Contribution à une ingénierie des situations de vidéoformation

Contribution à une ingénierie des situations de vidéoformation

Dans cette section, nous discutons les résultats en les repositionnant vis-à-vis de la littérature pertinente en vidéoformation des enseignants et en proposant des pistes technologiques pour la conception de formation. L’étude de situations de vidéoformation autonome interroge d’une part un rapport direct des enseignants aux ressources, donc une activité techniquement médiée sans médiation humaine, et d’autre part l’autonomie comme caractéristique possible d’un dispositif de vidéoformation des enseignants. Nous nous intéressons plus particulièrement : focalisations particulières : (i) sur ce qui constitue un espace phénoménologique et sémiotique de vidéoformation ; (ii) sur l’influence que l’activité déployée par les enseignants dans cet espace peut avoir sur leur répertoire d’actions et plus généralement sur leur trajectoire de développement ; (iii) sur les conditions écologiques « d’appropriabilité » d’une vidéoformation « centrée-activité » par les enseignants et les formateurs, et de son « implémentabilité » en contexte normal de travail et de formation. Les situations de vidéoformation, a fortiori autonome, ne peuvent être assimilées aux seules enquêtes qu’elles engendrent. L’enquête en formation suppose une problématisation de l’expérience qui n’est pas automatique (Flandin & Ria, 2012a ; Pastré, Mayen & Vergnaud, 2006). Cette problématisation ne passe pas nécessairement par une construction rationnelle visant l’instruction exhaustive, méthodique et planifiée des caractéristiques du travail. La plupart du temps, l’enquête est constituée d’une chaine de micro-enquêtes (et donc de micro- problématisations) émergentes, qui participent à la fois de la précision progressive des problèmes à résoudre et de l’enrichissement des moyens pour le faire. Mais ces séquences d’enquête nécessitent souvent des séquences d’exploration préparatoires, au cours desquelles les formés cherchent à rendre l’enquête possible et fructueuse, notamment en identifiant des contenus prometteurs. La modélisation de quatre macro-séquences organisant l’activité des enseignants utilisant NP@ nous a permis d’en rendre compte.

Nous avons décrit des moments d’observation plus ou moins attentive des ressources voire même de leurs contenus, qui s’apparentent parfois à un « butinage » sans que cela ne suscite de perturbation, d’expérience significative pour les enseignants. Nous avons montré que l’enchainement le plus typique de leurs navigations articule ces moments de recherche de cohérence et de pertinence avec des moments de recherche de pistes pour l’intervention caractérisant l’essentiel des enquêtes menées. Décrite dans le détail, la transition de l’une à l’autre est bien une problématisation de l’expérience, une bascule d’un type d’engagement à un autre, d’un espace phénoménal à un espace sémiotique. Cette transition nécessite une perturbation de l’activité en formation qui constitue à la fois (i) une « résonance » (Goldman, 2007 ; Seidel et al., 2011) envers le connu, le déjà-là, marquant ainsi une continuité expérientielle et (ii) une « amorce » (Schaeffer, 1999, 2002) envers un inconnu familier et fictionnel, une incomplétude nécessaire à l’enquête, marquant ainsi une discontinuité expérientielle. Ce double mouvement de résonance et d’amorce inscrit ainsi l’expérience de l’enseignant dans un processus de développement conceptualisé comme une « modification- continuation » (Jullien, 2009).

Il est favorisé par l’association de plusieurs caractéristiques de NP@ que nous classons en trois domaines : (i) l’artefact vidéo en tant qu’ « objet temporel », (ii) l’« entrée activité » en formation, (iii) le principe de variation ordonnée des dispositions à agir, spécifique à NP@.La vidéo est un objet temporel audiovisuel qui possède la particularité d’avoir une structure d’écoulement semblable à celle de la conscience humaine : « la condition de son apparition à la conscience, c’est sa disparition ; il disparait à mesure qu’il apparait » (Stiegler, 2010, p. 75). Dans la phénoménologie husserlienne (Husserl, 1964), le « tout-juste-disparu » constitue les rétentions primaires (Erinnerung), sans lesquelles la perception serait une suite de phénomènes perpétuellement inchoatifs et insensés. Les significations sont en effet des enchâssements de signes (Peirce, 1935) qui, en établissant un rapport temporel de continuité (Steiner, 2010), confèrent une intelligibilité au monde dépassant celle des seuls phénomènes successivement perçus, en s’accompagnant d’un écho mémorable. Ce mémorable est remémorable (en fonction de différentes stimulations), et le remémoré constitue les rétentions secondaires (Wiedererinnerung). Stiegler (2010) considère qu’en permettant de répéter « à l’identique » un objet temporel, les technologies et notamment la vidéo constituent des rétentions tertiaires.

Notre recherche montre qu’en situation de vidéoformation, l’amorce de l’enquête implique une résonance entre des préoccupations des enseignants (principalement issues de leur activité professionnelle) et un enjeu perçu dans la situation visionnée. La résonance peut donc être pensée comme une remémoration d’expériences passées (rétention secondaire), médiée par la vidéo (rétention tertiaire), qui crée un horizon d’attentes particulier, problématisé à partir de l’activité visionnée (rétention primaire). Les caractéristiques techniques intrinsèques à l’artefact vidéo seraient donc à l’origine de processus de synchronisation et de création d’attentes (Leblanc, 2012) qui contribuent fortement aux différentes formes de reconnaissance et de projection des enseignants des/dans les situations observées, rassemblées sous le concept d’immersion mimétique (et dont il est question plus loin). La vidéo faciliterait en cela le « ré-engagement » des enseignants dans une activité vécue au moyen d’une activité visionnée, ce qui semble être une condition nécessaire d’entrée dans un travail d’élaboration et de transformation de l’activité (Flandin, Leblanc & Muller, 2015). Ce ré-engagement facilite lui-même ensuite un possible « dégagement analytique » permettant aux enseignants de « s’interroger sur leurs croyances, convictions, dispositions à agir, façons de faire non ou peu questionnées afin de construire les problèmes professionnels et d’envisager de nouveaux champs de possibles » (Leblanc, 2014, p. 163).

 

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