissent eux aussi, à terme, les effets de la restauration (Morandi, 2010). Les paramètres et les techniques mobilisables pour évaluer les effets d’une recharge sédimentaire sont extrêmement diverses, et dépendent des objectifs du projet. Dans le cas de l’expérimentation conduite sur le Vieux Rhin, les risques potentiels associés à la propagation vers l’aval de la charge artificiellement introduite (reprise de l’incision du lit, modification des conditions d’écoulement et aggravation des inondations…) ont conduit à concentrer le suivi sur le compartiment géomorphologique ; le suivi du compartiment écologique étant planifié ultérieurement. Le 0 paragraphe suivant dresse un aperçu des méthodes couramment utilisées pour le suivi géomorphologique d’opérations de recharge sédimentaire. 

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *