Exploration d’un espace sonore

L’homme façonne des espaces utilitaires, témoins de son quotidien actif. Il y prend place et tisse des relations avec d’autres espaces et avec d’autres personnes. Il devient, en mon sens, créateur de sa propre dramaturgie de vie. C’est dans cette ouverture au monde que je me suis fortement questionnée sur la place créatrice d’un artiste en opposition à la place d’un acteur œuvrant dans l’espace scénique. J’ai une formation en théâtre, plus précisément du côté du jeu. J’ai un grand plaisir à être sur scène et je me trouve privilégiée de pouvoir reprendre les mots d’un auteur à travers une mise en action, et ce, dans un espace transformé. Mais, lors de mes premiers cours à la maîtrise en art, il y avait quelque chose de plus ouvert qui m’interpellait dans la position de l’artiste-créateur. Cela venait me perturber et je me questionnais fortement quant à la présence même d’un acteur sur la scène. Je me suis alors intéressée, comme beaucoup d’artistes avant moi, à ces notions ambivalentes de réel/fiction et de théâtre/performance. Seulement, pour ma part, c’est à travers une première approche de l’art sonore que je tentais d’éprouver ses dualités qui me menèrent vers des actions, parfois très simples et très fragiles, en me confrontant à des espaces inconnus.

Bien que mon intérêt pour le son ait toujours fait partie de moi, depuis mon tout jeune âge, sous une forme plus musicale, la volonté d’ouvrir mon écoute vers un côté plus brut de la matière sonore a débuté dès mon arrivée à l’Université. Lorsque je me remémore mes projets antérieurs, vers la fin de mon Baccalauréat et vers le début de ma maîtrise, je constate ce désir de rassembler un groupe de gens dans le présent de l’évènement, en le confondant à un espace contextuel prédéterminé, dans lequel tant les acteurs que les spectateurs font partie.

En ce sens, je préconise une approche créatrice qui sera basée sur le vécu de l’instant où c’est l’expérience humaine qui sera mise de l’avant au cours de l’exploration d’un espace contextuel.

Ainsi, cette démarche expérientielle conduit à m’interroger sur la manière de déplacer la fonction de l’acteur-performeur, ailleurs que dans une position centrifuge au sein de l’action dramatique. Si ce décentrement augure de nouveaux choix esthétiques c’est d’abord à travers une recherche sur le processus méthodologique que je vais tenter de répondre à cette mutation de l’acteur, et notamment en explorant des situations pour le rendre collaborateur et créateur, et ainsi ouvert à d’autres langages artistiques tels que l’in situ et l’art sonore.

RENCONTRER ET EXPLORER UN ESPACE SONORE : IDÉES D’APPROCHES DRAMATURGIQUES

D’un côté, il y a un lieu dépourvu d’une identité et de l’autre, il y a son espace , sa présence dans ce qui l’entoure et le délimite. Ce dernier se forge à travers les temporalités qui l’ont traversé et il se laisse découvrir. J’ai une curiosité inassouvie en ce qui concerne la configuration d’un espace, plus précisément les constructions humaines soit leurs formes, leurs ambiances et leurs histoires. Lorsque j’entre dans un nouvel espace, je ressens le besoin immédiat de l’explorer, de le comprendre et de le connaître. Il y a d’abord une influence première qui tire parti d’un ressenti de l’espace, puis vient ensuite son écoute. Lors des projets réalisés durant mon baccalauréat, j’avais déjà cet éveil quant à la répercussion d’actions sonores sur l’espace du texte et de la scène. Cela a débuté, avec le projet Œil, basé sur la nouvelle éponyme d’Olivier Choinière, qui m’a permis une première approche de la manipulation sonore, à partir de l’espace scénique En 2012, je retrouve cette écoute qui détaille l’espace, qui en fait ressortir les particularités physiques, et donc, les potentiels imaginatifs à travers les auteurs au théâtre.

L’espace comme texte : installation scénique dans le texte « La forêt où nous pleurons »

« Chez Frédéric Vossier, d’une phrase à l’autre, les lieux se dérobent, les impressions se pervertissent. Il ne contemple pas les lieux, ni même ne les observe : il est habité, son écriture est habitée par eux. Il les met en mouvement, dans une émotion qui ne serait pas psychologie, mais pure mise en mouvement : le texte est émouvant, parce qu’il est mouvant.» (Christophe Pellet, avant-propos La forêt où nous pleurons, 2007, p.9) bibliographie?

D’abord, c’est d’une manière sensible que mon choix s’arrête sur ce texte. Pourquoi? Parce que je le trouve vivant, imagé et empreint d’un style poétique très personnel. De plus, je vois à travers ce texte le potentiel d’une mise en espace que le récit semble préétablir, et ce, à partir de la description particulièrement visuelle d’un parcours dans un environnement spécifique, la forêt. Une énonciation dramatique qui m’ouvre sur de nouvelles possibilités scéniques, notamment celle d’un théâtre d’installation . En fait, c’est là toute la difficulté de cette mise en espace du texte, elle est en même temps très précise dans son avancée, dans sa mise en mouvement, mais également très ouverte pour une forme plus métaphorique. Il a fallu faire des choix et décider de traverser le texte et son espace, en invitant les gens à entrer dans notre installation spatiale et imaginaire .

Josette Féral décrit la théâtralité comme une « mise en place du sujet par rapport au monde et par rapport à son imaginaire. C’est cette mise en place des structures de l’imaginaire fondées sur la présence de l’espace de l’autre qui autorise le théâtre […]» (Féral, 2011, p.86). Il m’était donc nécessaire d’inclure l’autre dans mon espace de jeu, tout en mettant en place quelques conventions scéniques délimitant la zone des spectateurs et la zone de jeu, en établissant un parcours qui était le mien. Cette notion de « l’autre », fait référence aux spectateurs, mais également à l’auteur. Lors de la présentation, mon corps était dans un mouvement parallèle au texte, c’est-à dire dans une traversée de ce dernier. À l’aide de cordes de différentes natures qui pouvaient se dérouler à la verticale comme à l’horizontale à travers tout l’espace (celui des spectateurs compris). Ma manipulation transformait peu à peu l’organisation et la perception de la salle, et ce, non pas dans une volonté illustrative, mais bien dans une correspondance avec les méandres de la narration et de la langue, c’est-à-dire de l’espace littéraire lui-même. C’est bien cet espace dramatique qui se confronte à la construction dramaturgique de l’espace scénique qui aura orienté mon besoin d’élargir le lieu de représentation vers un environnement in situ , et qui utilement aura nourri ma recherche création sur le son et le jeu de l’acteur.

La conception sonore et sa spatialisation : activation de l’écoute, à travers des déambulations sonores personnelles

Durant l’automne 2013, je me suis promenée dans différents lieux du Saguenay en y effectuant des enregistrements sonores. Je les choisissais pour leur côté abandonné et transformé, sans autre but que de les écouter pour les découvrir. Je crois qu’il s’agissait, d’une expérience pour stimuler mon ressenti amplifié dans mes écouteurs. Cette auralité (le fait d’entendre), me permettait de percevoir les spécificités du lieu et son espace autrement. Par la suite, j’importais les sons recueillis dans mon ordinateur et constituais une base de données sonore qui pourrait me servir plus tard. Il y avait donc, une première écoute sur le terrain, où je percevais les sons dans leur contexte et une autre écoute qui était mon écoute des sons eux-mêmes, dans mon bureau, sans l’environnement sonore qui leur était associé. Je constatais que l’espace du lieu m’interpellait avant tout en tant qu’endroit générateur de sens. À cet effet, à l’aide de Michel de Certeau dont les réflexions sur un art opératoire consistent pour les usagers à agir autrement dans un environnement composé d’une  multitude d’éléments hétérogènes, je vais distinguer la notion de lieu et d’espace, pour mieux comprendre ce que l’un apporte à l’autre.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 D’UNE ÉCOUTE PROACTIVE À UNE RELATION DIALOGIQUE AVEC L’ESPACE SONORE : DE L’ACTEUR-CRÉATEUR À L’ACTEURCOLLABORATEUR
1.1 Rencontrer et explorer un espace sonore : idées d’approches dramaturgiques
1.1.1 L’espace comme texte : installation scénique dans le texte « La forêt où nous pleurons»
1.1.2 La conception sonore et sa spatialisation : activation de l’écoute, à travers des déambulations sonores personnelles
1.1.3 La collaboration comme mise en espace d’un dialogue sonore
1.2 L’acteur, créateur de la dramaturgie d’un espace sonore
1.2.1 Concept d’écologie sonore
1.2.2 Vers un théâtre écologique et sonore
1.2.2.1 Relation d’écoute dans un espace immersif
1.2.3 Comment l’acteur participe à ce théâtre écologique et sonore : de l’action sonnante à la dramaturgie d’un espace sonore
1.3 L’espace sonore pour déployer un territoire de recherche création théâtrale
1.3.1 À l’écoute d’une méthodologie: un va-et-vient entre l’expérimentation et la conceptualisation
1.3.2 Le son pour démultiplier le jeu de l’acteur
1.3.3 Un champ de recherche-création interdisciplinaire
CHAPITRE 2 UN DIALOGUE D’ÉCOUTE AVEC L’ESPACE SONORE : APPROCHE ESTHÉTIQUE D’UN ENTRE-DEUX DE L’ACTION DRAMATIQUE
2.1 Dramaturgie d’un espace du quotidien versus ambigüité de l’action dramaturgique fictive
2.1.1 Le Théâtre Nulle part et la théâtralité brouillée d’un lieu public
2.1.2 Le Squat théâtre et la présence de l’acteur dans un espace réel/fictif
2.2. Le parcours déambulatoire et la relation au spect-acteur
2.2.1 Les promenades sonores de Janet Cardiff : Quand la voix qui guide devient texte
2.2.2 Le théâtre déambulatoire d’Olivier Choinière et le spect-acteur
2.3 Exploration d’environnements sonores : élaboration de diverses formes d’écoutes
2.3.1 La compagnie Espaces sonores et sa recomposition contextuelle des environnements sonores en présence
2.3.2 La compagnie Le bruit que ça coûte : Dramaturgie sonore à travers des espaces ouverts
2.4 Synthèse et conception dramaturgique
CHAPITRE 3 UN ESPACE SONORE PRÉDÉTERMINÉ MOTIVE UNE RENCONTRE DIALOGIQUE ENTRE L’ACTEUR ET LE SPECTATEUR
3.1 Une écoute-critique : l’approche dramaturgique d’un espace sonore
3.1.1 Créer mon processus d’écoute
3.1.2 Réflexion sur l’approche évocatrice d’un espace
3.1.3 L’action en réalisation et la pensée critique
3.1.4 La méthodologie dialogique chez l’acteur-créateur
3.1.5 Processus collaboratif et interartistique
3.2 Un parcours à intervalles variés : Laboratoires de recherche(s)
3.2.1 Cartographie sonore des écoutes solitaires
3.2.2 L’espace sonore comme partenaire de jeu
3.2.3 Les différents rapports de mise en présence
3.3 Une conceptualisation d’un parcours sonore
3.3.1 L’exploration de l’espace : un parcours
3.3.2 Les enjeux dramatiques de l’espace : du texte au spectateur
3.3.3 J’étais dans ma maison : création d’un évènement sonore et in situ
CONCLUSION 

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *