Technicien hybride du cinéma

Introduction au concept du RAW

Le RAW, écrit en majuscule par convention, est aussi appelé « négatif numérique ». C’est une des dernières avancées majeure en matière de cinéma numérique. Tout comme le négatif pellicule, il n’est pas utilisable tel quel et nécessite un traitement (informatique) afin de pouvoir être visionné et utilisé.
Pour bien comprendre le concept du RAW, il faut retracer le parcours de la lumière de l’objectif jusqu’au support d’enregistrement.
Les capteurs des appareils photo et caméras digitales sont composés d’un certain nombre de photosites (qu’il ne faut pas confondre avec les pixels de l’image finale). Les photosites sont des semi-conducteurs photosensibles qui convertissent l’énergie lumineuse en tension électrique, laquelle est ensuite mesurée et convertie en information digitale par un convertisseur analogique/numérique.
Que ce soit dans un capteur CCD ou CMOS, les photosites sont constitués de silicium, un semi-conducteur qui transforme les ondes électromagnétiques en courant électrique. Par défaut le silicium ne sait pas faire la différence entre les différentes couleurs qu’il reçoit, la tension générée dépendant uniquement de l’intensité lumineuse, traduisant ainsi une information de luminance. Afin de pouvoir discriminer les informations de couleurs plusieurs méthodes existent mais le principe de base reste le même : séparer les informations des trois composantes principales de la lumière, le rouge, le vert et le bleu, pour ensuite recréer les informations de couleur grâce à la synthèse additive.
Une des premières méthodes apparue pour réaliser cette étape était d’utiliser trois capteurs différents (système tri-CCD). Après avoir traversé l’objectif, la lumière est décomposée en composantes RVB grâce à un séparateur optique qui renvoie les trois flux lumineux sur trois capteurs différents. La réalisation des caméras tri-CCD est complexe car elle demande une précision de réglages énorme afin que les trois capteurs soient situés dans le même plan focal et que la superposition des trois images soit parfaitement alignée. Ce système est de nos jours très peu utilisé.

Espaces colorimétriques, matrices et LUTs

En vidéo tout comme en cinéma digital, toute la colorimétrie repose sur les bases de la trichromie et des lois de Grassman, qui permettent de calculer n’importe quelle sensation colorée à partir de trois composantes, le Rouge, le Vert et le Bleu, ce qu’on appelle la synthèse additive (par opposition à la synthèse soustractive qui utilise les composantes Cyan, Magenta et Jaune). Les scientifiques ont utilisé de nombreux modèles graphiques pour essayer de représenter la couleur de la façon la plus simple et la plus lisible possible. Le modèle de représentation qui est aujourd’hui le plus répandu est le diagramme de chromaticité CIE-XYZ définit par la Compagnie Internationale de l’Éclairage (CIE) en 1931.
Contrairement aux autres représentations graphiques qui existaient jusqu’alors, le diagramme CIE-XYZ prend en compte le facteur de luminance, qui est très important dans la perception des couleurs. Les primaires X, Y et Z de ce modèle sont des primaires virtuelles qui ne correspondent pas aux primaires R, V et B du spectre visible par l’œil humain ou par un capteur de caméra. Ces primaires doivent donc subir une matrice de passage pour être placées dans les coordonnées du diagramme CIE 1931.4 Dans le domaine du cinéma digital, de nombreux espaces colorimétriques différents sont utilisés, que ce soit au moment de la prise de vue, du traitement informatique de l’image ou de la diffusion. Chaque espace colorimétrique est défini par : des primaires R, V et B spécifiques, une valeur de gamma et un blanc de référence (appelé illuminant standard). Historiquement les premiers espaces colorimétriques ont été créés pour correspondre aux contraintes des caméras ou des systèmes de diffusion utilisés. Lorsque l’on parle de colorimétrie de l’image il faut distinguer l’image Output Referred, qui est celle qui est contenue dans un espace colorimétrique contraint par les systèmes de diffusion. Par exemple, les projecteurs de cinéma et les écrans d’étalonnage sont capables de produire un gamut plus étendu que les écrans de monitoring classiques, dans la plupart des cas il s’agit de l’espace colorimétrique DCI-P3, aujourd’hui reconnu comme un des grands standards dans le cinéma numérique (des variantes de cet espace existent), par opposition au ReC.709 qui lui est un espace colorimétrique destiné à la télévision broadcast HD.
Le DCI-P3 et le ReC.709 sont donc des espaces colorimétriques qui fournissent une image Output Referred tandis que les images en Linear, Log-C ou autre log-encoding sont des images Scene Referred. Enfin il faut aussi prendre en compte les espaces colorimétriques de travail, sRGB, AdobeRGB, ProPhotoRGB,… ceux utilisés par les logiciels de post-production, qui peuvent être encore différents et qui définissent la façon dont ces images Scene Referred sont interprétées lors de l’étalonnage ou des autres traitements informatiques de l’image.

Le règne du « Combo »

Pendant des décennies, le cadreur fut la seule personne sur un tournage à pouvoir regarder, à travers son œilleton, ce qu’enregistre la caméra en temps réel. Pour tous les autres, il fallait malheureusement attendre au minimum le lendemain le temps que le laboratoire puisse développer et tirer la pellicule. Dans les années 80 sont apparus les premiers systèmes de retour vidéo. Un capteur vidéo placé à l’intérieur des caméras pellicules permettait d’avoir un retour image. Son utilisation, au début boudée par de nombreux réalisateurs, s’est très progressivement généralisée, et il est devenu un outil de mise en scène très apprécié, notamment par les scriptes. Ces systèmes de retour d’image, qu’on appelle aussi monitoring ou « Combo », sont devenus une nouvelle norme. En argentique, les réalisateurs et les spectateurs du Combo étaient tous conscient que ce qu’ils regardaient n’était qu’une approximation, une idée de ce que peut être l’image enregistrée sur la pellicule (d’ailleurs l’image était souvent de mauvaise qualité si ce n’est en noir & blanc). Avec l’arrivée du numérique, les possibilités offertes par les nouvelles technologies ont imposé une exigence d’immédiateté de l’image sans précédent. Les réalisateurs, et de plus en plus de personnes dans les équipes de tournage, souhaitent voir l’image en temps réel; l’image qui sera la plus proche possible de ce qu’ils voudraient obtenir au final, tout au bout de la chaine de post-production.
En fonction du nombre de caméras et des moyens de la production, on peut rapidement trouver un grand nombre d’écrans sur les tournages en numérique, écrans qui doivent être étalonnés et calibrés afin d’afficher une image homogène et qui correspond aux demandes du directeur de la photographie et du réalisateur.

Monitoring et contrôle qualité

“Digital is all about real-time: real-time color correction, real-time focus and operating, real-time feedback. It’s an opportunity for everybody to get it right, but it requires an objective set of eyes scrutinizing the take ».
Un autre aspect important du travail de DIT est le contrôle qualité, ou quality check. Cette tâche peut être réalisée soit directement sur le plateau en temps-réel pour le cas des DITs on-set, soit une fois les backups finis, dans le cas du DIT-data (et idéalement les deux).
Que ce soit au niveau du point, de l’exposition, du rapport signal/bruit, des artefacts numériques, le DIT dispose de matériel spécifique pour analyser le signal scene-referred et détecter le moindre problème technique. Que ce soit en temps réel ou après les backups, le DIT effectue une étape de vérification sur le signal enregistré. Ce signal est différent de l’image sur laquelle travaillent le réalisateur et le chef opérateur sur le plateau. De nombreux chef-opérateurs utilisent eux-mêmes des oscilloscopes pour mesurer leur exposition, mais dans la plupart des cas cette mesure est effectuée avec un signal déjà traité (LUTs, ReC.709, etc…). Ce signal output-referred donne seulement un résultat approximatif puisqu’il ne prend pas en compte toutes les possibilités de l’image enregistrée. Avec la plupart des nouvelles caméras (Alexa, RED, Sony), on peut sortir à la fois un signal traité display-referred pour le visionnage et un signal scene-refered pour la mesure ou l’étalonnage plateau, mais devoir gérer autant de flux différents est une tâche complexe pour un directeur photo dont les assistants sont déjà occupés par d’autres tâches. Cet aspect du travail de DIT représente un vrai enjeu de production qui est souvent sous-estimé. “Dans de nombreux cas le besoin d’un retour rapide existe réellement et il est utile.
Si une production tourne dans un décor pour plusieurs jours ça lui coûte de l’argent donc s’il y a un problème et qu’elle peut en être averti avant de quitter le décor c’est forcément une bonne idée” “Le fait d’avoir un moniteur de 25” et quelqu’un qui est concentré à vérifier la qualité de l’image, ça sauve des coups ! Oui, j’ai sauvé un pack-shot flou sur une pub. On aurait fini la journée et personne n’aurait rien vu… Des exemples comme ça, j’en ai au moins une trentaine. Je ne remets pas en question le travail des autres bien sûr, simplement, on a un outil de contrôle qu’on n’avait pas avant, et qui est super précis et efficace, il faut l’utiliser !”
Cette étape de contrôle qualité est effectuée par le DIT-data ou data manager. Dans le cas où c’est le 2nd assistant caméra qui s’en occupe, il n’y a tout simplement pas de contrôle, et c’est normal puisqu’il n’a pas le temps nécessaire pour effectuer cette tâche.
Le DIT est aussi le technicien le mieux placé pour effectuer l’étalonnage de tous les moniteurs présents sur le plateau. Il est le garant de l’homogénéité du retour plateau sur les différents écrans de contrôle de l’image. Il peut aussi calibrer et ajuster tous ces écrans en fonction des besoins de chaque utilisateur durant le tournage.

DIT & Post-production

Comme nous l’avons déjà abordé précédemment, le DIT est amené à réaliser de plus en plus de tâches de post-production directement sur le tournage. Ces tâches incluent :
le pré-étalonnage , La synchronisation des rushes image et des rushes son (métadatas), La création de dailies pour le visionnage sur le plateau, La création de proxies pour la post-production, La gestion des métadatas, L’archivage sécurisé sur Bande LTO.
On pourrait imaginer que cette délocalisation du travail de laboratoire crée des conflits avec les sociétés de post-production. Dans les faits, il n’y a pas ou peu de conflits car tous les workflows étudiés en amont des tournages sont le fruit d’un travail collaboratif entre DITs et laboratoires. Les laboratoires apprécient la présence d’un DIT sur un tournage car celui-ci devient leur interlocuteur sur le plateau, créant un lien privilégié. De plus, les laboratoires négocient des forfaits avec les productions des films ; ils ne perdre ainsi pas de part de marché en cédant une partie du travail aux DITs.
Comme le dit Brice Barbier, « Celui qui a le plus à perdre dans cette nomadisation du laboratoire, c’est l’assistant monteur ». Selon lui il y a un enjeu important qui se joue au niveau de la synchronisation du son. Objectivement, cette tâche a plus d’intérêt à être réalisée sur le tournage plutôt qu’en post-production car elle permet à tous ceux qui en ont besoin d’accéder aux dailies synchronisés sans délai d’attente. Le problème est que les assistants monteurs ont défendu pendant longtemps la légitimité de leur poste à travers cette tâche auprès des directeurs de production, plutôt que de valoriser le reste de leur travail qui est tout aussi important (structuration des projets, B-A-B19, maquettes VFX).
Certains directeurs de production souhaiteraient ne plus engager d’assistants monteurs car ils pensent que leur travail peut être effectué par les DITs. Il faut bien comprendre qu’un DIT et un assistant monteur ne travaillent pas du tout sur la même échelle temporelle. « Nous travaillons par caméra, par plan, par carte, par jour de tournage, par clip, par bobine, alors que l’assistant monteur va travailler par séquence, par continuité temporelle du film, par narration. Ce sont deux espace-temps complètement différents. En tant que DITs nous ne pourrons jamais créer ce lien. »
Pour Karine Feuillard, la situation peut tout de même s’avérer compliquée. Selon elle, même si les directeurs de production ne comprennent pas grand-chose au travail de l’assistant monteur et du DIT, les directeurs de post-production, eux, chercheront toujours à protéger leurs assistants monteur. Un des autres postes qui peut se retrouver en danger, c’est celui d’étalonneur de rushes. Cette opération est de plus en plus réalisée par les DITs car il a une réelle demande des personnes présentes sur les tournages pour voir ces images pré-étalonnées le plus tôt possible.

Veille technologique

Historiquement, les équipes de tournages attendent d’un DIT qu’il puisse répondre à toutes les questions techniques liées aux caméras et à l’informatique. Ce travail de veille technologique demande énormément de temps, c’est un travail personnel qui n’est pas rémunéré. L’accélération de l’évolution technique rend ce travail encore plus intransigeant.
D’un film à l’autre, le matériel a déjà évolué, de nouvelles caméras sont sorties, de nouveaux logiciels, de nouvelles solutions. Il n’est pas possible de tout tester, au même titre qu’il n’est pas possible de tout assimiler. En pellicule, un directeur de la photo savait qu’avec une émulsion donnée il obtiendrait un résultat particulier et il pouvait anticiper de nombreux choix artistiques grâce à cela. En numérique, de nouveaux produits apparaissent constamment et il est donc impossible pour un directeur photo d’assimiler tous ces différents outils pour ne se concentrer que sur les choix artistiques. Quelqu’un doit être présent pour faire tout ce travail de recherche et le rendre transparent aux yeux du chef-opérateur. Une partie de ce travail peut être accomplie par les assistants caméras, mais eux-mêmes ont déjà un travail important de veille technologique qui se concentre sur les optiques, les filtres, les accessoires caméras…
“Ce travail de veille technologie est complexe mais c’est le cœur de notre métier. Le tournage c’est le résultat de l’élaboration du workflow et de la préparation pendant les essais. Et les essais, c’est le résultat de notre veille technologique”
Le temps disponible pour effectuer ce travail de veille est souvent très court entre chaque tournage et participe à sa difficulté. Le rôle de la communauté professionnelle est ici très important. L’ADIT a notamment pour rôle de fédérer les DITs français et de favoriser le partage de connaissances. Les relations avec les laboratoires, l’AFC et l’AOA sont également importantes. Des workshops sont souvent organisés à l’initiative de l’un ou l’autre de ces acteurs et présentent des moments d’échange essentiels pour ce travail de veille technologique et la vie du métier en général.

Table des matières

Introduction
Partie 1 : origines du métier de DIT
1. Gestion data
2. Introduction au concept du RAW
3. Gamma linéaire Vs Gamma logarithmique : les courbes de transfert
4. Espaces colorimétriques, matrices et LUTS
5. Le règne du « Combo »
6. Des nouveaux besoins pour des nouvelles méthodes de travail
Partie 2 : Le métier de DIT
1. Copie et sécurisation des rushes
2. Monitoring &Contrôle qualité
3. Étalonnage on-set et pré-étalonnage
4. DIT & post-production
5. Veille technologique
Partie 3 : Devenir DIT
1. Compétences requises
2. Parcours et formations
3. Le statut et les grilles de salaire
4. Le marché du travail pour un DIT
Partie 4 : Secrets de tournage : la pratique et le matériel
1. Le data managment
1.1 Le stockage des données
1.2 Solutions software et hardware
2. La Station du DIT
3. DIT on-set : quelques cas de figure
Conclusion
ANNEXES
Bibliographie
Netographie
Filmographie
Portraits de DITs

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