Al-Gubrini, bio-bibliographique des savants de Béjaïa

L’ouvrage de ‘Unwân al- Dirâya d’al- Ghubrîni

De part sa position stratégique, la ville de Bijâya (Bougie) est devenue un centre intellectuel, qui a profité à la fois de la déchéance de la Qal’a Beni Hammâd et de l’émigration andalouse, qui s’est accrue après la défaite de las Navas de Tolosa( en 609/1212). Elle a connu durant tout le VIIe/ XIIIe s. une activité culturelle intense, concrétisée par la rédaction de ’Unwân al- dirâya. Dans cet ouvrage, le qadiAbû al- ‘Abbâs Ahmad alGhubrîni (644-714H/1246-1314), qui était à la fois jurisconsulte, et homme politique, se fait l’écho de la mémoire collective, en consacrant108 notices biographiques aux savants de la ville ( jurisconsultes, médecins, historiens etc.) de la fin du VIe /XIIe siècle à la fin du VII e / XIII e
– Quelles sont les sources écrites et orales utilisées par Ghubrînî ?
s. Cette construction sérielle est consacrée à la stratégie de représentation d’une élite dirigeante, intellectuelle et sociale ; elle est caractérisée par le caractère charismatique des savants. A l’instardes ouvrages biographiques et hagiographiques, rédigés en Ifrîqiya et en Andalus, elle rend compte d’une situation culturelle complexe. En partant d’une approche historiographique, nous essayerons de traiter les thèmes suivants :
– Quelles sont les caractéristiques de la typologie des sciences proposée par l’auteur (‘ulum al- diraya et ‘ulum al- riwâya) ? – Qui sont les acteurs ? Comment se construit la chaîne des garants ? – Quel est le rôle de la rihla, du pèlerinage et des pérégrinations dans la constitution des espaces culturels ? Par quoi est caractérisée la relation culturelle entre Tunis et Bougie au XIIIe siècle ?

Le ʻUnwān al-dirāya et la fierté des élites urbaines sous les Hafṣides

Quand Abū al-ʻAbbās al-Ghubrīnī forme l’idée d’écrire son ʻUnwān, le dictionnaire biographique est un genre littéraire bien établi parmi les lettrés (Bulliet 1972 ; Urvoy 1976). Son projet s’inscrit donc dans une longue lignée d’ouvrages similaires qui sont devenus des références de base sur l’histoire des villes et des élites savantes qui en ont fait la gloire. Avec le ʻUnwān, al -Ghubrīnī donne ainsi à la ville de Bijāya un tel texte capable d’inscrire la ville parmi celle connues par leurs savants et hommes pieux. Repris par des intellectuels de marque comme le constantinois Ibn Qunfudh (m. 1407), le ʻUn wān eut l’effet escompté et devint une référence importante parmi les auteurs maghrébins. Bien qu’il ait réussi ainsi à faire valoir la ville de Bij āya, notre auteur était issu d’une famille de Bédouins, c’est-à-dire de non-citadins, dont le pays se trouvait à quelque distance des murs de la ville. Pour s’expliquer comment un « Bédouin » choisit d’exprimer ainsi une fierté urbaine, et non ethnique ou tribale, il nous faut cerner le contexte politique et intellectuel de l’époque. En premier lieu, il faut mesurer le poids de la politique autonomiste des émirs Ḥafsides de Bijāya à l’encontre de leurs frères et cousins qui régnaient à Tunis (Valérian 2006 ; Rouighi 2011) et souligner la participation active d’al-Ghubrīnī dans les manœuvres politiciennes et les jeux de pouvoir qui permirent de faire de Bījāya une capitale Ḥafside plus ou moins autonome. Dans la répartition des tâches et des privilèges parmi les différentes forces politiques qui soutinrent les Ḥafsides, la fonction de juge de la ville était une charge généralement octroyée par les Ḥafsides à « un fils du pays » et pas à un andalou, un almohade, ou à quelqu’un venant de loin (Baïzig 2006). En tant que juge, alGhubrīnī était le représentant de ce groupe dans l’organisation du pouvoir dynastique. De plus, une ville comme Bijāya projetait son pouvoir et influence bien au-delà de ses murs. En soutenant la ville économiquement et politiquement, les «environs» faisaient tout naturellement partie de la ville et al-Ghubrīnī n’était donc pas quelconque Bedouin. Avec la composition du ʻUnwān, al -Ghubrīnī réagissait aussi aux andalous qui s’étaient bien intégrés dans la politique et qui se différenciaient entre eux en rappelant au monde leurs origines urbaines et leur orgueil dans l’histoire de leurs villes d’origine. En choisissant ce répertoire biographique, alGhubrīnī inscrit sa démarche non seulement dans une tradition littéraire mais aussi dans la politique culturelle de son époque. Il répondait aussi aux élites urbaines d’autres villes du Maghreb, tels que les constantinois, qui considéraient que Bijāya étaient une ville nouvelle et ses élites des nouveaux venus (Ibn Qunfudh).En nous limitant à ces éléments partiels et préliminaires, nous pouvons tirer quelques enseignements sur le contenu du ʻUnwān qui s’inscrit, selon nous, dans cette même optique de fierté urbaine.

Remarques et réflexions sur la classification des sciences élaborée 

Bien que les classifications de sciences dans le monde de l’Islam médiéval aient fait l’objet de plusieurs travaux, la classification des sciences établie par Abū-l-‘Abbās Aḥmad alĠubrīnī (m. 704/1304) est peu étudiée. Pourtant, cet auteur de Béjaïa ḥafṣīde a laissé un texte original représentant les champs du savoir réputés dans son temps. Je proposerai une lecture de la classification des sciences dressée par al-Ġubrīnī dans son Catalogue, tout en faisant une comparaison avec la classification d’Ibn Ḫaldūn, pour mettre en lumière l’éventuelle particularité des champs du savoir à Béjaïa de la fin du Moyen Âge.

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