ZARATHOUSTRA : SYMBOLE DE VIE ET DE PUISSANCE 

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LA PHILOSOPHIE GRECQUE ANTIQUE

Les Présocratiques

L’ouvrage intitulé La philosophie grecque à l’époque des tragiques, conçu sous plusieurs titres et sur des plans variés n’a jamais paru.
« Le premier ouvrage par lequel Nietzsche s’est imposé à l’atten-tion, La naissance de la tragédie, devait avoir un pendant, La philo-sophie grecque à l’époque des tragiques. »(3)
Cependant, quelques fragments importants existent encore et ont influencé les idées de Nietzsche. Grâce aux idées tirées de ces fragments, il a écrit un autre ouvrage dont le titre est La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque. Ce livre est capital, il y retrace les origines réelles de sa pensée. C’esteffectivement là qu’il faut remarquer le rôle et la place des auteurs présocratiques dans la pensée nietzschéenne. Étant donné sa versatilité, notre auteur a d’abord apprécié Schopenhauer et Wagner avant de rejeter leurs idées. Pourtant, il est toujours resté fidèle à saprofonde admiration pour l’œuvre et la pen-sée des philosophes présocratiques.
L’objet de ce chapitre est de remonter aux origines de la philosophie occidentale en général et celle de Nietzsche en particulier. L’histoire de la philosophie nous enseigne que la philosophie est née en Grèce, précisément ecav les physiciens ioniens, six siècles avant l’ère chrétienne. Nietzsche écrit à ce sujet: « La philosophie grecque semble commencer par cette idée absur-de, que l’eau serait l’origine et le sein maternel de toute chose. »(4)
Sans doute faut-il remarquer qu’en voulant interpréter l’origine du monde et de toutes choses, les Grecs, à l’exemple de Thalès, n’ ont pas cherché à inventer des réalités extraterrestres pratiquement insaisissables. Ces maîtres grecs, Thalès, Anaximandre, Anaximène, Héraclite, soutiennent que l’eau, l’Apéiron, l’air et le feu constituent le principe et l’origine de toutes choses pouvant exister. Cela témoigne de leur vraie originalité de philosophes, d’hommes sages qui n’ont pas cherché un subterfuge pour se dérober à la réalité au même titre que Socrate et ses disciples. Dans cesens, Nietzsche note à l’endroit des Présocratiques qu’ils : « […] forment à eux tous ce que Schopenhauer, par o pposition à la République des savants, a appelé une République desgénies. »(5)
Nous constatons ici la grande admiration que l’auteur de La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque porte sur les philosophes de la Grèce antique. « […] ces vieux sages, poursuit-il, de Thalès à Soc rate, ont parlé, en termes il est vrai très généraux, de tout ce qui constitue pour nous l’essence de l’esprit hellénique. Dans leurs discours comme déjà dans leurs personnalités s’accusent les grands traits du génie grec dont toute l’histoire grecque n’est qu’une ombre po rtée, une copie confuse et qui ne nous parle pas en termes clairs. Même si nous in-terprétions exactement et dans sa totalité la vie ud peuple grec, nous ne trouverions encore que le reflet de l’image qui brille en couleurs plus vives dans ses génies les plus hauts. […] D’au tres peuples ont des saints, les Grecs ont des sages. »(6)
De plus, ce qui a vraiment marqué Nietzsche chez ces génies grecs, c’est leur manière de vivre. C’est une vie que ce philosophe a excessivement admirée en raison de l’intervention directe des dieux qui n’ont, contrai rement au Dieu chrétien, aucun esprit de jalousie, de punition ni de vengeance. La vie heureuse des Grecs leur procure épanouissement et bonheur jusqu’au jour où Socrate s’impose a vec sa philosophie et sa morale qui ont étouffé les désirs et les plaisirs instinctifsainsi que la jouissance du corps. Ils ont une manière de jouir de la vie et de se procurer du bonheur. Leur vie, tragique selon Nietzsche, est symbolisée par les deux divinités adverses victorieuses de la compétition sportive de ’Olympe, lesquelles sont réconciliées de justesse .Il s’agit de Dionysos et d’Apollon. Le premier est le dieu auquel Nietzsche attribue : « Un défi héroïque aux puissances des morts, une résolution d’af-fronter la vie dans sa totalité jusque dans ses pires catastro-phes. »(7)
Il est le Dieu de l’ivresse, de la démesure et de l’extase. Les citoyens grecs qui croient en lui ignorent la peur et la tragédie, ilsvivent par delà le bien et le mal. Si Socrate et ses disciples menaient une vie rationnelle visant à priver le corps des plaisirs et des dé-sirs sensibles, si les chrétiens privilégiaient l’esprit par rapport à la chair, les Grecs profi-taient de tout bonheur que peuvent leur procurer la terre et le corps. Pendant la fête en l’honneur de Dionysos, aidés par les boissons narcotiques, ils jouissent de la vie, oublient toutes leurs peines. C’est le moment durant lequel ils mènent une vie d’innocence, une vie d’enfant. Ils ne sont pas tentés de distinguer le bien du mal, ne ressentant aucune cons-cience de culpabilité. C’est le type de vie que Nietzsche qualifie de dionysiaque. Ici, Dio-nysos, le dieu de l’ivresse, de la démesure et de l’extase est en harmonie avec celui de la beauté et de la mesure. Quant à Apollon, il symbolise « La forme harmonieuse du rêve, de la lumière naturelle et de norme juste. »(8)
Cette description renvoie aux critères et à une vie d’artiste qui cherche dans la joie, l’harmonie et les normes justes, à plaire aux spectateurs. Telle était la vie du Grec cherchant à plaire aux autres et à soi-même.
Or, c’est dans la belle apparence du rêve, jouissant de la plénitude de l’im-médiat que l’homme est pleinement artiste. Artiste et innocent, le peuple grec conçoit la vie d’une manière simple et naïve. Il accepte le bonheur comme il accepte le malheur, le bien comme le mal. C’est dans cette perspective que Nietzsche écrit : « L’Hellène n’est ni optimiste ni pessimiste, il est entièrement viril ; il voit les choses terribles telles qu’elles sont et ne les dissimule pas. »(9)
La vie quotidienne de ces vieux sages grecs se caractérise par un profond respect de la tradition basée sur les mythes religieux qui glorifient le défi et le héros combattant. Ne se souciant point de l’éventuel caractère éphémère que peut présenter la vie ni des souffrances qui y sont toujours liées, ces anciens Athéniens profitent de leur état de santé et de force dont ils disposent pour vivre pleinement. Ainsi, la philosophie de Nietzsche qui est une pensée critique valorisant la vie ne peut-ellepas se passer de celle de ces anciens sages grecs dont la manière de vivre est un modèle symbolique. C’est en ce sens qu’il faut le comprendre lorsqu’il affirme : « […] et si c’est des Grecs que l’on s’occupe, il f aut toujours se souvenir que le besoin immodéré du savoir est aussibarbare en soi que la haine du savoir, et que les Grecs ont maîtrisé, par leur sens de la vie, par leur besoin de vie idéale, leur instinct de connaissance qui était insatiable en soi. Car ce qu’ils apprenaient, ils voulaient aussitôt le vivre. »(10)
En outre, il est à retenir que si Nietzsche se sent vraiment rattaché à ces hommes, c’est surtout parce que, dans leur vie, ils sont pratiquement instinctifs, ce qui leur permet de jouir pleinement de la vie. Ces hommes « véritables » dont les instincts sont forts, sont évidemment les auteurs de grandes activités et desactes grandioses. C’est en guise de reconnaissance de leurs œuvres spectaculaires que Nie tzsche déclare ceci : « Pour les hommes productifs, l’instinct est la force affirmative et créatrice. »(11)
Tout au long de sa vie, notre auteur n’a pas manqué de prononcer le mérite des philosophes présocratiques, leur vivacité des vraissages et des bons vivants. N’est-ce pas à partir de ces vieux sages qu’il veut détourner l’objet de toute la philosophie néo-socratique, et se veut ainsi révolutionnaire ?
Si Kierkegaard et plus tard Marx(12) ont apporté une révolution dans la pensée occidentale, respectivement par l’existentialisme contemporain et le matérialisme dialectique(13), Nietzsche révolutionne la philosophie avec des bases et des perspectives toutes nouvelles. Il s’agit pour ce dernier de donner vraiment sens à l’homme, lui restituer sa vraie nature que Socrate et les siens ont pervertie. Si nous remontons aux Présocratiques, nous constatons que cette philosophie nietzschéennede la vie est une reprise des pensées présocratiques, longtemps interprétées depuis desiècles.
En fait, l’admiration de Nietzsche pour la Grèce antique se fait sentir dans presque toutes ses oeuvres. Dans La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque, il écrit : « Le Grec est celui qui, jusqu’à présent, a mené l’homme le plus loin. Nous en revenons aujourd’hui à ces interprétations fondamen-tales de l’univers que l’esprit grec a inventées par le moyen d’Anaximandre, d’Héraclite, de Parménide, d’Empédocle, de Dé-mocrite et d’Anaxagore ; nous devenons plus grecs de jour en jour ; d’abord, bien entendu, dans nos concepts et nos jugements, comme si nous n’étions que des fantômes gréçisants ; mais un jour, espé-rons-le, nous deviendrons physiquement des Grecs ! C’est là, et ç’a toujours été là ce que j’espère du germanisme ! »(14)
Nietzsche est fortement marqué par ces inventions et interprétations de l’Univers formulées par ces Grecs, et surtout par leurs traditions, leur façon de vivre. Il aurait souhaité une vie dans la sérénité dans laquelle leseuxdi vivent en harmonie avec les humains.
C’est justement cette harmonie qui symbolise la vraie unité dans ce peuple grec. Mais cette belle unité a fini par être tragiquement rompue. Cela nous amène à nous poser la question sur l’origine de cette rupture. Qui est l’auteur d’ une pareille débâcle ?

Socrate et ses disciples

Nous venons d’expliciter dans les pages précédentesque la philosophie est née en Grèce, avec les Présocratiques ioniens. Si Nietzsch traite ces derniers avec tant d’admiration du fait qu’ils sont, non seulement les fondateurs de la philosophie, mais également les véritables philosophes qui eussent existé,il considère, par contre, Socrate comme un falsificateur, un assassin. Socrate est le premier à rejeter en bloc ou simplement à modifier les enseignements de ses prédécesseurs.
A l’aube de l’histoire philosophique de l’humanité, les anciens Grecs ont tenté de se comprendre à travers le monde. C’est en se référant à cela que nous disons que la philosophie est le fruit de l’étonnement. Frappés par leur existence, l’existence du monde et par la métamorphose incessante des choses, ces anciens Grecs ont eu l’intention d’interpréter cette notion de métamorphose et de trouver du mêmecoup le principe primordial origine de tout ce qui existe. Ainsi, pour Thalès, ce principe est l’eau, tandis qu’Anaximandre retient l’Indéfini, l’Apéiron( 15 ). C’est à partir de ce principe que Socrate va tenter d’expliquer le monde et réussira à détourner l’objet de la philosophie. La véritable nature de ce monde-ci, celui de la physique, est déplacéeailleurs, dans le domaine de la métaphysique. C’est pour cela que Socrate est reconnu comme le précurseur de la métaphysique. La philosophie de Socrate, basée sur la théorie des idées, valorise le ciel au détriment de la terre, l’âme au détriment du corps et de l’instinct. Cela est justifié dans cette affirma-
tion : « Je n’ai pas en effet d’autre but, en allant par l es rues, que de vous persuader jeunes et vieux, qu’il ne faut pas donner le pas au corps et aux richesses et s’en occuper avec autant d’ardeur que du perfec-tionnement de l’âme. Je vous le répète que ce ne sont pas les ri-chesses qui donnent la vertu mais que c’est de la vertu que provien-nent les richesses et tout ce qui est avantageux soit au particulier soit à l’État. »(16)
Socrate s’attache ainsi à nier tout ce qui se rappo rte aux sens et au monde sensible.
Tout son édifice intellectuel se traduit par une négation du corps, du plaisir et de tout ce qui a trait à la corruption et au devenir au profit du monde du Bien. Or, une telle approche est, aux yeux de Nietzsche, une vision qui assassine la vie. Pourtant la vie est pour notre auteur d’une valeur inestimable : « « De tout temps, les plus grands sages ont porté le même juge-ment sur la vie : elle n’a aucune valeur… Partout e t toujours, ce qu’ils en disent a le même accent, un accent de doute, de mélanco-lie, de lassitude de vivre, de résistance à la vie. Socrate lui-même a dit, au moment de mourir : « La vie n’est qu’une lo ngue maladie » […] Des jugements, des jugements de valeur sur la vie, pour ou contre la vie, ne peuvent en fin de compte jamais être vrais : ils ne valent que comme symptômes, ils ne méritent d’êtrepris en consi-dération que comme symptômes, car en soi, de tels jugements ne sont que sottises. […] la valeur de la vie ne saurait être éva-luée. » »(17)
Dans une analyse exclusivement nietzschéenne, tous ces grands sages à limage de Socrate ne sont que des décadents qui témoignent d’une évolution déclinante. Ils ont perverti l’humanité et poussé au déclin la pensée philosophique. Pour Nietzsche, Socrate est l’incarnation de la décadence.
En plus, il faut reconnaître que Socrate a joué un rôle très influent dans la pensée occidentale, si bien que nous pouvons le considérer comme un modèle, un pivot de l’histoire. Il est connu qu’il n’a rien écrit. Nous comprenons ses idées à travers les oeuvres de Platon. Selon Nietzsche, Platon est une personne très dangereuse dont il faut se méfier : « « J’ai su déceler en Socrate et Platon des symptômes de dégéné-rescence, des instruments de la débâcle de l’hellénisme, des « pseu-do Hellènes », des anti-Hellènes. » »(18)
Ils ont consciemment falsifié la philosophie pure des anciens Grecs et ont inoculé du poison à toute leur postérité. Depuis qu’ils ontdivisé le monde en deux, qu’ils ont opposé Apollon à Dionysos, l’âme au corps, ils ont fa it naître le dualisme dans la pensée philosophique. Depuis, l’instinct, le corps et par conséquent la vie ont été dénigrés en faveur de la mort. Ceci trouve sa justification, ne serait-ce qu’en faisant recours à cette affirmation de Socrate, à la veille de son exécution : « Mais voici l’heure de nous en aller, moi pour mourir, vous pour vivre. Qui de nous a le meilleur partage, nul ne le sait, excepté le dieu. »(19)
Socrate est la source lointaine de la décadence, del’impuissance distinguant bien et mal, juste et injuste, termes dont la morale, la religion et les institutions politiques actuelles se servent dans le but de vouloir rabaisser les puissants. La morale de Socrate est une morale grégaire qui, reprochant aux sophistes d’entraîner l’injustice et le mal dans la cité athénienne, prônait la justice, l’ordre social et le bien. Or, pour Nietzsche, bien et mal sont deux concepts qui existent et auxquels l’homme ne peut guère échapper dans sa vie. Il ne faut pas opposer ces deux termes qui caractérisent l’existence humaine.

Table des matières

INTRODUCTION 
I. LES ORIGINES DE LA PENSÉE DE NIETZSCHE 
I.1 LA PHILOSOPHIE GRECQUE ANTIQUE
I.1.1 Les Présocratiques
I.1.2 Socrate et ses disciples
I.2 Les influences orientales
I.2.1 Le personnage de Zarathoustra
I.2.2 Le concept de « Retour éternel »
I.3 L’influence de Schopenhauer
I.3.1 La vie selon Schopenhauer
I.3.2 L’idéalisme de Schopenhauer
II. LA VIE SELON NIETZSCHE 
II.1 La vie et les impuissants
II.1.1 Des visionnaires de l’au-delà
II.1.2 Des contempteurs du corps
II.1.3 De l’altruisme
II.2 La vie vue par Nietzsche
II.2.1 De l’égoïsme
II.2.2 De la volonté de puissance
II.2.3 Le sens de la terre
III. ZARATHOUSTRA : SYMBOLE DE VIE ET DE PUISSANCE 
III.1 Zarathoustra le libérateur
III.1.1 Zarathoustra et la solitude
III.1.2 Des trois métamorphoses
III.1.3 Le chemin du créateur
III. 2 Création, symbole du surhomme
III.2.1 Sentiment et activité
III. 2.2 Le nihilisme et Nietzsche
III.2.3 Du grand homme (surhomme)
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE 

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