Génération et manipulation de peignes de fréquences quantiques multimodes

Génération et manipulation de peignes de fréquences quantiques multimodes

Peignes de fréquences 

Un peigne de fréquences se caractérise par un spectre qui possède des pics d’intensité à des fréquences disposées de façon parfaitement uniforme, ce qui constitue une sorte de règle pour la mesure de fréquences optiques inconnues. On appelle chaque fréquence du spectre, dont on connaît toutes les valeurs avec grande précision, une « dent » du peigne. La méthode développée par Hänsch et ses collaborateurs [Udem 99, Reichert 99] consiste à déterminer de manière très précise des fréquences optiques inconnues à travers la mesure des battements entre celles-ci et les dents du peigne. Le grand atout de cette technique est le fait qu’un seul peigne de fréquences suffit pour faire le lien entre une fréquence optique située n’importe où sur une large bande spectrale et une fréquence de référence (par exemple dans les microondes, comme dans  de fréquences et cavités synchrones le cas de l’horloge atomique à Césium). Ceci a représenté une grande simplification par rapport à des méthodes utilisant les chaînes de fréquences [Schnatz 96, Udem 97]. Aujourd’hui, les applications des peignes de fréquences sont diverses. En plus de la métrologie de fréquences et de la physique fondamentale, on peut les utiliser pour faire de la spectroscopie de haute précision [Coddington 08], des mesures de distance [Schibli 06], de la caractérisation du bruit des lasers, de la télécommunication, etc. Ils sont également des candidats pour réaliser du transfert de temps à des précisions impressionnantes qui iraient jusqu’à la yoctoseconde (10−24 s) [Lamine 08]. Les sources de peignes de fréquences disponibles commercialement sont variées et les applications liées à la mesure de temps à haute précision ne cessent de gagner de l’importance technologique. 

Peignes de fréquences et impulsions ultracourtes

 La façon la plus standard de générer des peignes de fréquences est à travers les lasers à verrouillage de mode (mode-locked lasers, en anglais). Ces lasers délivrent un train d’impulsions lumineuses ultracourtes avec une enveloppe périodique. La durée typique d’une impulsion est comprise entre quelques femtosecondes et une dizaine de picosecondes, ce qui fait que la largeur spectrale d’un peigne de fréquences produit par un laser à verrouillage de modes peut aller de moins d’un nanomètre jusqu’à couvrir tout le spectre visible. Non seulement l’enveloppe du champ est périodique, avec un taux de répétition qui fixe l’intervalle de fréquence entre deux dents consécutives du peigne, mais aussi le champ électrique E(t) lui même (à un déphasage progressif près par rapport à l’enveloppe). Ce déphasage correspond, dans le domaine spectral, à un décalage de toutes les dents du peigne par rapport aux multiples entiers du taux de répétition ωr = 2πfr . La figure 1.1.1 explicite le lien entre les propriétés d’un train d’impulsions et le peigne de fréquences respectif. La périodicité (ou quasi-périodicité) du champ électrique est une propriété très importante qui exprime la cohérence entre les différentes impulsions du train et aussi, de façon équivalente, entre les différentes dents du peigne. En effet, on peut voir un train d’impulsions comme une porteuse cohérente de fréquence optique ω0 modulé par une enveloppe périodique qui donne la forme temporelle des impulsions. Quand la période T0 de cette enveloppe n’est pas un multiple entier d’un cycle optique, c’est-à-dire de 2π/ω0, la porteuse se décale progressivement par rapport à l’enveloppe quand on passe d’une impulsion à la suivante. Ainsi, si dans l’impulsion « zéro » le maximum du champ électrique correspond au maximum de l’enveloppe, ceci n’est plus nécessairement vrai pour l’impulsion n, qui subit un écart φCE = n∆φCE, souvent appelé CEP (de l’anglais carrier-envelope phase, phase relative porteuse-enveloppe). La différence de CEP entre deux impulsions consécutives, ∆φCE, se convertit dans le CEO (carrier-envelope offset), qui est le décalage en fréquence des dents du peigne.

Propagation dans un milieu dispersif linéaire

 

 Lorsqu’une impulsion se propage dans un milieu dispersif, les différentes composantes spectrales accumulent des phases différentes. On appelle φ(ω) cette phase spectrale. Lors d’une propagation dans un matériau linéaire, homogène et isotrope, la phase spectrale accumulée dépend uniquement du type de matériau et de l’épaisseur traversée : elle est indépendante des caractéristiques du faisceau lumineux, comme son intensité ou la durée des impulsions. Les réflexions sur des miroirs diélectriques introduisent elles aussi des phases ayant une dépendance spectrale, ce que l’on peut interpréter qualitativement par le fait que les différentes fréquences pénètrent plus ou moins dans les miroirs avant d’être réfléchies. Sous réserve que le spectre soit localisé autour d’une fréquence ω0, on peut effectuer le développement de Taylor de la phase spectrale et s’intéresser aux termes d’ordres successifs : φ(ω) = φ(ω0) + φ 0 (ω0)(ω − ω0) + 1 2 φ 00(ω0)(ω − ω0) 2 + . . . (1.1.10) Retard de groupe La phase linéaire (2e terme) est liée à la dispersion de vitesse de phase. La dérivée première φ 0 (ω0) est, en effet, appelée « retard de groupe » et a pour conséquence que la porteuse et l’enveloppe se propagent à des vitesses différentes, sans pourtant déformer l’enveloppe. Dispersion de retard de groupe La dérivée seconde φ 00(ω0), aussi appelée GDD (de l’anglais Group Delay Dispersion), change la vitesse de propagation de chaque .

À gauche (droite), une impulsion lumineuse gaussienne avec un chirp provoqué par la traversée d’un matériau à GDD positive (négative)

Les couleurs indique le temps d’arrivée des différentes composantes spectrales. posante spectrale. L’impulsion est donc déformée, possédant une phase quadratique et ce que l’on appelle le chirp (gazouillis, en français) : un glissement de fréquence qui fait que les différentes composantes spectrales se répartissent vers l’avant ou l’arrière de l’impulsion (la figure 1.1.2 illustre cet effet). La GDD est souvent donnée en fs2 . On peut aussi développer le module k(ω) du vecteur d’onde, dérivée de la phase spectrale φ(ω) par rapport à z (direction de propagation) k(ω) = ∂φ ∂z (ω), (1.1.11) ce qui donne k(ω) = k(ω0) + k 0 (ω0)(ω − ω0) + 1 2 k 00(ω0)(ω − ω0) 2 + . . . (1.1.12) Ses deux premières dérivées sont également associées à des grandeurs dispersives : Vitesse de groupe La vitesse de groupe vg à la fréquence ω0 s’écrit comme l’inverse de k 0 (ω0). Dispersion de vitesse de groupe La dérivée seconde k 00(ω0) donne directement la GVD (Groupe Velocity Dispersion), qui n’est rien d’autre que la GDD par unité de longueur traversée. Il s’agit donc d’une grandeur non-extensive, qui ne dépend pas de la longueur du matériau, mais uniquement du milieu lui-même. En guise d’exemple, une impulsion gaussienne de durée ∆t à mi-hauteur en intensité qui accumule une phase quadratique φ 00(ω0)(ω − ω0) 2 due à la traversée d’un milieu possédant de la GVD subit un élargissement temporel donné par ∆t´elargi = ∆t s 1 +  4 ln 2φ00(ω0) ∆t 2 2 . (1.1.13) 12 tel-00771444, version 1 – 8 Jan 2013 1.2 Cavités synchrones 0 500 1000 1500 2000 2500 3000 50 100 150 200 250 (fs )2 Durée de l´impulsion (fs) Figure 1.1.3: Effet de l’ajout d’une phase quadratique sur la durée d’impulsions gaussiennes limités par transformé de Fourier. L’impulsion est d’autant plus élargie que sa durée initiale est petite. Cette équation est complètement analogue à celle qui régit l’évolution du profil transversal d’un faisceau gaussien en propagation libre 1 : w(z) = w0 s 1 +  zλ/π w2 0 2 , (1.1.14) de sorte que, de la même façon qu’un faisceau gaussien diverge sous l’effet de la propagation d’autant plus qu’il est focalisé au départ, une impulsion gaussienne s’élargit sous l’effet de la GVD d’autant plus que sa durée initiale est petite. La durée de l’impulsion gaussienne à largeur spectrale donnée est minimale quand toutes les fréquences ont la même phase. On parle alors d’impulsion limitée par transformée de Fourier. La figure 1.1.3, obtenue à partir de l’équation (1.1.13), montre l’effet de l’acquisition d’une phase quadratique par ces impulsions. 1.2 Cavités synchrones On appelle cavités synchrones les cavités optiques capables de faire résonner un train d’impulsions ultracourtes. La difficulté technique supplémentaire par rapport aux cavités monochromatiques est que ce type de cavité doit pouvoir transmettre toutes les composantes spectrales du peigne de fréquences incident. De plus, la finesse d’une telle cavité doit idéalement rester constante sur toute la largeur de bande du peigne, ce qui signifie que les miroirs doivent souvent avoir des traitements spéciaux large-bande pour avoir un coefficient de réflexion qui ne varie pas avec la fréquence. Heureusement, aujourd’hui, cela n’est presque jamais une limitation technologique, 1. … ou encore l’élargissement du paquet d’onde en Mécanique Quantique. 

Peignes de fréquences et cavités synchrones grâce à la qualité des traitements que l’on peut trouver dans le marché, surtout si le spectre n’est pas excessivement large

L’asservissement d’un peigne de fréquences sur une cavité optique fut réalisé par Jason Jones et al. en 2000 [Jason Jones 00]. Des cavités optiques injectées par des peignes de fréquences sont maintenant utilisées pour des mesures d’absorption [Gherman 02]. On peut aussi améliorer les performances de techniques de spectroscopie basées sur les peignes de fréquences en plaçant l’objet à étudier dans une cavité synchrone. Une application intéressante consiste à mesurer la concentration des différentes molécules présentes dans l’haleine humaine [Thorpe 08]. L’étude des cavités optiques dans ce régime est intéressante pour cette thèse car l’OPO (Oscillateur Paramétrique Optique) que nous allons présenter dans les chapitres suivants fonctionne en régime femtoseconde. D’autre part, nous avons construit une cavité synchrone femtoseconde à haute finesse ayant pour but d’asservir le laser-lui même sur cette cavité de référence. 

Généralités sur les cavités optiques 

Une cavité optique, aussi appelée interféromètre de Fabry-Pérot, est un dispositif linéaire avec une certaine réponse spectrale t(ω) qui relie les champs à l’entrée et à la sortie : Eout(ω) = t(ω)Ein(ω), avec t(ω) = |t(ω)|e iΦ(ω) , (1.2.1) de sorte que T(ω) = |t(ω)| 2 est le coefficient de transmission en intensité et Φ(ω) la phase spectrale introduite par l’ensemble du dispositif. Les cavités optiques possèdent en général un miroir d’entrée et un miroir de sortie de coefficients de réflexion et transmission en amplitude notés r1, r2, t1 et t2, supposés réels sans perte de généralité. Une cavité parfaitement alignée et injectée avec un faisceau dans mode propre transverse a alors une réponse qui s’écrit t(ω) = t1t2e iφ(ω)/2 1 − r1r2e iφ(ω) , (1.2.2) où φ(ω) est le déphasage que subit la lumière par tour de cavité. Il est important de bien faire la distinction entre les deux phases spectrales présentées ici. En effet, Φ(ω) est l’argument du nombre complexe t(ω), qui lui dépend de φ(ω).

Table des matières

I Outils Théoriques
1 Peignes de fréquences et cavités synchrones
1.1 Peignes de fréquences
1.1.1 Peignes de fréquences et impulsions ultracourtes
1.1.2 Propagation dans un milieu dispersif linéaire
1.2 Cavités synchrones
1.2.1 Généralités sur les cavités optiques
1.2.2 Déphasage d’un tour de cavité
1.2.3 Couplage d’un peigne de fréquences sans CEO à une cavité sans dispersion et sans phase de Gouy : effet du
chemin optique
1.2.4 Couplage d’un peigne de fréquences avec CEO à une cavité avec phase de Gouy et dispersion linéaire
1.2.5 Couplage d’un peigne de fréquences à une cavité avec GDD
1.2.6 Cavités synchrones à longueur réduite
2 Optique non-linéaire du second ordre
2.1 Champs électromagnétiques réel et complexe
2.2 Équations de propagation pour l’optique non-linéaire
2.3 Effets non-linéaires avec des impulsions ultra-rapides : généralités
2.3.1 La polarisation d’ordre deux
2.3.2 Le nombre d’onde autour de la fréquence centrale
2.4 Doublage d’un peigne de fréquences
2.4.1 Solution de l’équation de propagation
2.4.2 L’accord de phase
2.4.3 Doublage avec un cristal BIBO
2.5 Conversion paramétrique « descendante »
2.5.1 L’équation de propagation
2.5.2 Solution simplifiée : hypothèse de l’enveloppe réelle
2.5.3 L’accord de phase
2.5.4 Conversion paramétrique vs. Doublage de fréquence
2.5.5 Modes propres de la conversion paramétrique
2.5.6 Solution générale de l’équation de propagation via développement de Magnus
Table des matières
2.6 Somme de fréquences
2.6.1 Équations de propagation
2.6.2 Solution via Développement de Magnus
2.6.3 L’accord de phase avec un cristal BIBO
2.6.4 Forme de la distribution spectrale conjointe
2.6.5 Modes propres de la somme de fréquences
3 Description du champ quantique et outils pour l’optique quantique
3.1 Quantification du rayonnement libre
3.1.1 Opérateurs d’annihilation et de création
3.1.2 Opérateurs de quadrature
3.1.3 Représentation de Schrödinger vs. Représentation de Heisenberg
3.2 Les modes du champ
3.2.1 Changement de base
3.2.2 Monomode vs. Multimode
3.3 Représentation des états quantiques en variables continues
3.3.1 Matrice densité et fonction de Wigner
3.3.2 États gaussiens et matrice de covariance
3.4 Enveloppes lentement variables : représentation d’interaction
3.4.1 Notion d’enveloppe lentement variable
3.4.2 Opérateurs quantiques lentement variables
3.5 Relations d’entrée-sortie . 66
3.5.1 Transformations symplectiques 67
3.5.2 Forme générale d’une transformation symplectique en représentation d’interaction
4 Oscillateur Paramétrique Optique Pompé en mode Synchrone (SPOPO)
4.1 Définitions
4.1.1 OPO
4.1.2 SPOPO
4.2 Relations d’entrée-sortie pour un OPO
4.2.1 Le miroir de couplage
4.2.2 La propagation dans la cavité
4.2.3 Le gain paramétrique
4.3 Peignes de fréquences : une base naturelle du SPOPO .
4.3.1 Système quasi-périodique
4.3.2 Problème aux valeurs propres de l’interaction paramétrique
4.3.3 Forme des fonctions propres
4.4 Transformation dans la base des supermodes
4.4.1 Réécriture de la transformation dans la base des supermodes
4.4.2 Seuil d’oscillation
4.5 Propriétés quantiques des peigens de fréquences
4.5.1 Cas dégénéré (θ = 0)
4.5.2 Cas non-dégénéré (θ 6= 0)
4.6 Conclusion
II Expérience
5 Principe de l’expérience, sources lumineuses et préparation des faisceaux
5.1 Principe général de l’expérience
5.1.1 Objectifs
5.1.2 Dispositif expérimental 98
5.2 Sources laser
5.2.1 Laser de pompe
5.2.2 Laser femtoseconde
5.2.3 Asservissements du laser femtoseconde
5.3 Préparation des faisceaux
5.3.1 Correction de l’astigmatisme
5.3.2 Compensation de la dispersion
5.3.3 Doublage de fréquence
5.3.4 Délai entre les impulsions signal et pompe
6 Réalisation expérimentale d’états classique avec SPOPO en cavité linéaire
6.1 La cavité linéaire
6.1.1 Géométrie et design
6.1.2 Mode transverse résonnant
6.1.3 Obtention des pics de résonance et effets thermiques
6.1.4 Asservissement de la longueur
6.2 SPOPO en dessous du seuil
6.2.1 Alignement du cristal non-linéaire et du faisceau pompe
6.2.2 Amplification sensible à la phase et obtention du seuil
6.2.3 Asservissement de la phase relative
6.3 Détection balancée et mesures d’états non-classiques
6.3.1 Détection balancée et mesure du bruit d’amplitude de
faisceaux brillants
6.3.2 Réduction du bruit quantique d’amplitude
6.3.3 Détection balancée à filtrage spectral
6.3.4 Caractérisation d’états non-classiques multimodes
6.4 Conclusion

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