Entretiens exploratoires et construction du caneva d’entretien

Entretiens exploratoires et construction du caneva d’entretien

A travers l’entretien semi directif, le chercheur laisse associer librement le sujet sur une thématique qu’il a au préalable initiée. Le clinicien propose un cadre et une trame à partir duquel le sujet va pouvoir associer librement. Les entretiens semi directifs que nous avons conduits, nous ont permis d’accéder à la réalité du vécu de la maladie pour chaque patient et d’appréhender la complexité, la globalité ainsi que la singularité de leurs expériences et représentations. Ceux-ci ont été pensés avec une volonté d’introduire un fort degré de liberté de parole pour les patients. Toujours en lien avec la perspective inductive dans laquelle nous nous inscrivons, nous n’avons pas souhaité construire un guide d’entretien trop rigide, afin d’accéder à un niveau de représentations profond, riche et complexe. En conséquence, nos relances et diverses questions ont été singulières et adaptées au discours du patient, pour chaque entretien.  Au préalable nous avons mené cinq entretiens exploratoires afin de tester notre première grille d’entretien. Celle-ci était centrée sur l’histoire de la maladie des patients et le vécu actuel des troubles. Très rapidement la thématique des relations médecins-patients est advenue. Si les patients n’ont pas semblé rencontrer de difficultés majeures pour évoquer l’histoire de leur maladie et le vécu actuel des troubles, les éléments recueillis relatifs au vécu des relations médicales ont été exprimés avec davantage de retenue. Nous pensons pouvoir expliquer ceci par les positions occupées respectivement par le chercheur et les patients dans le dispositif mis en place. Même si nous avons veillé lors de l’établissement du cadre de l’entretien à rappeler les règles de confidentialité des données recueillies tant vis-à-vis des personnes extérieures à la recherche que des membres de l’équipe médicale, un climat de confiance n’en découle pas automatiquement. Le fait qu’il s’agisse d’une unique rencontre avec le clinicien peut libérer la parole mais également la brider, face à une relation de confiance n’ayant pas eu le temps de se construire. De plus nous occupons une place paradoxale à la fois dans l’équipe de Lyon Sud comme membre associé, mais également hors l’équipe, en tant que psychologue et doctorant à l’université de Franche Comté. Cette ambivalence, peut ne pas être perçue ou saisie par certains patients, qui manifestent alors quelques réticences à partager leurs affects et représentations, de peur des répercussions potentielles sur leur prise en charge thérapeutique. Dans une moindre mesure, une autre caractéristique du dispositif peut expliquer cette difficulté des patients à verbaliser sur les relations médicales: le moment de passation de l’entretien. Comme nous l’avons mentionné précédemment, la rencontre clinique a lieu juste en amont ou en aval de la consultation médicale. De cette consultation de suivi peut potentiellement être posé ou confirmé un diagnostic de récidive. Dans ce contexte, la rencontre avec le praticien est alors susceptible de soulever des affects anxiogènes. De plus, les bureaux dans lesquels sont menés les entretiens sont entourés par les bureaux des praticiens hospitaliers. Spatialement le médecin dont on demande de caractériser la relation entretenue avec lui, est là, juste à côté. Dès lors, nous pouvons nous questionner sur la disponibilité psychique pour penser les relations médicales en lien avec cette proximité temporelle et spatiale du praticien. Notre guide d’entretien se compose uniquement de trois thématiques, matérialisées par trois questions : – Pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre maladie ? – Aujourd’hui comment vivez-vous la maladie de Crohn ? – Comment vivez-vous votre prise en charge médicale ?  La première thématique abordée est celle de l’histoire de la maladie. Il s’agit ici pour le patient, de mettre en récit les symptômes présents avant l’annonce, après l’apparition de la maladie pour parvenir à évoquer le vécu actuel de ceux-ci. Nous laissons le patient associer librement ses souvenirs, sans chercher à connaitre le moment précis d’apparition des troubles, le vécu de l’annonce ou ses répercussions. Au-delà du fait de « raconter la maladie », il s’agit ici principalement de permettre au patient de « se raconter ». Nous portons attention à la façon dont il inscrit la survenue de la maladie dans son histoire et dont il peut ou non en intégrer les conséquences. Dès lors, nous avons veillé à ne pas interrompre le patient dans son récit, en relançant le discours à l’aide de reformulations ou de demandes de précisions. La deuxième thématique aborde le vécu actuel de la maladie. Nous offrons ici un espace de parole au patient, afin qu’il puisse nous faire part de la place occupée par la maladie dans son quotidien. Nous avons porté une attention particulière aux répercussions émotionnelles ainsi qu’aux ressources dont le patient dispose pour mieux la gérer. La dernière thématique se centre sur le vécu relationnel du patient avec son médecin. Cette thématique est au croisement des deux précédentes puisqu’elle renvoie le patient aussi bien au vécu passé de sa maladie qu’à son vécu actuel. Ainsi il est amené à évoquer les relations médicales passées et présentes, en associant potentiellement sur les différences ou similitudes qui les unissent. En outre, nous insistons davantage sur la prise en charge médicale actuelle du patient, exercée par le praticien hospitalier, spécialiste de la maladie de Crohn, et par le médecin traitant. La relation duelle entretenue avec son médecin, amène le sujet à être considéré comme « un patient ». Dès lors, ce rôle dans la relation fait écho à la façon dont on se se représente en tant que sujet malade, et soulève alors la question d’une nouvelle identité à construire. 

 Méthode d’analyse de contenu

La perspective phénoménologique

A travers l’entretien de recherche, nous tentons d’écouter la mise en récit de l’expérience que le sujet se fait de son monde et plus précisément de sa maladie. En ce sens, nous nous situons dans une perspective phénoménologique. Bénony et Chahraoui (1999, p39) définissent l’approche phénoménologique par « la connaissance descriptive sans a priori des faits ; elle tente d’appréhender l’individu de manière globale en prenant en compte la signification de son vécu ». Le phénomène fait alors référence à « l’appréhension présente qu’un sujet a des choses et des événements existant dans le monde transcendant cette appréhension » (Santiago Delefosse, 2002, p 83). Le phénomène vécu et décrit par le sujet est alors directement relié à son rapport au monde, ses souvenirs, ses images et ses perceptions cognitives et inconscientes. Il s’agit dans un premier temps non pas de faire parler les données recueillies, mais de les écouter. Notre postulat de base vise à défendre la souveraineté des sujets dans leur rapport au monde, en leur conférant la place de ceux qui détiennent la connaissance du phénomène étudié. C’est à partir de l’écoute de chacun des récits des patients, que nous tenterons en tant que chercheur de rendre compte de cet ensemble de récits, en dégageant une réalité collective du vécu de la maladie. Le vécu de la maladie, dans une approche phénoménologique, doit être compris comme une notion renvoyant à un « au-delà du ressenti ou de l’éprouvé […] Il s’agit de vivre en soi le phénomène. » (Santiago Delefosse, 2002,p 45) Cette volonté de ne pas déposséder le sujet de son récit, nous oblige alors à tenir une position qui peut s’avérer inconfortable dans le sens où elle oblige le chercheur à faire fit de toutes interprétations trop hâtives, ou reliées directement à un corpus théorique destiné à le rassurer. Le chercheur, se situant dans une approche inductive basée sur la phénoménologie, doit rester vigilant à se maintenir dans une démarche exploratoire et non confirmatoire. Avec l’attitude phénoménologique que nous avons souhaité donner à ce travail, nous avons orienté notre analyse sur la méthode d’analyse thématique décrite par Paillé. Ce type d’analyse nous a semblé pertinent pour intégrer l’ensemble des différentes expressions du vécu de la maladie dans une perspective diachronique.

L’analyse thématique selon Paillé

L’analyse de contenu est définie comme un « ensemble de techniques d’analyse des communications visant, par des procédures systématiques et objectives des descriptions de contenu des messages, à obtenir des indicateurs (quantitatif ou non) permettant l’inférence de connaissances relatives aux conditions de production de ces messages » Bardin, 1977, p 44. Pour Chiland (2005) l’analyse de contenu a une fonction heuristique puisqu’elle doit permettre de saisir les modes de raisonnement du sujet et une fonction de preuve car les conclusions doivent être soumises à l’épreuve d’autres chercheurs. Nous avons fait le choix d’analyser nos entretiens à partir d’une analyse de contenu thématique. Ce type d’analyse thématique, nous permet de relever l’ensemble des thèmes issus des entretiens, pour ensuite les fusionner, subdiviser et hiérarchiser, nous permettant d’accéder à une vue d’ensemble du contenu des entretiens. D’après la définition donnée par Paillé (2012, p242) « un thème est un ensemble de mots permettant de cerner ce qui est abordé dans l’extrait du corpus correspondant, tout en fournissant des indications sur la teneur du propos ». Un thème peut donc être considéré comme une unité porteuse de sens destinée à être regroupé dans une rubrique. L’intérêt de cette méthode est d’offrir un panorama des principaux contenus abordés par les patients à travers leur entretien. Dans le cadre d’entretien semi directif, l’ensemble des thèmes émergents codés ne peut être attribué uniquement aux discours du patient. Le contenu de l’entretien étant le fruit des échanges entre l’interviewé et l’intervieweur, nous ne pouvons soustraire une part de responsabilité dans l’apparition de certaines thématiques, ne serait-ce qu’à cause de l’influence de notre canevas d’entretien ou de nos diverses relances.  

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