Frontière et identité, deux notions en évolution et interrelation a l’heure de la globalisation

FRONTIERE ET IDENTITE, DEUX NOTIONS EN EVOLUTION ET INTERRELATION A L’HEURE DE LA GLOBALISATION

Le sujet abordé au cours de ce travail tient plus d’une réflexion qualitative que quantitative, dans le sens où il aborde des questions subjectives et évolutives. Il est donc important de bien cerner les concepts qui seront utilisés et questionnés. Aborder la question de la construction identitaire au Pays Basque et de son évolution par le biais des projets de coopération transfrontalière, qui entrent dans le champ de la discipline qui nous concerne, l’aménagement, sera également une manière de la traiter avec un certain recul. S’intéresser à l’interrelation entre la mise en œuvre de la coopération transfrontalière et la construction identitaire transfrontalière au niveau du Pays Basque nécessite de définir et de comprendre les objets d’étude particuliers que sont la frontière et son évolution contemporaine, ainsi que les processus de construction identitaire (et notamment le rôle de l’espace et du territoire dans ces processus). Ces objets sont en outre à replacer dans le contexte basque et de la question basque largement débattue, tant en France qu’en Espagne, mais également à replacer dans le cadre plus vaste des processus d’européanisation et de globalisation qui, en remettant en question l’Etat-nation, influencent largement l’évolution du statut de la frontière et questionnent d’une nouvelle manière les identités locales. Ces deux notions de frontière et d’identité sont en effet liées à la structure de référence en géopolitique qu’est l’Etat-nation et évoluent en relation avec sa propre mutation.

Un bouleversement de l’ordre mondial établi

Au cours des dernières décennies, la globalisation (ou mondialisation) est un phénomène qui a été largement étudié et commenté. Au départ économique, l’intensification des échanges à l’échelle globale s’est aujourd’hui étendue à de nouveaux domaines. Les échanges commerciaux internationaux, sans cesse plus importants et rapides, l’émergence, le développement et la domination des entreprises dites « multinationales », ou « transnationales », les flux financiers mondiaux et instantanés, permis notamment par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, ont construit peu à peu un univers économique largement indépendant des États. Au delà, de nouveaux domaines se trouvent aujourd’hui globalisés. Les sorties cinématographiques ne sont plus nationales mais mondiales, des produits de consommation emblématiques sont distribués à l’échelle planétaire par des multinationales, des artistes rencontrent une renommée mondiale: certains parlent même de l’émergence d’une culture mondiale. Des informations de portée mondiale sont relayées par des médias eux aussi mondiaux, dont le premier et le plus emblématique reste Internet. Certaines institutions, politiques ou non, ont également fait leur apparition. L’Organisation des Nations Unies, le Fond Monétaire International, l’Organisation Mondiale du Commerce, les tribunaux internationaux, les multiples Organisations Non Gouvernementales sont la marque d’une société mondiale en éclosion. Ce phénomène de globalisation s’accompagne parallèlement d’un renforcement des identités locales, régionalismes ou nationalismes, ainsi que de l’augmentation de la violence à l’échelle mondiale. Pour Appadurai, l’une des conséquences de la globalisation est le passage d’un ordre mondial pacifique, déchiré par des conflits ponctuels, à un ordre mondial fait de violence, entrecoupé de périodes ponctuelles de paix (Appadurai, 2007)1. Warnier identifie parmi les « réactions contrastées » face à la mondialisation de la culture les mouvements qui y voient des « promesses d’une planète démocratique », ceux qui y voient « une inéluctable perte d’identité qu’ils déplorent », d’autres enfin qui « militent pour affirmer leurs particularismes jusqu’à faire usage de la violence » (Warnier, 20082).

L’origine de ces conséquences de la globalisation tient à son inédite capacité à remettre en question le rôle de l’institution cadre de nos sociétés: l’État-nation. Tout d’abord, selon Appadurai, la globalisation entraîne l’émergence de structures nouvelles, dites cellulaires, par opposition avec les structures vertébrées, parmi lesquelles il place l’État nation3. La globalisation permet de s’affranchir de l’espace institutionnalisé, et de trouver un écho sans frontière à certaines causes ou idéologies. La mobilisation pro-tibétaine lors des Jeux Olympiques de Pékin est un exemple, le terrorisme mondial en est un autre. Où chercher alors ces terroristes sans frontières? On pointe du doigt des Etats qui les accueillent, mais tous les Etats sont susceptibles de les accueillir. Appadurai parle d’incertitude des Etats face à ces phénomènes sans frontières: l’ennemi de la nation n’est plus une autre nation, clairement identifiée, mais un individu lambda qui peut être n’importe qui. Pour simplifier, on peut donner l’image de bactéries (cellulaires) menaçant des organismes (Etats-nations, « vertébrées »). De plus, la globalisation prive de certains pouvoirs et responsabilités que l’État- nation possédait traditionnellement. Ce constat se vérifie en matière d’économie, où l’État nation, d’abord Etat providence protecteur et interventionniste après la seconde guerre mondiale, a ensuite eu pour rôle principal d’accompagner la mise en place de l’économie de marché et la libéralisation économique (rôle de dérégulation), rôle qui semblerait aujourd’hui s’inverser à la faveur de la crise financière qui pousserait les Etats, en tout cas d’après leurs discours, à reprendre ce rôle de régulateur du marché. Du point de vue juridique, de nombreuses lois étatiques sont la conséquence de décisions supranationales voire mondiales (cas des directives européennes par exemple, même si les décisions européennes sont le fruit de débats entre responsables politiques et des gouvernements des pays membres, ou lois dérivées d’accords internationaux). Dans certains cas, ce sont des cours de justices internationales qui sont aptes à juger les criminels, ou des instances internationales qui imposent des sanctions à certains États.

Pour Sassen, l’économie globalisée peut même se matérialiser ou s’ancrer territorialement directement au niveau local: ce ne sont plus les Etats qui attirent ou non les entreprises « transnationales », mais certaines régions ou même certaines villes qu’elle appelle « villes globales ». Ceci peut expliquer le renforcement du poids des échelons régionaux voire locaux (Sassen, 2009)4. L’État-nation est en quelque sorte un échelon intermédiaire de moins en moins incontournable, vidé d’une partie de sa substance et de certaines de ses prérogatives. Cela s’illustre par exemple par les lois de décentralisation en France, qui accordent de nouvelles compétences aux régions, ou bien par la délimitation de régions européennes (NUTS) pour sa politique de cohésion. Les problématiques, en sciences sociales ou politiques, ont d’ailleurs tendance à se déplacer du champ de l’étude des relations entre Etats ou au sein des Etats à une étude à de nouvelles échelles, les régions voire les villes entre elles: c’est ce que souligne Sassen, ou Beck lorsqu’il évoque la fin du « nationalisme méthodologique » (Beck, 2007)5, ou encore Abélès pour qui l’anthropologie devient une pratique « cosmopolite qui prend acte de la mondialisation », le chercheur combinant aujourd’hui « intelligibilité des interdépendances qui caractérisent la planète et conscience des singularités, des histoires et des destins » (Abélès, 1997)6.

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