De l’interopérabilité des organisations en gestion de crise

De l’interopérabilité des organisations
en gestion de crise

De la problématique de la gestion de crise

Enjeux et défis associés à la gestion de crise

Une crise (ou situation critique) peut être définie comme « une situation ayant des impacts à long terme provoquée par un évènement qui a engendré des pertes et dommages importants et entrainé l’interruption d’une ou plusieurs activités critiques » [34]. De telles situations peuvent par exemple être causées par des catastrophes naturelles (tsunamis, séismes, inondations. . . ) ou par des accidents industriels (explosion sur un site industriel. . . ). La gestion des situations de crise représente toujours un défi majeur pour notre société. En effet, entre 2004 et 2013, les crises ont été responsables de la mort d’environ 100 000 personnes par an d’après la dernière étude statistique de l’Emergency Event Database. Les situations critiques ont été largement étudiées afin d’améliorer leur gestion et de réduire leurs conséquences catastrophiques. Les crises sont souvent analysées (voir par exemple ) selon quatre phases de référence : prévention, préparation, réponse et rétablissement. La prévention et la préparation interviennent avant la survenue de la crise et ont respectivement pour but d’empêcher l’apparition de la crise et de se préparer à la gérer si elle venait à se produire malgré les efforts précédemment réalisés. Dans de tels cas, la phase de réponse a alors pour objectif de transformer la situation de crise en une situation acceptable temporairement. Le rétablissement s’intéresse quant à lui aux actions à mener pour transformer cette situation acceptable temporairement en une situation dite de retour à la normale. Cette étude se focalise particulièrement sur la phase de réponse. Lorsqu’une crise survient, de nombreuses organisations sont mobilisées pour y apporter une réponse. Le terme d’organisation (ou d’entité organisationnelle) est ici considéré dans son acception courante la plus générique. Il peut par exemple s’agir des services publics de l’Etat tels que les pompiers ou la gendarmerie mais également d’entreprises ou d’associations. Le management de cette réponse est généralement placé sous la responsabilité d’une cellule de crise composée des différentes parties prenantes de la gestion de crise : un ou plusieurs décideurs assistés par les acteurs et experts pertinents au vu de la situation. La mission des membres de la cellule est très délicate puisque ces derniers doivent coordonner le travail collectif des différentes organisations tout en étant soumis à de fortes pressions temporelles et psychologiques. Par ailleurs, dans la plupart des cas, les organisations mobilisées sont relativement hétérogènes (aux niveaux culturel, fonctionnel et technologique) et peu, voire pas du tout, entrainées à travailler ensemble. Ceci génère inévitablement des problèmes de collaboration (définition collective des objectifs difficile, partage d’informations incomplet, mauvaise coordination des acteurs. . . ) qui limitent l’efficacité des actions entreprises par la cellule de crise. Ces problèmes ont été identifiés à travers de nombreux retours d’expérience issus de crises passées  montrant ainsi que le niveau de maturité de la collaboration entre les entités organisationnelles mobilisées est l’un des facteurs limitants de l’efficacité de la gestion de crise. La notion d’interopérabilité qui peut être définie comme « la capacité que possède [une organisation] à fonctionner avec d’autres [organisations] existantes ou futures » permet de préciser le niveau de maturité de la collaboration d’un aréopage d’entités organisationnelles. Il est possible de distinguer plusieurs modes d’interopérabilité qui caractérisent l’intensité d’une collaboration : 1. Communication : les organisations fonctionnant dans ce mode sont en mesure de s’échanger et de partager des informations ; 2. Coordination : dans ce mode d’interopérabilité, les entités organisationnelles peuvent mettre à disposition de leurs partenaires certaines de leurs compétences via la réalisation de tâches spécifiques ; 3. Coopération : des organisations travaillent dans ce mode d’interopérabilité si elles cherchent à atteindre un objectif commun. Ce niveau implique l’existence d’une stratégie de collaboration partagée par l’ensemble des partenaires mobilisés. En outre, le concept d’interopérabilité possède une dimension opérationnelle (relative aux différents métiers des parties prenantes) et une dimension technologique qui peuvent être analysées séparément. L’aspect opérationnel englobe l’identification des besoins de partage d’informations et de tâches (en mode communication et coordination) ainsi que la définition de la stratégie de collaboration commune (en mode coopération). L’aspect technologique s’assure qu’une organisation est effectivement en mesure de partager certaines informations et tâches (en mode communication et 147 Chapitre 4 – De l’interopérabilité des organisations en gestion de crise coordination) ou de s’insérer au sein d’une stratégie de collaboration commune (en mode coopération). Par la suite, lorsqu’il sera fait mention d’interopérabilité, c’est le mode coopération (qui englobe les niveaux « Communication » et « Coordination ») qui sera considéré. Cette présentation du domaine de la gestion de crise motive la formulation de la problématique suivante : Comment supporter et améliorer l’interopérabilité au sein d’un aréopage d’organisations mobilisées pour résoudre une situation de crise ? 

Plans d’action collaboratifs de gestion de crise 

Pour adresser ces problèmes d’interopérabilité, des plans de gestion de crise sont traditionnellement préparés avant que la crise ne survienne (planification à froid). Malheureusement, ces plans sont souvent imparfaits puisque d’une part ils sont générés avant que le contexte opérationnel de la collaboration ne soit connu avec précision et que d’autre part les situations de crise réelles divergent souvent rapidement de celles qui ont été planifiées. Dwight D. Eisenhower dira à ce propos que « Les plans ne sont rien, tout est dans la planification » [53]. Au travers de cette affirmation qui peut sembler obscure de prime abord, le stratège militaire souligne l’absolue nécessité pour un plan de s’inscrire pleinement dans le contexte opérationnel qui justifie sa création. L’approche qui consiste à construire les plans de gestion de crise uniquement après la survenue de la crise (planification à chaud) est particulièrement intéressante puisqu’elle permet de coordonner les actions des différents partenaires mobilisés pour résoudre la situation sans souffrir des défauts de la planification à froid. En raison du niveau de granularité auquel travaille la cellule de crise, les plans de gestion de crise sont des plans singuliers à certains égards. Ils doivent faire intervenir un grand nombre d’acteurs et se concentrent moins sur la description détaillée des actions à mener (ce qui relève du domaine de compétence des différentes organisations mobilisées) que sur l’orchestration des ces différentes actions. En effet, conformément au principe de subsidiarité, les décideurs de la cellule de crise précisent aux partenaires ce qu’ils doivent faire et quand ils doivent le faire sans jamais leur dire comment cela doit être réalisé. Ces précisions motivent la définition de la notion de plan d’action collaboratif.

Plan d’action collaboratif 

 Un plan d’action collaboratif est un processus qui orchestre les actions qui doivent être mises en œuvre par un aréopage d’entités organisationnelles pour que ces dernières puissent atteindre collectivement leurs objectifs communs. Un plan d’action collaboratif contient des actions exécutables par les partenaires de la collaboration qui sont invoquées successivement et/ou en parallèle les unes des autres jusqu’à ce que la mission visée soit accomplie. Il doit respecter les objectifs des membres de la cellule de crise et doit, dans la mesure du possible, optimiser leurs préférences. Les plans collaboratifs peuvent être représentés par un sous-ensemble de la notation BPMN (Business Process Model and Notation) [112] comme illustré sur la figure 4.1. Ces derniers sont alors constitués d’un pool contenant une unique lane (grands rectangles gris) pour chaque partenaire de la collaboration ainsi que d’un pool et d’une lane dédiés à la cellule de crise. Les actions à exécuter (représentées par les petits rectangles vert, violet et rouge) sont contenues dans les lanes de leur acteur respectif. A chaque action d’un partenaire correspond une action d’invocation dans la lane de la cellule de crise (représentées en bleu). Celle-ci contient également des connecteurs qui permettent de synchroniser l’invocation des actions des différentes entités organisationnelles considérées.

Réalisation d’un système d’aide à la décision

 Un système capable de proposer des plans collaboratifs pour supporter la coopération d’un ensemble d’entités organisationnelles ne peut être qu’un système d’aide à la décision. Il ne doit pas prétendre avoir pour vocation de se substituer au pouvoir du (ou des) décideur(s) mais vient au contraire épauler ce(s) dernier(s) lors de la prise de décision. En effet, l’exploitation faite des plans construits doit dépendre entièrement de la volonté du décideur. Il doit pouvoir les utiliser sans modification, les remanier avant de les déployer voire les refuser et demander au système d’en déduire de nouveaux (via la modification du problème de collaboration à résoudre). 151 Chapitre 4 – De l’interopérabilité des organisations en gestion de crise Le système proposé a pour objectif d’aider les décideurs lors de la phase de réponse à la crise. Il convient de préciser que d’autres types de systèmes d’aide à la décision peuvent également être considérés pour supporter les membres de la cellule de crise tout au long du management de la crise (voir [143] pour plus de détails). De par sa nature d’outil d’aide à la décision, un tel système est destiné à être utilisé par des experts opérationnels. Ceci impose naturellement plusieurs contraintes quant à sa conception et à son utilisation. Par exemple, pour que le système soit utilisable rapidement et sans difficulté, il faut que les utilisateurs puissent modéliser la situation collaborative (similaire à une Common Operational Picture) en utilisant des termes issus de leur langage opérationnel. En effet, il n’est pas concevable d’imaginer demander à ces derniers d’apprendre et de maîtriser un formalisme complexe. En outre, pour que les décideurs puissent réaliser des choix éclairés, il est nécessaire de leur fournir des éléments d’explication relatifs aux plans qui leurs sont suggérés. Ils peuvent ainsi mener une analyse comparative des différents plans collaboratifs construits par l’outil et comprendre avec précision pourquoi ces plans ont été proposés. Les décideurs maîtrisent alors pleinement la construction des plans collaboratifs. Ayant introduit ces deux prérequis, il est à présent possible de présenter un concept d’un système de construction de plans d’action collaboratifs (cf. figure 4.3)

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *