Une ethnographie du visuel la famille en milieu rural

Photographie de famille et identité en Moldavie rurale

Difficultés sur le terrain

Si. on parle des difficultés vécues sur le terrain et liées au travail ethnographique habituel, on doit aborder trois questions: comment j’ai voulu passer par les relations de famille pour me faire accepter, la place de l’ethnographe étrangère et comment établir des relations de confiance avec les villageois ; comment cela n’a pas beaucoup marché et comment j’ai décidé de changer de terrain ; finalement j’aimerai faire une réflexion plus large sur l’incompréhension du travail ethnographique et comment j’ai finalement réglé ce problème. Pour développer ces questions, on va s’appuyer surtout sur des références bibliographiques spécifiques: d’une part l’article de Werner, « La photographie de famille en Afrique de l’Ouest. Une méthode d’approche ethnographique » (1993), par rapport au processus de construction de l’objet scientifique et de la méthodologie définie pour travailler avec les photographies et les informateurs. D’autre part, l’article de Papinot, « La photographie et son adaptation au terrain. Une expérience malgache » (1993) m’a beaucoup aidé au moment de penser la place de l’ethnographe et comment surmonter les difficultés présentées pendant le terrain d’enquête. Finalement on parlera aussi de la photo-elicitation, à partir de la lecture de l’article d’Elisa Bignante «The use of photo-elicitation in field research» (2010), car elle applique cette méthode pour faire parler ses informateurs au sein de son enquête au nord de la Tanzanie. 1.1.1. Famille et terrain La difficulté la plus délicate dans le cas de mon terrain d’enquête c’était le fait d’avoir une relation plus personnelle avec des gens du village où je me suis installée. Certains ethnographes qui ont réalisé des terrains d’enquête, suite à leurs séjours, ont créé des liens plus personnels et/ou plus intimes avec des informateurs. Par contre ma situation était totalement à l’inverse, car j’avais déjà une relation personnelle avec la famille qui m’accueillait. Ainsi ma belle-mère, Tanti R. était, selon sa vision des choses, d’abord ma belle-mère et peut être après informatrice. Pour comprendre cette idée il faut savoir que la famille reste la structure sociale la plus important en Moldavie rurale, avec des liens de parenté très larges, permanents et hiérarchisés. Cela implique que pendant cette première période j’ai été assez contrôlée pour Tanti4 R. (50 ans), la mère de mon compagnon et je 4 Tanti ou tia: tante, c’est la façon respectueuse et familière de traiter les femmes plus âgées dans un contexte de proximité. L’équivalent pour les hommes c’est nenea. C’est mal vu si on n’utilise pas ces termes, même si certaines familles ont décidé de ne plus les employer. 20 ne pouvais pas aller n’importe où et avec n’importe qui. Les visites se faisaient selon son avis et son choix. Je ne pouvais pas sortir de la maison n’importe quand et avec n’importe qui. Elle devait être au courant de tous mes mouvements et chaque décision devait être justifiée. Si elle n’approuvait pas ma décision ou si elle considérait que ma justification n’était pas assez bonne, elle me donnait l’ordre de rester à la maison. Et même si au début je refusais de lui céder, j’essuyais de telles disputes que j’ai très vite arrêté de la contredire. Ma crainte des conflits me faisait accepter ma position de protégée et je ne réfutais pas ses ordres. Avant d’arriver en Moldavie en 2015, je n’avais pas pensé à cette question et je n’imaginais pas que cela pouvait vraiment empêcher la réalisation de mon enquête de terrain, au moins jusqu’à un certain niveau. Cependant, ces deux premiers mois et demi d’introduction en Moldavie ont été très intéressants comme premier contact avec le terrain et ceci a été utile pour me préparer mieux pour la véritable enquête de terrain, prévue pour l’année suivante. C’est pour cela qu’en 2016 j’ai décidé de ne pas changer de localité. Je voulais bien m’installer dans le village pour continuer à profiter de la présence de la famille et pour poursuivre l’enquête avec les personnes que j’avais rencontrées déjà l’année dernière. Je me suis dit que, avec l’aide de mon compagnon, je pourrais expliquer mieux mon travail à Tanti R. et les motifs pour lesquels j’avais besoin de plus de liberté de mouvement pour accomplir ma tâche. Il semblait qu’elle avait compris, mais ceci n’a pas été le cas. Au bout d’un moment j’ai vu que la situation ne s’était pas améliorée et notre relation était comme l’année précédente. Alors je me suis rendu compte que je ne pouvais pas continuer à réaliser mon enquête de terrain dans ces conditions, même si cela n’a pas été l’unique motivation pour partir de Saharna Noua. À cause de cette situation j’ai essayé de comprendre ma position en tant qu’ethnographe et belle fille en même temps. J’ai essayé d’élucider comment j’ai été perçue par Tanti R. et comment ceci conditionnait mon enquête de terrain. En fait depuis le moment où j’ai commencé à vivre avec la mère de mon compagnon, elle a ressenti la responsabilité de me protéger parce que je suis la compagne de son fils, et elle même l’a exprimé comme cela : « qu’est qu’il dirait de moi mon fils s’il t’arrive quelque chose? ». Cette protection est totale et s’accompagnait d’une peur de voir sa propre image changer face aux autres villageois. C’est-à-dire que dans le même temps où elle me protège, je ne dois rien faire qui puisse salir sa réputation, car toujours depuis sa vision des choses je suis sous sa responsabilité. Ainsi je ne dois pas créer de problèmes d’aucun type et surtout il ne faut pas donner des raisons au voisinage de parler de nous. Les apparences sont un élément très important pour elle et en quelque sorte quoique je fasse, elle doit en répondre pour moi. Cette espèce de peur 21 s’accompagne de l’idée que je ne connais pas les coutumes et les traditions moldaves, et que du coup même si ce n’est pas mon intention, je peux offenser quelqu’un. Alors on doit éviter arriver à cette situation à n’importe quel prix. Et m’expliquer ces normes basiques de comportement et de communication n’a pas été non plus sa priorité. Alors ma liberté de mouvement pour réaliser mon enquête est resté très limitée. Et pourtant il faut dire que quand même elle a essayé de m’aider et que finalement sa figure reste fondamentale pour mon enquête de travail. Elle n’a pas été ethnographiée à propos de cette recherche, parce que depuis le début je sentais que j’avais besoin quand même d’une certaine distance objective pour pouvoir mener mon enquête, mais finalement c’est grâce à elle que j’ai pu contacter plusieurs personnes du village. Par ailleurs, la méthode pour rencontrer des potentiels informateurs passait par son filtre. Selon elle un informateur ne pouvait pas être n’importe qui. La personne devait être “de confiance”, c’est à dire quelqu’un qu’elle connaît bien et qu’elle considérait “de bonne réputation”. Pour ce que j’ai pu observer, ses critères pour considérer quelqu’un ou une famille acceptable pour faire partie de mon enquête, étaient les suivants : absence de problèmes d’alcoolisme dans la famille, un certain niveau d’études, une famille structurée de forme “normale” et sans problèmes graves avec l’ensemble des villageois. 

La place de l’ethnographe étrangère

La question de la place et le rôle de l’ethnographe est analysée pour un grand nombre d’ethnographes qui ont fait du terrain. Comprendre comment on a été perçu par les gens est essentiel pour pouvoir construire le cadre complet. Dans le cas de mon enquête de terrain plusieurs éléments se croisent. D’abord il faut comprendre qu’il y a impossibilité de passer inaperçue face aux villageois. Les regards, les commentaires et les questions par rapport à mon travail faisaient partie du quotidien («vous êtes journaliste?»). Ainsi que les habituelles moqueries par rapport au fait que je faisais des prises de vue de presque tout ce qu’il se passait autour de moi («pourquoi tu fais une photo de cela? Ce n’est pas si intéressant!»). Puis il y a le fait de ne pas pouvoir cacher le fait d’être étrangère : d’une part, dans un milieu fermé et restreint comme un village moldave tout le monde connaît les voisins, et une nouvelle tête est toujours victime de la curiosité et (parfois) de la méfiance des villageois. D’autre part mon aspect extérieur, même sans faire exprès, attirait l’attention (la façon de s’habiller, le fait qu’à l’époque je portais les cheveux très courts, …) et dans la rue tout le monde me regardait. Donc il y avait une espèce de mur entre eux et moi que souvent je n’arrivais pas à casser. Alors comment s’introduire sur le terrain ? À Horodiste, c’était surtout Tanti O. qui me présentait des possibles informateurs. Quelquefois, c’était aussi des volontaires de l’association française qui m’ont présenté des personnes. Par exemple, j’ai fait connaissance avec A. C. grâce à J., la volontaire belge. Une fois j’ai accompagné J. à l’école de Horodiste et dans une salle de cours j’ai découvert des portraits d’une femme développés en grand format et placés sur le piano de la salle [figure 2]. J’ai montré mon intérêt pour ces photographies et J. m’a expliqué qu’elles étaient à A. C. une des professeures de l’école.

Table des matières

Introduction
1. Une ethnographie du visuel : la famille en milieu rural
1.1. Difficultés sur le terrain
1.1.1. Famille et terrain
1.1.2. La place de l’ethnographe étrangère
1.1.3. L’incompréhension du travail ethnographique
1.2. L’objet scientifique
1.2.1. Les aspects techniques
1.2.2 Mener les entretiens
1.2.3. Organisation et analyse du corpus
2. La famille sur la photo
2.1. L’image extraordinaire
2.2. Les moments photographiés
2.2.1. Le repas festif
2 .2.2.Le mariage
2.2.3.Les photographies du quotidie
2.2.4. Les enfants sur la photo
2.2.5. Les photos des morts
2.3. Au delà de la famille
2 .3.1. Les photographies à l’armée
3. Le temps et la famille, un récit collectif
3.1. Construire la mémoire familiale
3.1.1. La conservation des clichés
3.1.2 La circulation des clichés
3.2. La famille national
3.2.1. Regarder des photographies de famille
3.2.2 L’identité partagée
4. Conclusion
5 . Références bibliographiques
Annexe

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