Comité consultatif sur l’application

Comité consultatif sur l’application.

Le présent document contient des éléments d’un rapport à venir intitulé Media Piracy in Emerging Economies, qui clôt plus de quatre années de travail effectué par une trentaine de chercheurs dans 10 pays. Ce rapport est l’aboutissement d’une enquête sur le piratage de la musique, des films et des logiciels dans les pays en développement ainsi que sur les efforts aux niveaux multinational, national et local pour faire appliquer les droits dans le cadre de la lutte contre ce phénomène. Il a pour fondement des études nationales réalisées au Brésil, en Inde, en Russie et en Afrique du Sud – derniers maillons stratégiques de type “revenu moyen” dans la guerre sur l’application des droits – et des études plus succinctes effectuées au Mexique et en Bolivie. 2. Dans son sens le plus large, le rapport donne une idée de la convergence numérique dans les pays émergents, processus pour lequel le piratage, avec l’utilisation du téléphone mobile, est devenu, dans une certaine mesure, l’application principale. Il étudie le piratage du disque optique sur 15 années au cours desquelles le disque a remplacé la cassette et, plus tard, l’entreprise artisanale à petite échelle la production industrielle à grande échelle. Il remonte jusqu’au premier défi réel auquel ce réseau de distribution a été confronté, à savoir les services sur l’Internet et autres formes de partage de données à grande échelle. Il étudie la question de l’organisation et de la mise en pratique de l’application des droits, depuis les descentes de police dans la rue jusqu’à la dénonciation par le secteur industriel et la formation aux politiques internationales en passant par des partenariats entre le secteur industriel et le gouvernement. Et il étudie la demande des consommateurs et les pratiques fluctuantes de ceux ci, dont l’indifférence ou l’hostilité persistante devant les efforts déployés par une grande partie de la population locale aux fins de l’application des droits . RÉORIENTER LE DÉBAT 3. Le présent document s’efforce de donner un éclairage nouveau à certaines questions façonnant le comportement des consommateurs sur les marchés des supports d’information pirates ou licites 1) dans le cadre des efforts d’application des droits visant à façonner ce comportement et 2) compte tenu de facteurs clés tels que le prix et la disponibilité. 4. Le piratage des supports d’information a été qualifié de “fléau mondial”, de “plaie internationale” et de “nirvana des criminels” mais il est probablement plus approprié de le décrire comme un problème mondial de fixation des prix. Le prix élevé des supports d’information, la faiblesse des revenus et les techniques numériques bon marché sont les principaux ingrédients du piratage de ces supports au niveau mondial. Si le piratage est omniprésent dans la plupart des régions du monde, c’est parce que ses conditions d’existence sont omniprésentes. Par rapport aux revenus locaux au Brésil, en Russie ou en Afrique du Sud, le prix de détail moyen d’un CD, d’un DVD ou d’une copie de MS Office est cinq à dix fois supérieur à celui qui est pratiqué aux États-Unis d’Amérique ou en Europe. Les supports d’information licites sont des articles de luxe dans la plupart des régions du monde, et les marchés licites des produits d’information sont, par ricochet, minuscules. Les estimations de l’International Intellectual Property Alliance (IIPA), qui révèlent des taux élevés de piratage sur les marchés émergents (68% pour les logiciels en Russie, 82% pour la musique au Mexique et 80% pour les films en Inde) reflètent cette disparité et minimisent même peut être la prévalence des produits pirates. 5. Reconnaître cette conséquence de la fixation des prix, c’est considérer le piratage sous l’angle de la consommation et non sous l’angle de la production dans l’économie mondiale des supports d’information. Le piratage impose tout une série de coûts aux producteurs et aux distributeurs, aussi bien au niveau national qu’au niveau international. Mais il fournit aussi la principale forme d’accès, dans les pays en développement, à un large éventail de supports d’information, depuis la musique enregistrée jusqu’aux logiciels en passant par les films. 6. Ce dernier point est essentiel pour bien comprendre les compromis sous tendant le piratage et l’application des droits sur les marchés des pays émergents. Le déferlement de supports d’information dans les pays à revenu élevé au cours des deux dernières décennies correspond à très peu de choses dans la plupart des régions du monde. Les marchés du film, de la musique et du logiciel sont entre les mains de quelques entreprises internationales qui, à quelques exceptions près, maintiennent des prix se situant au même niveau que les niveaux américain et européen, ou s’en approchant, voire, occasionnellement, se situant au dessus de ces niveaux. Les producteurs et distributeurs locaux ont manifestement intérêt à approvisionner des publics plus vastes à des prix inférieurs aux prix occidentaux. Mais seules quelques entreprises locales exercent une mainmise suffisante sur la production et la distribution pour pouvoir le faire. La plupart des entreprises culturelles locales se sont révélées fragiles, voire vulnérables, devant l’instabilité économique des marchés émergents et, surtout, devant la concurrence des multinationales.

Le développement du piratage numérique depuis mi 1990 a ébranlé un grand nombre des modèles commerciaux applicables aux supports d’information mais est aussi à l’origine, dans la plupart des cas pour la première fois, d’un accès à un coût abordable aux logiciels et aux supports d’information enregistrés. À notre avis, la question la plus importante n’est pas de savoir si une application des droits renforcée peut endiguer ce flot et préserver la structure actuelle des prix et des marchés – nos études n’offrent aucune garantie à cet égard – mais plutôt si des modèles culturels et commerciaux stables peuvent émerger sur ces marchés des supports d’information bas de gamme, afin de satisfaire les milliards de futurs consommateurs dans ce domaine. Le présent document donne un aperçu de cette “réinvention” au fur et à mesure que les coûts de production et de distribution diminuent et que les producteurs et les distributeurs se font concurrence et innovent. 8. Le facteur commun de ces nouveaux modèles, ainsi que le laissent penser nos travaux, ne consiste ni en une application sévère des droits ni en une utilisation novatrice de la distribution numérique, mais plutôt en la présence d’entreprises sur des marchés nationaux qui se font fortement concurrence en matière de prix et de services auprès du public local. Cette concurrence est endémique dans certains secteurs des médias aux États-Unis d’Amérique et en Europe où la diffusion numérique est en train de remodeler l’accès aux supports d’information en fonction de niveaux de prix moins élevés. Ce phénomène est largement répandu en Inde où les grandes entreprises nationales de la cinématographie et de la musique dominent le marché national, fixent les prix pour attirer le grand public et, dans certains cas, font directement concurrence à la distribution de produits pirates. 9. Mais, à quelques rares autres exceptions près, ce phénomène est marginal dans tous les autres pays en développement où des multinationales dominent les marchés nationaux. À cet égard, nos travaux nous laissent penser que ce qui compte au niveau local, c’est la propriété. Les entreprises locales ont beaucoup plus de risques d’être fortement en concurrence auprès du public sur le plan des prix et des services – le marché national est leur marché. Les stratégies de fixation des prix et d’application des droits des multinationales dans les pays en développement, à l’inverse, laissent entrevoir deux objectifs assez différents : 1) protéger la structure de fixation des prix sur les marchés à valeur élevée, qui génèrent la plupart de leurs bénéfices et 2) maintenir une position dominante sur les marchés des pays en développement au fur et à mesure que les recettes augmentent lentement au niveau local. En dépit du fait que ces expériences de fixation de prix plus faibles pour les DVD et de pratiques de concession de licences institutionnelles pour les logiciels aient été courtes, cette généralisation est valable pour tous les pays dont il est question dans le présent rapport. 10. Principal défaut de cette stratégie, constaté au cours de la décennie écoulée : le prix des techniques a baissé beaucoup plus rapidement que les recettes n’ont augmenté, ce qui a fait naître une infrastructure diversifiée pour la consommation de supports d’information numériques, consommation que les entreprises dominantes n’ont pas vraiment cherché à satisfaire. La diffusion rapide des techniques en lieu et place d’une augmentation lente des recettes demeurera, à notre avis, le cadre de référence approprié de la conception du lien entre marchés mondiaux des supports d’information et piratage mondial des supports d’information. Selon nous, les entreprises de supports d’information soit apprendront à faire baisser les prix sur le marché par le jeu de la concurrence, soit continueront à s’accommoder de clivages très fortement prononcés entre les grands marchés de produits pirates à bas prix et les petits marchés de produits licites à prix élevé. Il est important de relever que ce statu quo semble viable dans la plupart des secteurs du commerce des supports d’information dominés par les multinationales. Les recettes provenant des logiciels et des salles de cinéma ont notablement augmenté dans la plupart des pays à revenu moyen durant la décennie écoulée, dans certains cas d’une manière spectaculaire. 11. Il est évident que les problèmes de fixation des prix et de distribution dans les pays en développement jouent un rôle central tout en étant étonnamment absents de la plupart des débats politiques. La structure de l’économie des supports d’information licites ne fait presque jamais l’objet d’un examen. Au lieu de cela, les délibérations politiques sont axées sur l’application des droits, c’est-à-dire sur le renforcement des pouvoirs de la police, la rationalisation des procédures judiciaires, l’alourdissement des sanctions pénales ainsi que sur l’extension des mesures de surveillance et des mesures punitives à l’Internet. Bien que les prémisses d’une nouvelle façon de penser soient visibles à de nombreux égards dans le secteur des médias, les entreprises s’adaptant aux réalités de l’environnement numérique des médias, il est difficile de constater un quelconque impact de cette évolution sur les politiques de propriété intellectuelle, en particulier sur la politique commerciale des pays développés qui constitue l’élément moteur du dialogue international sur l’application des droits. 12. À notre avis, cette limitation est toujours plus contreproductive pour toutes les parties, depuis les gouvernements des pays en développement jusqu’aux milieux des droits d’auteur dirigeant le débat international sur l’application des droits en passant par les consommateurs. Le fait de ne pas se poser de questions plus diversifiées sur les causes structurelles du piratage et les objectifs plus vastes de l’application des droits a un coût intellectuel, politique et, en fin de compte, social. Ce coût est particulièrement élevé, dirions nous, compte tenu des nouvelles propositions ambitieuses pour l’application des droits aux niveaux national et international, en particulier la proposition d’accord commercial anti-contrefaçon (ACTA).

Pour être plus explicite à cet égard, nous n’avons trouvé aucune preuve – et assurément aucune prétention – selon laquelle les efforts déployés jusqu’à présent pour faire appliquer les droits ont eu une quelconque répercussion sur l’offre globale en produits pirates. Nos travaux nous laissent plutôt penser, à l’aune de la plupart des critères, que le piratage s’est considérablement développé durant la décennie écoulée, stimulé par les facteurs exogènes susmentionnés : prix élevé des supports d’information, revenus locaux bas, diffusion technologique ainsi que mutation rapide des pratiques des consommateurs et des pratiques culturelles. 14. Le débat se distingue aussi par son absence d’échange de vues sur l’issue, c’est-à-dire la façon dont une application élargie des droits, que ce soit en s’attaquant à l’Internet sous la forme de propositions de textes législatifs “de la troisième faute” (« three-strikes ») ou à la vie de tous les jours sous la forme de sanctions pénales plus lourdes, changera sensiblement cette dynamique sous jacente. Une bonne partie de ce qui représente une façon de raisonner à long terme dans ce contexte se base sur l’espoir que la sensibilisation permettra de construire une “culture de la propriété intellectuelle” plus forte au fil du temps. Nous n’avons trouvé aucune preuve de cela dans nos propres travaux, ni dans le large éventail d’enquêtes d’opinion menées auprès de consommateurs durant la décennie écoulée. Nous n’avons pas non plus constaté une quelconque tentative de la part de protagonistes du secteur étatique ou industriel d’énoncer des critères crédibles permettant de mesurer la réussite ou les limites souhaitables de l’expansion des compétences en matière d’application des droits ou d’investissements publics. Le côté fortement moralisateur du débat rend ces compromis difficiles. 15. Mais ce qui est peut être le plus important, c’est que nous avons constaté qu’il n’existait qu’un faible lien entre ces efforts et le problème plus vaste des moyens à mettre en œuvre pour promouvoir des marchés culturels riches, accessibles et licites dans les pays en développement, problème qui a inspiré une grande partie de nos travaux. La question essentielle de l’accès aux supports d’information et de la licéité des marchés concernés a, selon nous, moins à voir avec l’application des droits qu’avec l’encouragement de la concurrence sur les marchés de supports d’information bas de gamme, qui constituent eux mêmes un vaste marché créé par le piratage auquel il a été en grande partie laissé. À ce stade, nous sommes partis du principe que des DVD à 15 dollars des États Unis d’Amérique pièce, des CD à 12 dollars et des copies de MS Office à 150 dollars n’allaient pas faire partie de solutions légales diversifiées. 16. Pour nous, ces questions semblent au cœur du Plan d’action pour le développement et, plus tangiblement, des efforts déployés par les États membres de l’OMPI pour définir une position commune sur la question de l’application des droits qui soit en harmonie avec ce plan d’action. Le projet du SSCR intitulé “Media Piracy Project” a été conçu pour donner un éclairage nouveau à ces questions. II. SENSIBILISER LES CONSOMMATEURS 17. Presque tous les projets officiels de protection de la propriété intellectuelle, qu’il s’agisse de celui de la Chambre de commerce des États-Unis d’Amérique intitulé “Campaign to Protect America”, du “National Plan to Combat Piracy” du Gouvernement brésilien ou du Plan d’action pour le développement de l’OMPI, soulignent que les “mesures répressives” visant à lutter contre le piratage ne suffisent pas, que l’application de droits appelle aussi la mise en place d’une “culture de la propriété intellectuelle” plus solide par des campagnes éducatives et de sensibilisation du public. Les efforts de sensibilisation sont donc légion, allant de programmes sur la lutte contre le piratage mis en œuvre dans les écoles publiques à des séminaires techniques bien circonscrits conçus pour “sensibiliser” les juges et les fonctionnaires chargés de l’application du droit à l’importance des délits de propriété intellectuelle en passant par des campagnes de sensibilisation. Parce que la sensibilisation du public est un domaine où la coordination entre groupes d’entreprises est relativement simple, les campagnes locales tendent à beaucoup se ressembler d’un pays à l’autre et véhiculent avec insistance les mêmes messages simples : “respect” de la propriété intellectuelle, peur de se faire prendre et crainte d’acheter des produits dangereux ou socialement préjudiciables. La distinction entre le piratage et la contrefaçon disparaît presque toujours dans ce contexte. Par contre, l’accent est presque toujours mis sur les associations inquiétantes avec le crime organisé, l’immoralité et les coûts pour la personne. C’est ainsi que l’on peut lire dans le manuel d’enseignement utilisé dans le cadre du cours intitulé “Projeto Escola Legal” dans les écoles élémentaires brésiliennes ce qui suit : “Ce n’est pas une exagération que de dire qu’en achetant un produit pirate, une personne réduit ses propres chances de trouver un emploi ou même provoque le licenciement d’un parent ou d’un ami (PEL 2010: 10)”. Dans un spot vidéo largement diffusé au Brésil, des malfaiteurs s’adressent à la consommatrice de DVD pirates en ces termes : “Merci, m’dame, de nous aider à acheter des armes!” 18. Les efforts visant à façonner le discours public sur le piratage touchent l’organisation des nouvelles écrites ou radiodiffusées. Plusieurs de nos études nationales nous ont permis de rassembler des informations sur la mesure dans laquelle les messages de l’industrie du droit d’auteur dominent la place accordée au piratage par la presse écrite et les médias de la radiodiffusion. Notre équipe de l’Afrique du Sud a répertorié environ 800 ”affaires” imprimées ou radiodiffusées en quatre ans dans un pays comportant trois grands marchés de supports d’information. Un exercice analogue au Brésil a permis de rassembler grosso modo 500 ”affaires” en trois ans. La grande partie des informations ainsi rassemblées présentait quelques traits communs : descentes ou arrestations extraordinaires, nouveau rapport sur le piratage, artistes lésés. La plupart d’entre eux sont des extraits de communiqués de presse du secteur industriel ou de rapports sur des événements relatés dans la presse industrielle.

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