Une analyse socio-technique de l’échographie obstétricale dans deux maternités de la région parisienne

Une analyse socio-technique de l’échographie obstétricale dans deux maternités de la région parisienne

Pourquoi l’échographie

Le recours à l’échographie dans le cadre du suivi médical de la grossesse en France est, depuis les années 90 complètement généralisé, bien que cette technique fasse toujours l’objet de polémiques dans d’autres pays40. En France l’échographie a été largement acceptée et fait maintenant partie de la routine du suivi de grossesse. La popularité de cet examen, effectué de façon systématique au moins trois fois au cours de la grossesse, est d’autant plus grande qu’en complément des aspects médicaux, cette technique offre aux futurs parents une nouvelle façon de se relier à la grossesse et au fœtus41 avec l’édition de la première image de leur (bébé). Dans les années 90, certaines images du fœtus sont devenues familières au point qu’elles sont utilisées désormais dans la publicité et l’échographie obstétricale est considérée comme une technique banale, non questionnée, malgré certaines réserves. Jean François Mattéi42 écrit que : « désormais, l’examen échographique est entré dans une phase de réel dépistage « sans a priori » pour des grossesses sans risque particulier ni anomalies cliniques. Progressivement, le diagnostic par échographie s’est spontanément développé dans le cadre des examens obligatoires pour la surveillance d’une grossesse. En France, la quasi-totalité des grossesses bénéficie d’au moins une échographie systématique. De plus, 60% des interruptions de grossesse pour motif médical sont décidées à la suite de constatations échographiques. C’est dire que l’échographie est devenue un instrument privilégié de l’étude de la morphologie fœtale et donc du diagnostic prénatal des malformations. » 43La portée de cet examen dépasse par ailleurs largement le cadre de l’interaction de la consultation médicale, c’est l’un des rares examens dont la porte de consultation soit volontiers ouverte à des membres de la famille de la femme enceinte. Cette technique d’imagerie médicale est donc intéressante à plus d’un titre. D’une part, elle est l’un des pivots de la politique de dépistage des anomalies fœtales, et est donc à même de déboucher sur des décisions éthiquement lourdes, comme celle de l’éventualité d’une interruption médicale de grossesse. D’autre part, elle participe à la constitution sociale du fœtus, et constitue de ce fait un site d’observation privilégié sur les relations médecine/ société. Enfin, les séances d’échographie font partie des expériences que la majorité des femmes enceintes s’attendent à vivre pendant leur grossesse (des manuels de sciences naturelles des écoles primaires font état de cette technique, ainsi que des rubriques « scientifiques » de magazines pour la jeunesse). 

Recontextualiser l’éthique dans la pratique

L’hypothèse centrale de notre thèse, inspirée par les travaux de la sociologie des sciences et techniques, c’est que les questions éthiques ne sont pas dissociables des techniques, mais qu’elles viennent avec des contextes techniques dans lesquels elles sont intimement mêlées. A notre sens, il ne suffit pas de voir dans la technique la source des problèmes éthiques, et de déterminer ensuite dans des discussions philosophiques des principes qui assureront le caractère conforme à la morale des comportements dans la consultation. On n’importe pas des critères moraux dans les situations. Si les techniques peuvent être à l’origine de problèmes éthiques, c’est par la modification des relations que leur utilisation comporte. Au lieu de partir d’une certaine définition du « bien » et de réfléchir sur les pratiques à même de favoriser l’émergence de ce « bien », nous nous proposons de regarder ce qui se fait dans la pratique et de voir ce que cette pratique engage comme notion du « bien ». La question de l’évaluation de la santé des fœtus est modulée par les techniques, elle n’existe pas en dehors de ces techniques. Tant qu’on n’a pas d’outil pour mesurer les fœtus et établir entre eux des comparaisons qui permettent de dire que tel fœtus est en bonne santé et que tel autre ne l’est probablement pas, la question de l’action par rapport à ce fœtus ne se pose pas. D’une façon générale toute personne sensée souhaite un bébé en bonne santé à la naissance. Les inventions et adoptions de l’échographie, de l’amniocentèse, des tests sériques modifient à chaque fois le rapport que nous pouvons avoir à cet idéal de la bonne santé du fœtus, notre rapport au supportable et à l’insupportable, au juste et à l’injuste44… Mais nous ne prétendons pas pour autant que c’est la seule disponibilité des techniques qui ferait problème. Il faut envisager les techniques non comme des vecteurs neutres, mais en tant qu’elles proposent une multitude de redéfinitions. Les techniques ne sont pas neutres, ce sont des médiations qui transforment les questions. Il faut donc interroger ces transformations… A l’image des objets techniques décrits par Madeleine Akrich45 ou Michel Callon46, il nous semble que l’échographie, quel que soit le lieu dans lequel on la pratique, est modelée par son environnement et influe en retour sur la consultation de suivi prénatal. Dans chaque lieu particulier, elle va re-décrire les relations existantes, mettre en place de nouvelles définitions et de nouvelles limites, assignant des rôles et des obligations inédits aux acteurs. Comme l’exprime Madeleine Akrich les objets techniques  » renvoient toujours à une fin, une utilisation pour laquelle ils sont conçus, en même temps qu’ils ne sont qu’un terme intermédiaire sur une longue chaîne qui associe hommes, produits, outils, machines, monnaies… Il suffit de considérer les objets les plus banals qui nous entourent pour constater que leur forme est toujours le résultat d’une composition de forces dont la nature est des plus diverse… l’objet technique est la mise en forme et la mesure d’un ensemble de relations entre des éléments tout à fait hétérogènes. »

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