Désaliénation et libération par le salut, l’éthique et la démocratie

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« LA PHILOSOPHIE DE LA CONSCIENCE »

Par « philosophie de la conscience » ; il faut comprendre la démarche des systèmes philosophiques qui posent d’emblée la primauté de la conscience en matière de connaissance. C’est du reste la signification que Jean Lacroix donne à « la philosophie de la conscience » dans son ouvrage intitulé : Spinoza et le problème du salut.
Avant de poursuivre, il serait préférable de définir ce concept de conscience qui n’est pas sans relever quelques ambiguïtés. Pour le dictionnaire du Larousse la conscience « est une faculté capable de connaître et de juger »
En revenant à notre idée du départ, nous voyons nettement que la définition du Larousse nous conduit tout droit à la conception cartésienne de la conscience. En effet, partant des différentes appellations de ce terme ; c’est-à-dire : bon sens, raison, puissance de bien juger, lumière naturelles… Descartes définit la conscience comme « la puissance de bien juger1, et de distinguer le vrai d’avec le faux2 ».
A l’issue de ces deux tentatives de définition, nous pouvons retrouver deux dimensions fondamentales de la conscience ou raison : elle est une faculté intellectuelle, une norme de la vérité ; mais encore qu’elle est déterminante sur le plan moral par sa crédibilité en matière de jugement. C’est ce qui distingue la conscience psychologique de la conscience morale : elles sont les deux aspects complémentaires de la raison3 elle-même.
Par conscience Psychologique, il faut entendre la connaissance qu’un être qui pense a de son activité mentale, de ses actes dans le monde et de lui-même. Et la conscience morale est un juge infaillible qui oblige ou interdit l’action.
Tout ceci explique et justifie l’attachement des philosophies de la conscience à la raison elle-même. Comme nous l’avons montré plus haut, ces philosophies s’expriment par une foi inébranlable à la conscience. Parlant de ces systèmes de pensée, on peut reconnaître entre autres le platonisme, la doctrine de Leibniz, celle de Malebranche et le cartésianisme. En effet, les philosophies de la conscience qu’il s’agit du platonisme ou du cartésianisme mettent la raison au devant de la scène philosophique, et revendiquent aussi bien, l’autonomie, la prééminence de la conscience sur le plan intellectuel, psychologique et éthique.
Sur le plan de la connaissance, nous voyons clairement que la doctrine cartésienne accordait le primat à la raison ou esprit1. Le projet de Descartes qui est de parvenir à la vérité ; à une vérité du moins, dont la certitude soit indubitable, le conduit à donner une position centrale et fondatrice à la conscience. Descartes pour parvenir à une certitude fondamentale décide de se débarrasser « une bonne fois » de toutes les connaissances douteuses. C’est ainsi dit-il : « qu’il fallait que […] je rejetasse, comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable »2
Le cogito ou conscience de soi étant le terme du doute, Descartes le considère comme sa première certitude : une connaissance si évidente qu’il n’est pas possible de la remettre en doute. A la fois fondement et productrice de toute connaissance, la conscience est également le critère et la mesure de toute vérité.
En fait, son autonomie et son caractère absolu sont garantis par le fait qu’elle n’a ni besoin d’un support matériel c’est-à-dire le corps, ni les impressions du monde extérieur pour saisir la vérité du «cogito ». Et considérant les sciences particulières, Descartes arrive à la conclusion que la conscience signe l’acte fondateur et unificateur des différents systèmes scientifiques. Pour dire que les sciences diverses et variées dans leur manifestation sont uniques dans leur origine car toute science est une production de la conscience. Cette vision rejoint une certaine idée qui affirme : « quelque soit le progrès de la cybernétique la machine ne remplacera jamais l’initiative humaine1 ». C’est ce qui justifie en gros l’importance accordée à la raison dans le cartésianisme car selon Descartes, c’est seulement avec la raison éclairée par une méthode que «l’homme peut être comme maître et possesseur de la nature »2 ; Raison pour laquelle l’auteur du Discours de la Méthode inaugure la méthode de la méditation personnelle ; c’est-à-dire le fait de saisir la voix intérieure de la conscience.
Partant de cela, on peut remarquer une certaine parenté entre le platonisme et le cartésianisme. Pour dire, plus exactement que Platon, bien avant Descartes avait assigné à la raison ou âme une place privilégiée et un rôle central. Il ira jusqu’à accorder à l’âme une origine divine et transcendante au corps. Il n’y a rien qui peut mieux illustrer cette idée que l’inscription delphique : « connais toi, toi-même3 ». Plus précisément se connaître soi même, c’est être conscient que l’homme c’est son âme et que l’âme ou conscience par l’intellection ou la pensée est reliée au divin qui constitue son miroir le plus éclatant. Alors nous sommes autorisés à dire avec le maître de l’Académie que seule la saisie intuitive de l’âme est une porte ouverte à la fois à la connaissance de l’homme, du monde dans lequel il vit et de Dieu lui-même. Et Platon, partant de sa théorie de la connaissance, avance la réminiscence c’est-à-dire une propriété naturelle de l’âme qui lui permet d’accéder aux réalités intelligibles. Et lorsque, nous croyons apprendre, c’est seulement que notre âme se souvient de ce qu’elle avait contemplé dans sa vie antérieure.
En résumé, nous sommes en mesure de dire que sur le plan intellectuel, la conscience est un facteur déterminant et incontournable pour accéder à la vérité. Raison pour laquelle, on peut remarquer chez les philosophes de la conscience la présence de l’idéalisme et de l’intellectualisme intégral.
Partant, de leur dualisme ontologique et du primat qu’ils accordent à la raison sur le corps, ces philosophes ont en quelque sorte une vision péjorative du monde sensible conçu comme le lieu de prédilection de l’erreur et de l’illusion. Fidèle à cette idée ; Platon fait la distinction entre le monde des essences idéelles et de la vérité, et le monde sensible c’est-à-dire des apparences et de l’erreur.
Evidement, il est juste de dire qu’aussi bien le doute cartésien que « l’agonos1 » socratique ne porte que sur le monde phénoménal et sur les sens. Ce qui débouche sur une dualité ontologique et anthropologique qui précise la prééminence de l’esprit sur le corps. En réponse à cette idée, l’auteur du Discours de la Méthode nous dira que « les sens sont trompeurs ». Et par l’allégorie de la caverne dans la RépubliqueVII, Platon précise bien cette idée de la parenté entre l’illusion et la sensibilité.
Donc, pour ces deux philosophes et autres de la sorte, la conscience non seulement qu’elle est le fondement et la productrice de toute connaissance, mais encore elle est la seule capable de surmonter l’erreur et l’illusion. Dans le mythe de la caverne, seul le philosophe qui a déjà contemplé les réalités intelligibles par le biais de la conscience est en mesure de libérer les prisonniers. Descartes le suivant sur cette lancée avance par la métaphore de la cire dans la Méditation seconde que l’inspection de l’esprit est l’unique opération qui peut nous permettre de donner une définition absolue du morceau de cire1 en dehors de l’appréhension des sens.
Tout ceci, pour expliquer qu’il n’y a jamais été question pour « la philosophie de la conscience » de mettre en doute le pouvoir de la raison (conscience). En effet, nous pouvons dire que cette primauté accordée à la conscience sur le plan cognitif aura des conséquences sur le plan éthique. Par ailleurs, nous avons annoncé plus haut la crédibilité de la conscience en matière de jugement moral.
Sur le plan éthique également, « la philosophie de la conscience » a montré la transparence de la raison sur le plan de la moralité. Descartes un des adeptes de cette philosophie nous dira que la raison est capable de juger le bien et le mal. Et pour Platon la sagesse morale consiste à la connaissance de soi.
En outre, fidèles à la conception dualiste de l’homme, Platon et Descartes accordent le primat de la conscience sur le corps. Alors, la rectitude morale consiste à une lutte acharnée contre les passions du corps. Là où Descartes propose de canaliser la volonté dans les bornes de l’entendement, Platon ira jusqu’à dire que philosopher « c’est apprendre à mourir ». Pour dire en d’autres termes que le principe moral de sa doctrine peut se ramener à une tentative de libérer l’âme du corps qui constitue un tombeau.
Nous pouvons dire en conclusion, qu’aussi bien sur le plan cognitif, philosophique que moral, la conscience joue un rôle décisif par sa transparence, son autonomie et sa crédibilité dans «la philosophie de la conscience ».
Cette conception de la conscience a donné naissance à l’idéalisme et au rationalisme intégral. Pour les rationalistes entre autres Descartes, Platon, Leibniz, l’erreur ne peut provenir que des sens. C’est pour cette raison que la conscience doit constituer le principe fondateur de tout activité de connaissance.
L’idéalisme n’étant que la conséquence logique du rationalisme prône la primauté de l’idée sur la réalité. Les idéalistes nient la réalité sensible au profit de la contemplation des idées. Socrate même incite les hommes au renoncement de la vie qui représente pour lui la maladie pour pouvoir accéder à la santé absolu c’est-à-dire la mort. Donc, le rationalisme et l’idéalisme sont les deux aspects de « la philosophie de la conscience ».
Par ailleurs, pour le « juif d’Amsterdam », « la philosophie de la conscience entretient l’histoire d’une longue erreur, car pour lui la conscience elle-même est productrice d’illusion.

LE PROCES DE LA CONSCIENCE

Jean Lacroix nous dira à propos du spinozisme : « Pas plus que la philosophie de Comte, celle de Spinoza n’est pas une philosophie de la conscience. Car le spinozisme consiste en un changement de modèle de la connaissance, et ce modèle a été jusqu’ici celui de la conscience. Or selon Spinoza, la conscience est d’abord illusion sur le mode de transparence qu’elle s’attribue dans la philosophie de la conscience1 ».
En effet, dans le livre III de l’Ethique, « le juif de la Hayes » stigmatise la conscience comme source d’illusion. En vérité, l’homme est conscient de ses désirs et représentations. Mais, la conscience n’est qu’une connaissance incomplète et inadéquate qui nous laisse dans l’ignorance et l’erreur. De sortes, au lieu d’être connaissance vraie, elle est plutôt productrice d’illusion.
On peut dire de ce qui précède que selon Spinoza, la connaissance par la conscience est fausse et mutulée car elle relève selon la terminologie spinoziste du premier genre de la connaissance. Et par conséquent, elle n’est pas distincte de l’erreur et de l’imagination. Il précise que la connaissance du premier genre est l’unique cause de l’illusion.
On peut affirmer conformément à cette assertion que l’illusion ne provient ni des sens, ni de la réalité sensible comme c’était le cas dans le cartésianisme et le platonisme (les philosophies de la conscience), mais de la conscience elle-même et du pouvoir absolu qu’elle s’est arrogée. Pour ces philosophies nos sens sont à l’origine de toutes nos illusions. Pour Descartes, la conscience s’identifie à la pensée. Tout ce qui, en moi échappe à la conscience appartient donc à cette partie du moi qui n’est point pensée à savoir le corps. Et tant qu’on en reste au niveau des apparences de nos sens et des informations lacunaires du corps, l’illusion est indépassable.
Spinoza pour la première fois dénonce cette attitude et montre que l’illusion provient de la conscience elle-même. Raison pour laquelle, le procès de l’illusion de la conscience constitue une part active dans la doctrine spinoziste. Le spinozisme sur toutes ses formes, traque et dénonce l’illusion car elle n’est pas seulement une limitation, mais une limitation qui se prend pour la totalité. Elle est d’autant plus dangereuse qu’elle n’est pas reconnue comme telle, et que le sujet ignore les prétentions abusives de la raison. C’est ainsi que « l’athée vertueux » prend le contre-pied de la philosophie traditionnelle et critique les illusions de la conscience sur le plan philosophique, éthique, religieux et politique.
Par ailleurs, le procès de la conscience dans le spinozisme débouche sur l’aspect négateur de la doctrine. Plus précisément, il nous amène à la conception péjorative que Spinoza fait de la conscience ou esprit. Et pour le comprendre il faut nécessairement revenir sur son ontologie pour comprendre la place et le rôle de la conscience dans la connaissance.
On peut dire, sans contradiction dans les termes que Spinoza dans son monisme ontologique a pour but d’établir à la fois l’unité du monde et de combattre le dualisme. Pour fonder cette unité, il doit d’abord résoudre des rapports entre la pensée et la matière. Avec l’univocité de la substance, Pensée et Etendue, sont les deux attributs d’un même être : Dieu ou la Nature. Ils n’agissent pas l’un sur l’autre « ni le corps ne peut déterminer l’âme à penser, ni l’âme le corps au mouvement et au repos1 ».
Avec la théorie du parallélisme, Spinoza montre qu’il n’y a ni causalité, ni correspondance, ni supériorité entre l’esprit et le corps. Mais en effet, l’esprit et le corps sont les deux aspects ou langages d’une même réalité ; c’est-à-dire Dieu ou la Nature, qui se d éploient parallèlement du point de vue de l’attribut Etendue et du point de vue de l’attribut Pensée. Cette première approche de la critique spinoziste révèle que la conception dualiste de l’homme et la notion d’éminence entre l’esprit et le corps qui sont les lots des philosophies de la conscience, ne sont véritablement rien d’autre que des illusions de la conscience.
Partant de la conception illusoire et erronée du dualisme anthropologique, « le juif de Voorburg », estime que la réalité humaine consiste d’un seul tenant en une conscience qui est la conscience d’un corps. L’esprit est en effet la conscience individuelle d’un corps individuel. Ainsi, on peut remarquer une certaine ambiguïté du moment que la connaissance relevant de la conscience ne nous informe sur rien, sinon sur l’état du corps. Il convient cependant, de préciser que : la conscience du corps n’est pas une connaissance claire et distincte, qui serait immédiatement et facilement donnée. L’unité de l’esprit et du corps, la similitude fondamentale de leur activité respective, ne signifie pas que, dans l’expérience quotidienne, l’esprit humain ait immédiatement la claire connaissance des choses.
En effet, la conscience de soi est d’abord conscience des modifications du corps c’est-à-dire des affects. Tout en dénonçant le solipsisme cartésien c’est-à-dire le retrait volontaire de la conscience à l’égard du monde extérieur comme étant une fiction, Spinoza radicalise sa critique en montrant que ces affects c’est-à-dire les idées ou conscience des mouvements du corps ne sont pas claires et distinctes mais confuses.
En guise de conclusion à ce second constat, on peut dire avec Robert Misrahi que l’analyse que fait Spinoza de la réalité humaine est à la fois neuve et lucide. L’individu est une unité corps- esprit et cette unité est donnée dans la conscience ; mais cette conscience unitaire est d’abord affective et confuse.
On peut également insérer le procès qu’il fait de la conscience dans le cadre de son naturalisme. Il convient à ce niveau de préciser que l’ontologie moniste s’exprime par la dualité de ses aspirations : rationaliste et naturaliste. Cependant, on peut retenir l’assertion selon laquelle : « Tout ce qui est, est en Dieu et rien ne peut sans Dieu être ni être conçu1 ».
Alors en définitive, il ne serait pas faux de dire par rapport à l’Ethique que l’âme humaine est une partie de l’entendement infini de Dieu. C’est pourquoi la connaissance par la conscience est fausse et inadéquate. Car l’homme n’est pas une substance, c’est-à-dire un être isolé et autonome, en vérité il est constitué comme toute chose par l’individuation de ces deux aspects de la substance (Pensée et Etendue). Donc, l’esprit n’étant qu’un mode de l’attribut Pensée, parmi une infinité de modes, ne peut pas avoir une connaissance spontanée de la totalité sans connaître le rapport qui l’unit à ce Tout dont il fait partie. Partant du fait que Dieu est la cause de toute chose ; l’anthropocentrisme intellectuel en ramenant toute chose à la conscience, sépare en même temps l’effet de la cause. En effet, cette connaissance relevant de l’anthropocentrisme de la conscience est fausse et imaginative parce que nous ignorons la cause de l’affection qui la produise. A ce niveau, il convient de préciser que « le philosophe athée » assimile ce premier genre de la connaissance à l’imagination. Et par imagination, on peut entendre une idée qui indique plutôt l’état du corps humain que la nature du corps extérieur, non pas distinctement à la vérité mais confusément ; par où il arrive que l’Ame est dite errer. Car l’image est comme une conséquence privée de ses prémisses.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA DICHOTOMIE SPINOZISTE
CHAPITRE I : « La philosophie de la conscience »
CHAPITRE II : Le procès de la conscience
CHAPITRE III : Le rationalisme révolutionnaire
DEUXIEME PARTIE : LA CHASSE AUX FANTÔMES DE LA VIE
CHAPITRE I : La morale ou le mépris de la nature humaine
CHAPITRE II : Les délires de frayeurs et d’angoisse
CHAPITRE III : Esclavage ou patriotisme
TROISIEME PARTIE : PRISE DE CONSCIENCE, REVOLUTION ET LIBERATION
CHAPITRE I : Philosophie optimisme et purificatrice
CHAPITRE II : Désaliénation et libération par le salut, l’éthique et la démocratie
CHAPITRE III : La portée du spinozisme
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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