Epidémiologie et facteurs pronostiques des envenimations scorpioniques

Les piqûres de scorpion et les envenimations qui en découlent représentent un problème majeur de santé public particulièrement dans les pays d’Afrique du nord, du moyen-orient et d’Amérique du sud [1-2]. Les conséquences sur la morbidité, la mortalité et les dépenses de santé sont considérables avec environ 3500 décès enregistrés chaque année dans le monde [3]. Au Maroc, la piqûre de scorpion est la première cause d’intoxications. Elle représente 30 % de l’ensemble des cas enregistrés par le centre antipoison, avec une incidence moyenne de 1,06 ‰ et un taux de létalité générale de 0,19 % [3]. C’est un véritable sujet d’inquiétude, en l’occurrence pour la population infantile qui représente plus du tiers des personnes concernées avec un pourcentage de décès avoisinant 90 % chez les enfants âgés de moins de 10 ans, parmi l’ensemble des victimes de cette envenimation [4]. Marrakech-Tensift-Elhaouz est la région la plus touchée par ce fléau avec une incidence moyenne et un taux de létalité général les plus élevées parmi les autres régions du Maroc, soit respectivement 2,10 ‰ et 2,67 % [4]. La gravité de l’envenimation scorpionique est liée à la dysfonction myocardique responsable du choc cardiogénique, mais également à sa survenue chez l’enfant qui nécessite une prise en charge précoce et adéquate dans un milieu de réanimation [5, 6,7]. D’ailleurs, cette entité circonstancielle occupe 14 % de l’activité du service de réanimation pédiatrique du centre hospitalier universitaire de Marrakech avec un taux de létalité par envenimation de l’ordre de 7,26 % [8]. La sérothérapie a longtemps été le traitement spécifique le plus communément employé.  Des travaux cliniques et expérimentaux viennent aujourd’hui la remettre en question. Elle est de ce fait vivement controversée voire abandonnée [9, 10, 11]. Conscient de l’ampleur du problème, le centre antipoison en collaboration avec certains experts en la matière ont élaboré en 2003 puis en 2008 une stratégie nationale de lutte antiscorpionique, qui malgré certaines failles, a permis de réduire nettement le taux de létalité par envenimation scorpionique de 6 ‰ à 1,5 ‰ en 2012 .

Enfin, rappelons que la prise en charge de ces envenimations est sujette à plusieurs difficultés voire même à des attitudes aberrantes, notamment :
− un afflux massif des victimes pendant la période estivale.
− une charge de travail particulièrement importante.
− un temps post-piqûre allongé.
− une absence de régulation et d’une mise en condition adéquate (pas de voie veineuse ni de support inotrope).
− des manifestations cliniques inhabituelles.
− un recours à des protocoles inappropriés (médicaments multiples, inutiles et onéreux).

Données épidémiologiques : 

Fréquence : 

Le nombre annuel de piqûres de scorpion dépasse 1,2 million dans le monde, conduisant à plus de 3250 décès [54]. En Tunisie, on note la survenue de 40 000 cas par an [55]. En Algérie, 170 cas de piqûre scorpionique par 10 000 habitants sont enregistrés, avec une mortalité annuelle de 0,38 par 100 000 habitants [56]. Tandis qu’au Mexique, 150 000 cas par an sont répertoriés avec une mortalité de 800 à 1000 cas [57]. Au Maroc, les piqûres de scorpion constituent un accident à la fois fréquent (30000 cas ont été collectés durant l’année 2009) et grave chez l’enfant. Elles représentent une cause importante de morbidité et de mortalité. La comparaison entre nos résultats et ceux de la littérature est difficile, parce que les études sont fragmentées dans le temps et dans l’espace, et qu’une proportion non négligeable ne consulte pas et se contente d’appliquer des moyens traditionnels. Les chiffres publiés sont le plus souvent des statistiques de consultations hospitalières et d’hospitalisations. L’évaluation épidémiologique, par conséquent, ne représente que la partie visible de l’iceberg [58]. Au plan national, Marrakech enregistre la fréquence la plus élevée avec 373 cas en 2 ans [59]. A Fès, 101 enfants envenimés ont été déclarés entre Janvier 2002 et Septembre 2004 [60]. Enfin, la ville de Casablanca enregistre la fréquence la plus basse avec 85 cas entre Janvier 2000 et Septembre 2006 . Au niveau international, Adiguzel a noté la survenue de 170 cas durant la période de cinq mois à Sanliurfa en Turquie [62]. Prasad avait rapporté 150 cas durant 6 ans (de janvier 2004 à aout 2009) en Inde .

Comparativement à ces données épidémiologiques, nous pouvons dire que sous nos cieux, la fréquence de l’envenimation scorpionique est assez élevée, faisant d’elle un véritable problème de santé public

Age: 

Toutes les tranches d’âges sont concernées par cette affection, avec une certaine prédominance pour les enfants de moins de cinq ans. C’est également la tranche d’âge la plus touchée dans les autres études nationales et internationales [65, 66, 68]. Ceci peut s’expliquer par la grande activité, le manque d’attention et le caractère aventurier des enfants de cet âge. Par ailleurs, cette tranche d’âge est particulièrement touchée par le décès. Ce dernier peut être expliqué par l’immaturité des systèmes et des moyens de défense chez l’enfant, ainsi que le rapport entre la dose injectée du venin et le poids corporel de la victime. Cependant, cette hypothèse proposée n’a jamais été confirmée par des études rigoureuses permettant de démontrer la relation cause à effet. En tout cas, il est recommandé de transférer d’urgence les enfants en cas d’envenimation vers les services de soins intensifs où le traitement symptomatique et les soins de réanimation seront privilégiés.

Sexe: 

Le scorpion pique au hasard ; ce qui fait que les deux sexes sont atteints de façon similaire. Néanmoins, une prédominance masculine est souvent relevée [59, 66, 68, 69]. Ceci pourrait être expliqué par le profil psychologique du garçon souvent agité, plus curieux et surtout plus aventureux que ne l’est la fille.

Répartition géographique: 

A l’instar de toutes les études nationales, les piqûres de scorpion proviennent majoritairement du milieu rural, puisque les scorpions habitent habituellement des milieux déserts et arides .

Ceci constitue une limite à la prise en charge précoce en milieu de réanimation et aggrave par conséquent le pronostic. Ainsi, les autorités sanitaires doivent promouvoir les mesures thérapeutiques initiales, améliorer les conditions de transfert des malades et idéalement, œuvrer pour la lutte et la prévention contre cette affection.

Couleur du scorpion: 

L’espèce du scorpion est difficile à préciser. Tout au long de notre travail, l’espèce noire a été reconnue coupable dans presque la moitié des cas. Ce qui est parfaitement en accord avec les données de la littérature [23, 59, 61, 70]. La prédominance du scorpion noir pourrait être expliquée par la présence de l’Androctonus mauritanicus sous nos climats [38], tout en sachant que tout scorpion noir n’est pas forcément un Androctonus mauritanicus qui, rappelons le, est réputée par sa haute venimosité [73].

Conditions du transport :

Dans notre étude, la plus part des malades nous ont été référés, sans pour autant que leur mise en condition soit optimale. C’est ainsi que nous avons relevé plusieurs anomalies à savoir :
– un dispositif vasculaire non fonctionnel (déplacé ou coudé par l’agitation du patient, voire même décollé par l’hypersudation).
– un perfuseur obstrué ou arraché.
– une administration inconstante et non continue de la Dobutamine.

Une attention toute particulière doit être accordée à cette étape de prise en charge qui reste déterminante pour l’amélioration du pronostic des malades. Par ailleurs, nous avons noté que la régulation des malades est insuffisante. D’une part, le centre de régulation n’était pas encore parfaitement opérationnel avant 2012. D’autre part, les parents ramènent souvent leurs enfants directement au centre hospitalier universitaire sans respecter l’hiérarchisation des structures sanitaires.

Idéalement, les centres hospitaliers régionaux doivent coordonner avec le centre de régulation, qui obtient l’accord du service de réanimation pédiatrique, et autorise l’envoie des malades préalablement mis en condition.

Table des matières

INTRODUCTION
OBJECTIF DE L’ETUDE
RAPPEL THEORIQUE
I. Le scorpion
1. Rappels anatomiques
2. Classification
3. Ethnologie
II. Le venin
1. Propriétés physiques du venin
2. Propriétés chimiques
3. Pharmacocinétique du venin
III. Physiopathologie de l’envenimation
1. Retentissement général
2. Réponse inflammatoire
3. Troubles cardio-circulatoires
4. Troubles respiratoires
5. Troubles digestifs
6. Modifications biologiques
IV. Prise en charge
1. Interrogatoire
2. Examen clinique
3. Hiérarchisation de l’état du patient
4. Traitement
MATERIELS ET METHODES
I. Pays d’étude
II. Région étudiée
1. Géographie
2. Hydrologie
3. Climatologie
4. Végétation
III. Lieu d’étude
IV. Recueil des données et méthodologie statistique
1. Design de l’étude
2. Population de l’étude
3. Support d’information
4. Recueil des données
5. Définition des variables étudiées
6. Analyse des données
7. Considérations éthiques
RESULTATS ET ANALYSE
I. Données épidémiologiques
1. Age
2. Sexe
3. Répartition géographique
4. Siège de la piqûre
5. Agent causal
6. Saison
7. Heure de la piqûre
8. Temps post-piqûre
9. Conditions de transport
II. Données cliniques
1. Délai d’apparition des premiers symptômes
2. Signes de gravité à l’admission
3. Classification selon le degré de gravité à l’admission en réanimation
III. Données paracliniques
1. Profil biologique
2. Profil radiologique et électrique
IV. Prise en charge en réanimation
V. Evolution
1. Amélioration
2. Létalité
3. Causes de décès
4. Durée moyenne de séjour en réanimation
VI. Facteurs pronostiques
1. Analyse univariée
2. Analyse multivariée
DISCUSSION
I. Données épidémiologiques
1. Fréquence
2. Age
3. Sexe
4. Répartition géographique
5. Saison
6. Heure de la piqûre
7. Temps post-piqûre
8. Siège de la piqûre
9. Couleur du scorpion
10. Conditions du transport
II. Données cliniques et paracliniques
1. Analyse comparative des différents tableaux de détresse vitale
2. Perturbations biologiques
III. Traitement
1. Traitement symptomatique
2. Traitement spécifique
IV. Evolution-pronostic
1. Evolution favorable
2. Facteurs pronostiques
3. Taux de mortalité
V. Prévention
1. Diminution de l’incidence des piqûres de scorpion
2. Diminution de la morbidité et la mortalité
3. Rationalisation des dépenses publiques
VI. Conduite à tenir devant une piqûre de scorpion
CONCLUSION

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