Fonctions des gènes Hox et spécification des axes longitudinaux chez les animaux

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Fonction des gènes Hox le long de l’axe antéro-postérieur des animaux à symétrie bilatérale

Quelle que soit l’espèce considérée, les gènes Hox ont pour rôle de conférer une identité spécifique aux cellules au cours du développement embryonnaire. Cette information est primordiale pour la différenciation coordonnée des futures structures adultes le long de l’axe antéro-postérieur (AP) des animaux à symétrie bilatérale, que ce soit chez les insectes (Lewis 1978 et Sánchez-Herrero et al. 1985), les mammifères (Krumlauf 1994), les nématodes (Costa et al. 1988), ou encore les crustacés (Deutsch et Mouchel-Vielh 2003). Ils sélectionnent l’identité des cellules dans lesquels ils sont actifs en contrôlant l’expression de nombreux gènes cibles en aval, ce sont donc des gènes dits “sélecteurs”. Le nom des gènes Hox dérive du nom du motif utilisé pour lier l’ADN, la boite homéotique, ou homéobox. Le terme « homeo » dérive lui-même des effets spectaculaires provoqués par certaines mutations affectant des gènes Hox, les homéoses, qui correspondent aux fameuses transformations homéotiques où une partie du corps est remplacée par une autre. Un des exemples les plus classiques d’homéose est le phénotype Antennapedia chez la mouche du vinaigre Drosophila melanogaster (Schneuwly, Klemenz, et Gehring 1987), consistant en la transformation des antennes en pattes lorsque le gène Hox Antennapedia (Antp) est activé de manière ectopique dans les primordia d’antennes au cours du développement (Figure 2). Une homéose peut aussi avoir pour cause la perte de fonction d’un gène Hox. C’est notamment le cas lorsque la perte de fonction du gène Ultrabithorax (Ubx) au cours du développement du troisième segment thoracique (T3, ou métathorax) de la mouche drosophile. Cela transforme ce segment en second segment thoracique (T2, ou mésothorax), portant une paire d’ailes. Il s’agit du fameux phénotype bithorax découvert par Calvin Bridges en 1915 : la mouche possède alors deux segments T2, avec deux paires d’ailes au lieu d’une seule (Duncan et Montgomery 2002) (Morata et Garcia-Bellido 1976) (Maeda et Karch 2010) classique d’homéose. À gauche, un cliché de la tête d’une drosophile sauvage. À droite, un cliché de la tête d’une drosophile présentant un phénotype Antennapedia, dont les antennes sont transformées en pattes. (Images par FR Turner, Université de l’Indiana).
Le nombre de gènes Hox est très variable selon les espèces. La mouche drosophile possède 8 gènes Hox, tandis que les mammifères en possèdent 39, réparti en 4 complexes situés sur différents chromosomes. Ces 4 complexes sont issus d’évènements de duplication d’un unique complexe Hox ancestral au cours de l’évolution (Carroll 1995) (Figure 3). Le nombre de segments varie énormément selon les espèces, et la combinaison des différents gènes Hox exprimés dans chaque segment permet la mise en place de plans corporels très divers. Le schéma corporel de la mouche drosophile et de la souris sont ainsi très différents et ne comportent pas le même nombre de segments. Cependant, les arthropodes (comme les insectes, les crustacés et les onychophores) partagent une panoplie très similaire de huit gènes Hox et présentent tout de même des schémas corporels extrêmement diversifiés, avec des nombres variables de segments, portant des structures aux morphologies très diverses. Cela suggère que le nombre et le type de gènes Hox (antérieurs, centraux, postérieurs) présent chez une espèce n’est pas corrélé avec la diversité des segments observés dans leurs corps (Averof 1997). des complexes de gènes Hox et de leur expression chez différents organismes. Au sein de l’embryon de drosophile (en haut) ou de l’embryon de souris (en bas), les gènes Hox s’expriment le long de l’axe antéro-postérieur de façon colinéaire à leur position respective au sein du complexe génomique. La partie centrale illustre les relations évolutives entre les complexes de gènes Hox des drosophiles, des amphioxus et des souris, ainsi que l’organisation hypothétique du complexe homéotique de l’ancêtre commun de ces différents organismes. Tandis que la drosophile ne possède qu’un complexe de gènes Hox, deux évènements de duplication chromosomiques ont doté les vertébrés de quatre complexes. (Carroll 1995)
Au sein d’un tagme comme le thorax ou l’abdomen, les segments ne présentent pas tous les mêmes morphologies. Chez la souris, le tronc est composé de trois types de vertèbres : les vertèbres cervicales, thoraciques, et lombaires. L’identité de chacun de ces types de vertèbres est spécifiée par une combinaison précise de gènes Hox. Les mutations affectant l’expression des gènes Hox peuvent ainsi modifier l’identité des vertèbres, l’activation ectopique de HoxC6 transformant par exemple une vertèbre cervicale en vertèbre thoracique pourvue de côtes (Vinagre et al. 2010). Les serpents possèdent des complexes Hox similaires à ceux des souris (Liang et al. 2011 et Feiner et Wood 2019), cependant leurs schémas corporels sont drastiquement différents de celui des souris, leur tronc ne présentant que des vertèbres thoraciques. Cela est possible par le développement d’une longue série de segments identiques, exprimant tous la même combinaison de gènes Hox (Cohn et Tickle 1999). Le même mécanisme est également observable au niveau de segments homologues en série répétés chez les onychophores (Janssen et al. 2014), ou encore chez les arthropodes, comme les myriapodes (Hughes et Kaufman 2002) ou les crustacés tels que la crevette Parhyale hawaiensis chez qui des séries de segments successifs portant les mêmes types d’appendices (pattes de marche, pléopodes, uropodes…) sont spécifiés respectivement par des combinaisons de gènes Hox précises (Serano et al. 2016) (Figure 4). Des études récentes montrent également l’implication des gènes Hox dans la diversification du schéma corporel des mollusques en contrôlant le développement de leurs structures dorsales (comme la coquille) et ventrales (comme le système nerveux et le pied), mais aussi dans des processus nouveaux et spécifiques à différents lignages sans lien avec la colinéarité d’expression le long d’un axe, comme le développement des trochophores ou du manteau chez les scaphopodes comme Antalis entalis (Wollesen et al. 2018). Cela suggère que la co-option des gènes Hox au cours de l’évolution, à partir d’un ancêtre chez qui ils étaient exprimés de manière colinéaire, a probablement été un moteur de la radiation évolutive des mollusques, favorisant l’émergence de schéma corporels extrêmement divers (Huan et al. 2020).
Hox chez Parhyale hawaiensis. Le schéma corporel de P. hawaiensis est illustré en haut, par l’illustration de la morphologie des différents membres retrouvés sur chaque segment. Les segments sont annotés (An1-2 : Antenne ; Mn : Mandibulaire ; Mx1-2 : Maxillaire ; T1-8 : Thoraciques ; A1-6 : Abdominaux). En dessous est représentés les domaines d’expression des différents gènes Hox. On constate qu’à chaque morphologie différente des membres correspond une combinaison spécifique de gènes Hox (adapté à partir de Serano et al. 2016).
Il est intéressant de noter que quels que soient les schémas corporels des animaux considérés, ils possèdent les mêmes catégories de gènes Hox, à savoir antérieurs, centraux et postérieurs. Plutôt que spécifier des structures particulières, les gènes Hox signaleraient des positions relatives le long de l’axe AP (Carroll 1995). Les orthologues d’un même gène Hox pourraient réguler le développement d’un segment spécifique de manières différentes selon les espèces. Le gène Hox Ubx illustre bien ce concept car il est décrit pour spécifier l’identité du métathorax de nombreux insectes. Chez la mouche drosophile, il réprime le développement des ailes et spécifie le développement de l’haltère, un organe balancier utilisé par les diptères pour se stabiliser pendant le vol (Weatherbee et al. 1998). En revanche chez le papillon Precis coenia, Ubx régule la morphologie et la pigmentation des ailes (Warren et al. 1994 ; Weatherbee et al. 1999), tandis que chez le coléoptère Tribolium castaneum, Ubx promeut le développement des ailes et réprime celui des élytres (Tomoyasu, Wheeler, et Denell 2005). Au sein d’un même animal en revanche, différents gènes Hox ou combinaisons de gènes Hox contrôlent la morphologie de différents segments. Chez la mouche drosophile, Sex Combs Reduced (Scr), Antennapedia (Antp) et Ubx spécifient respectivement les segments prothoraciques, mésothoraciques et métathoraciques (Struhl 1982).

Complexes génomiques et colinéarité

Bien que les gènes Hox soient très conservés chez les animaux, on observe une diversité quant à leur organisation génomique. L’observation du fait que les mouches et les souris présentent des complexes de gènes Hox conservés évolutivement et fonctionnellement (Duboule et Dollé 1989 ; Graham, Papalopulu, et Krumlauf 1989) a induit la supposition que les autres espèces présenteraient également une telle organisation des gènes Hox en complexes. L’étude génomique d’autres organismes a montré qu’il n’y avait pas systématiquement une organisation en complexe, bien au contraire. Chez les cnidaires, les gènes Hox sont souvent isolés, bien qu’ils se retrouvent parfois par paires (Chourrout et al. 2006 ; Kamm et Schierwater 2006). Chez la mouche drosophile, les gènes Hox sont répartis dans deux complexes, le complexe Antennapedia (ANT-C) portant les gènes Hox antérieurs et centraux, et le complexe Bithorax (BX-C) portant les gènes Hox postérieurs. Le point de rupture chromosomique entre ces deux complexes sépare les gènes Hox thoraciques et les gènes Hox abdominaux, entre les gènes Antp et Ubx. Une séparation similaire des complexes Hox est retrouvée par exemple chez les lépidoptères comme le papillon Bombyx mori, avec un point de rupture bien plus antérieur cependant, entre les gènes labial et proboscipedia, isolant le gène labial des autres gènes Hox (Yasukochi et al. 2004 ; Chai et al. 2008). Chez le coléoptère Tribolium castaneum en revanche, on trouve un vaste et unique complexe désorganisé (Beeman 1987 ; Denell, Brown, et Beeman 1996 ; Brown et al. 2002). L’oursin Strongylocentrotus purpuratus présente également un vaste complexe désorganisé, contenant des gènes Hox parfois orientés dans des sens opposés, et positionnés de manière incohérente au regard de leurs groupes paralogues, ce qui suggère d’importants réarrangements chromosomiques au cours de l’évolution (Cameron et al. 2006). On observe également des complexes Hox atomisés chez les tuniciers, comme chez Oikopleura dioica ou encore Ciona intestinalis, chez qui l’on observe également la perte de gènes Hox centraux (Seo et al. 2004 ; Ikuta et Saiga 2005). Chez les mollusques, on trouve des complexes bien organisés comme chez Lottia gigantea, mais aussi des complexes Hox complétement atomisés comme chez Octopus bimaculoides (Albertin et al. 2015). Ce sont les vertébrés qui présentent les clusters de gènes Hox les mieux organisés. Les complexes Hox des vertébrés ne contiennent que des gènes Hox présentant tous la même orientation transcriptionnelle et des introns très courts, ainsi que des régions non-codantes conservées contenant peu ou aucunes séquences répétitives (Duboule 2007) (Figure 5).
Les complexes Hox des vertébrés présentent donc une architecture génétique compacte et organisée. Ce degré d’organisation plus stricte que celui retrouvé chez les autres bilatériens est d’autant plus contre-intuitif que, chez les vertébrés, deux évènements de duplication génomique ont abouti à la présence de 4 complexes Hox, ce qui aurait pu avoir pour conséquence de relâcher la contrainte de l’organisation de ces complexes. Or le niveau d’organisation et de compaction des complexes Hox semble avoir au contraire augmenté avec le nombre de complexes, ce qui suggère que ces deux caractéristiques aient pu co-évoluer (Darbellay et al. 2019). Une explication possible se trouve dans la néo-fonctionnalisation d’éléments régulateurs à proximité des complexes Hox, favorisée par leur duplication qui auraient pu permettre l’émergence de régulations par de multiples enhancers hors des complexes.
Figure 5 : Classification structurelle des complexes de gènes Hox. Les complexes de type O (organisés) retrouvés chez les vertébrés contiennent des gènes Hox étroitement arrangés, tous codés par le même brin d’ADN, et sont dépourvu de gènes étrangers ou de séquences répétées. Ils peuvent cependant contenir des ARN et microARN non-codants. Les complexes de type D (désorganisés), comme ceux observés chez les oursins ou les amphioxus, sont bien plus vastes et peuvent contenir un mélange de gènes Hox (en noir) parfois orientés de manière opposée, de gènes non-Hox (en blanc) et de séquences répétées. Les complexes de type S (« splitted », ou scindés), comme ceux trouvés chez les diptères, peuvent présenter des caractéristiques de complexes O ou D au niveau des différents sous-complexes. L’organisation dite « atomisée » (A) représente l’absence d’organisation en complexe, lorsque les gènes Hox sont retrouvés éparpillés
à travers le génome, et se retrouvent au mieux par paires, comme chez les Oikopleura ou encore les Octopus. (Duboule 2007)
En effet, chez les vertébrés les gènes Hox ne sont pas seulement impliqués dans la mise en place de l’axe AP, mais aussi de l’axe proximo-distal (PD) au niveau des membres (Zakany et Duboule 2007 ; Durston 2020). Pour acquérir ces nouvelles fonctions, les complexes Hox ont pu accumuler progressivement des régulations à longue distance par des enhancers de leurs différents environnements génomiques, contraignant donc les complexes à rester organisés. Au cours du développement des doigts et du système nerveux central (CNS) chez la souris, l’expression des gènes postérieurs du complexe HoxD (HoxD10 à HoxD13) est coordonnée par des enhancers localisés au sein d’une Région de Contrôle Globale (GCR) localisée à 200 Kb du complexe. Ce type de régulation à partir d’éléments localisés à distance du complexe permet d’accommoder une nouvelle fonction de ces gènes (le développement des parties distales des doigts) avec la conservation du rôle initial des gènes Hox dans le développement de l’axe antéro-postérieur. L’orthologue de ce GCR chez le tétrodon reproduit bien la régulation des gènes HoxD10 à HoxD13 dans le CNS, mais pas dans la partie distale des membres, ce qui suggère que ce GCR aurait déjà été présent avant l’émergence des doigts. De plus, on trouve un GCR contrôlant les gènes du cluster HoxA de manière similaire dans le CNS, mais pas dans les doigts. Cela suggère que les complexes HoxA et HoxD (ainsi que les GCRs contrôlant leur expression dans le CNS) sont issus du même évènement de duplication (Lehoczky, Williams, et Innis 2004). Cependant seul le GCR contrôlant HoxD possède une fonction dans les zones distales des pattes, ce qui suggère sa co-option dans le développement des membres après duplication, indépendamment ou enclenchée par la présence du GCR ancestral. Dans ce dernier cas, les propriétés intrinsèques du GCR, telles que l’accessibilité par les FT ou l’interaction avec diverses voies de signalisation au niveau d’enhancers déjà fonctionnels, pourraient faciliter une évolution de la régulation après un événement de duplication. Ce processus facilitant la co-option d’éléments régulateurs est appelé « amorçage régulateur » (« regulatory priming »), et chaque évolution des séquences régulatrices va alors resserrer la contrainte sur l’architecture des complexes homéotiques (Gonzalez, Duboule, et Spitz 2007) (Figure 6).
Figure 6 : L’accumulation de cis-régulation comme mécanisme à l’origine de la contrainte organisationnelle des complexes de gènes Hox chez les vertébrés. A : Représentation schématique d’un complexe de gènes Hox de type D présent chez un ancêtre des bilatériens. Les gènes Hox (en noir) sont orientés différemment les uns des autres et dispersés sur une vaste région génomique incluant également des gènes non-Hox (en blanc). Les gènes sont cependant maintenus relativement proches par la présence de séquences cis-régulatrices (en bleu) partagées par plusieurs gènes. B : Représentation schématique du complexe de gènes Hox de type D/O d’un ancêtre hypothétique des chordés. L’émergence d’une séquence méta-cis régulatrice au sein d’une région de contrôle (CR, en brun), contrôlant l’expression de nombreux gènes Hox, fait tendre l’évolution du complexe de gènes vers d’avantage d’organisation par sélection positive. Les gènes non-Hox sont progressivement perdus ainsi que les grandes régions intergéniques, ce qui optimise le méta-cis contrôle des gènes Hox. C : Après un évènement de duplication génomique, la consolidation de l’organisation génomique est favorisée par la possibilité de recruter de nouvelles séquences méta-cis-régulatrices (boites et flèches rouges, jaunes ou vertes), en particulier à travers la capacité d’une région de contrôle pré-existante (CR en B) de générer des innovations régulatrices par « amorçage régulateur » (rouge et vert foncé). Cela aboutit à la concentration d’enhancers à longue distance formant des régions de contrôle global (GCR) pouvant continuer à recruter de nouveaux éléments régulateurs, et à produire des innovations régulatrices. Dans ce contexte, la duplication des complexes de gènes Hox renforce leur contrainte organisationnelle. (Duboule 2007)
Le mécanisme moléculaires contraignant les complexes homéotiques, par lequel les GCR contrôlent l’activité des gènes Hox, s’expliquent en s’intéressant à la topologie des chromosomes dans le noyau des cellules, à l’aide de techniques de capture de la conformation des chromosomes telles que le Hi-C (Dixon et al. 2012). De telles techniques mettent en évidence l’existence de domaines chromosomiques restreints au sein desquels des gènes et des séquences régulatrices pourront entrer en contact de manière privilégiée. Ces domaines génomiques sont délimités par des éléments insulateurs liés par des protéines telles que CTCF, créant des boucles de chromatine favorisant les contacts entre les gènes et leurs séquences régulatrices (Ong et Corces 2014). Ces domaines sont appelés « Topologically Associated Domains » (TADs). On observe par exemple de telles structures au niveau des complexes HoxA et HoxD lors du développement des doigts et des appareils reproducteurs, isolant les complexes Hox sous le contrôle d’enhancers pléiotropes utilisables par des facteurs tissu-spécifiques afin de réguler des gènes Hox dans différents contextes développementaux (Lonfat et al. 2014). La présence de TADs au niveau des complexes Hox est essentielle pour leur fonction, car les TADs sont impliqués dans l’expression colinéaire des gènes Hox.
En effet, lors du développement des membres chez la souris, une frontière entre deux TADs se situe au sein du complexe HoxD, isolant le gène HoxD13 avec des séquences régulatrices localisées proches du centromère (C-DOM) des autres gènes Hox plus antérieurs isolés avec des séquences régulatrices « antérieures » localisées vers le télomère (T-DOM). Chacun de ces TADs contient des séquences régulatrices, ce qui permet l’expression échelonnée des gènes Hox antérieurs de façon colinéaire, la frontière de ces TADs étant très dynamique en fonction du contexte développemental du fait de la présence de nombreux insulateurs alternatifs permettant de mettre en contact différents gènes Hox avec des enhancers à longue distance (Rodríguez-Carballo et al. 2017 ; Amândio et al. 2020). La frontière isolant les gènes Hox postérieurs des gènes Hox plus antérieurs permet aussi d’éviter efficacement et de manière robuste que ces gènes ne se retrouvent au contact de séquences régulatrices du T-DOM régulant normalement les gènes Hox antérieurs (Figure 7), ce qui signifierait la terminaison précoce du développement des membres. Les gènes Hox du groupe paralogue 13 ont en effet pour rôle d’instruire les identités les plus distales, et donc terminales, du tronc et des membres (organes génitaux, extrémités/doigts…) (Andrey et al. 2013 ; Beccari et al. 2016). Ainsi, la structure de complexes homéotiques est intrinsèquement liée à la propriété des gènes Hox consistant à s’exprimer de manière séquentielle le long de l’axe AP et de manière tissu-spécifique. Cela explique les fortes contraintes ayant mené à l’architecture extrêmement organisée des complexes homéotiques chez les vertébrés. Ce mécanisme semble largement conservé chez les vertébrés (Woltering et al. 2014) mais également au-delà. Le même type de mécanisme, basé sur des TADs délimités par des insulateurs liés par des protéines comme CTCF, est également retrouvé chez la drosophile afin de contrôler la régulation de AbdB par différents enhancers assurant un niveau d’expression spécifique selon le segment considéré. La mutation d’un élément insulateur provoque une activation ectopique de AbdB dans des segments plus antérieurs par des enhancers normalement inaccessibles, rappelant le rôle des TADs dans la délimitation des paralogues Hox13 chez les vertébrés (Gambetta et Furlong 2018).
Figure 7 : Les deux TADs flanquant le complexe de HoxD permettent la régulation colinéaire des gènes Hox le long de l’axe proximo-distal des membres chez la souris. Des données de Hi-C (Dixon et al. 2012) montrent la position de deux TADs (C-DOM et T-Dom) flanquant le complexe HoxD. Les boites noires et grises représentent respectivement les gènes Hox et les gènes non-Hox. Les bandes bleue et verte représentent les deux ensembles de gènes Hox exprimés respectivement dans les régions distales et proximales des membres chez la souris. C-DOM et T-DOM sont représentés selon le même code couleur, et contiennent les enhancers permettant respectivement l’expression des gènes Hox dans les régions proximales et distales. La frontière entre ces deux TADs permet de restreindre de manière robuste l’expression des gènes Hox postérieurs aux régions distales, et des gènes Hox antérieurs aux régions proximales. (Beccari et al. 2016).
Le regroupement en complexes des gènes Hox a été suggéré comme étant indispensable à leur fonction le long de l’axe AP (Lewis 1978b). Quand un premier alignement entre les complexes homéotiques de drosophile et de vertébrés a été proposé (Akam 1989), l’observation de la correspondance colinéaire entre l’ordre des gènes et leur domaine d’expression dans l’embryon est devenue évidente. Pendant longtemps, la colinéarité d’expression fût une explication convenable pour l’architecture des complexes Hox. Cependant, certaines études montrèrent ensuite une coordination de l’expression des gènes Hox en l’absence de complexes, (Seo et al. 2004 ; Galliot 2005 ; Wollesen et al. 2018). Cela montre que l’expression différentielle des gènes Hox le long de l’axe AP ne dépend pas forcément d’une organisation génomique en complexes, suggérant l’existence de mécanismes de régulation variés entre espèces possédant différents types d’organisation des complexes Hox (Figure 8) (Duboule 2007).
Figure 8 : L’évolution des types de complexes Hox repose sur divers mécanismes de régulation des gènes Hox. À partir d’un complexe de type D, l’évolution vers un complexe de type O repose sur le recrutement de davantage de séquences cis-régulatrices, formant progressivement des séquences méta-cis-régulatrices (voir figure 5). La transition d’un complexe D vers un complexe de type S, puis de type A se produit probablement simultanément à la perte des contraintes retenant les gènes ensemble, et au gain de régulations en trans (Duboule 2007).

Modification du profil d’expression des gènes Hox et changements morphologiques au cours de l’évolution.

Comment les morphologies peuvent-elles évoluer le long d’un axe antéro-postérieur tout en maintenant une conservation importante des gènes Hox ? Plusieurs mécanismes ont été décrits et illustrent comment des modulations subtiles en amont et en aval des gènes Hox permettent d’aboutir à des évolutions morphologiques.

Modification des éléments cis-régulateurs des gènes cibles.

L’étude des programmes génétiques spécifiant le développement des appendices des arthropodes a permis de décrypter efficacement les mécanismes d’action des protéines Hox au niveau des éléments cis-régulateurs de leurs gènes cibles. Le schéma corporel au sein des insectes est globalement conservé, composé de trois tagmes : la tête, le thorax composé de trois segments portant généralement les appendices locomoteurs (prothorax, mésothorax et métathorax), et l’abdomen généralement composé de 11 à 12 segments. En revanche, on observe entre les espèces une grande diversité d’appendices pouvant se développer sur des segments homologues. En effet, au niveau du métathorax les diptères comme la drosophile possèdent une paire d’haltères, tandis que les coléoptères, les lépidoptères, ou encore les hyménoptères comme les abeilles, possèdent une paire d’ailes. Dans tous ces cas cependant, le profil d’expression des gènes Hox reste inchangé : c’est le gène Hox Ubx qui est exprimé dans les primordia du segment T3 et responsable du développement du métathorax (Figure 9). Les différences observées au niveau des appendices de vol se développant au niveau du métathorax des diptères (mouches, moustiques, taons…), des hyménoptères (abeilles, fourmis…), des coléoptères comme Tribolium castaneum (Tomoyasu et al. 2005), ou les lépidoptères comme Precis coenia (Weatherbee et al. 1999) sont dues à la manière dont Ubx sélectionne et régule ses gènes cibles dans les primordia des appendices de vol. Les orthologues de Ubx provenant de Apis mellifera, du papillon Bombyx mori, et de Tribolium castaneum sont tous impliqués dans le développement des ailes au sein de leurs espèces respectives. Cependant ils sont capables de sauver la perte de fonction de Ubx chez la drosophile en supprimant le développement des ailes et en promouvant le développement de l’haltère. Cela suggère que la différence de fonction de Ubx entre ces différentes espèces ne se situe pas au niveau de la protéine Ubx, mais provient de la manière dont cette protéine va pouvoir réguler ses gènes cibles dans les différents contextes développementaux où elle se trouve. Cela est dû à des différences dans les séquences cis-régulatrices des gènes cibles de Ubx selon les espèces. Chez la drosophile, l’enhancer du gène vestigial (vg), essentiel au développement des ailes, permet la répression de vg par Ubx. En revanche, l’enhancer de vg retrouvé chez Apis mellifera est résistant à la répression par Ubx. Contrairement à son orthologue chez l’abeille, la séquence cis-régulatrice de vg a dû évoluer chez la drosophile en rendant possible la répression par Ubx. Ce type de modification de séquences cis-régulatrices permet donc la diversification morphologique malgré la conservation fonctionnelle des protéines Hox (Prasad et al. 2016).

Table des matières

Chapitre I : Introduction
1. Fonctions des gènes Hox et spécification des axes longitudinaux chez les animaux
1.1 Une fonction ancestrale de spécification des axes ?
1.2 Fonction des gènes Hox le long de l’axe antéro-postérieur des animaux à symétrie bilatérale
1.3 Complexes génomiques et colinéarité
1.4 Modification du profil d’expression des gènes Hox et changements morphologiques au cours de l’évolution.
1.5 Fonctions génériques et spécifiques des gènes Hox
1.6 Régulation de l’expression des gènes Hox
2. Caractéristiques moléculaires des protéines Hox
2.1 Caractéristiques intra-moléculaires des protéines Hox.
2.2 Spécificité de liaison à l’ADN et rôle des cofacteur PBC
2.3 Versatilité moléculaire : les interactions entre protéines Hox et leurs cofacteurs
3. Approches expérimentales pour l’analyse des interactions protéine-protéine (IPP) à large échelle ou individuelles
3.1 Approches expérimentales pour l’analyse des interactions protéine-protéine (IPP) à large échelle
3.2 Approches expérimentales pour l’analyse des interactions protéine-protéine (IPP) individuelles
4. Le développement des appendices de vol chez les insectes
4.1 L’origine et l’évolution des appendices de vol chez les insectes
4.2 Le développement des ailes chez la drosophile
4.3 Rôle du gène Ubx au cours du développement de l’haltère
Chapitre II : Résultats
Partie 1 : Hox dosage and the control of flight appendage morphology in insects
Partie 2 : Identification de cofacteurs de Ubx nécessaires lors du développement des haltères à l’aide d’un crible par interférence ARN
Introduction
L’utilisation d’un contexte génétique sensibilisé facilite l’analyse des phénotypes provoqués lors du crible fonctionnel par ARNi
Le crible fonctionnel en contexte sensibilisé révèle différentes catégories de cofacteurs candidats
Homothorax présente un rôle ambivalent de régulateur et de cofacteurs de Ubx
Un nouveau cofacteur candidat de Ubx : Grain (Grn)
Figures supplémentaires
Chapitre III : Discussion et perspectives
1. Identification de cofacteurs candidats de Ubx pour le développement correct de l’haltère
2. Rôle de sites à faible affinité pour Ubx lors du développement de l’haltère
3. Fonction des gènes Hox dans le développement des ailes chez la drosophile
4. Dose des protéines Hox et spécification des appendices de vol chez la drosophile
5. Vers une fonction plus générale et encore peu étudiée de la dose des protéines Hox pour leurs fonctions de spécification
6. Le rôle de Homothorax lors du développement des appendices de vol chez la drosophile
7. Rôle de Antp et Ubx lors de la formation des appendices de vol chez les insectes
Chapitre IV : Annexes
Identification de cofacteurs interagissant avec Ubx lors du développement des haltères par une approche basée sur la technique de BioID
Generation of a versatile BiFC ORFeome library for analyzing protein–protein interactions in live Drosophila
Abstract
Introduction
Results
Discussion
Materials and methods
References
Chapitre V : matériels et méthodes
References

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