Gérer la vidange, activité à risques

Gérer la vidange, activité à risques

Mortelle vidange à Lyon

L’Hôtel-Dieu, hôpital modèle au tournant du XVIIe s. Pour situer le contexte de l’un des tout premiers témoignages d’accident survenu lors d’opérations de vidange, il est nécessaire de faire une description succincte de la ville de Lyon. L’action se situe à la fin de la première moitié du siècle des Lumières dans la capitale des Gaules, marquée par une dizaine d’épidémies de peste en trois siècles549 , depuis 1348 jusqu’en 1643. Dans ce contexte de fin du XVIIIe siècle, la santé publique est alors l’un des champs de l’affirmation du pouvoir pour les élites urbaines et marchandes, comme elle l’est au siècle suivant pour le pouvoir monarchique le Bureau de Santé de la ville de Lyon550 . Établie de façon provisoire par déclaration royale en 1581, cette autorité devient pérenne administrativement suite à l’épidémie de peste de 1628 : il faut donc reconnaître qu’il fallait du temps pour que soient adoptées les décisions en faveur de la salubrité publique. Nœud de communications entre Nord, Sud et plaines du Dauphiné, à la confluence du Rhône avec la Saône, Lyon, avec près d’une centaine de milliers d’habitants, est la seconde plus grande ville de France après Paris, devant Marseille, Toulouse et Bordeaux. Dynamisée par son activité économique, traditionnellement marchande, une industrie manufacturière naissante et dynamique s’y développe avec la production de soie, et la population ouvrière double entre 1720 et 1760 551 . Forte de cette puissance et de finances en croissance, la ville de Lyon s’étend alors progressivement sur la rive gauche du Rhône, ce qui favorise l’Hôtel-Dieu, une solide institution religieuse, riche de nombreux privilèges douaniers. Cet établissement, créé en 542, celui de Paris datant de 660, est fréquenté par plus de 100 000 patients l’an et ne satisfait plus aux exigences de progrès qui caractérisent le siècle des Lumières. Il convient donc de construire un nouvel hôpital, conforme aux ambitions de la ville et aux critères en vigueur de l’architecture et de la médecine publique. En 1741, une convention de 8 ans est signée avec le célèbre architecte Soufflot, connu pour avoir réalisé le Panthéon et futur directeur de la manufacture des Gobelins, pour la construction d’une imposante façade de deux étages avec vue sur le Rhône552. D’une longueur de près de 400 mètres et dotée de 51 travées, cet ambitieux projet intègre boutiques sous arcades et quai de promenade, mais, par manque de moyens financiers, l’architecte ne peut mener à terme ces travaux.

Chaleurs fatales

Application de l’invention lyonnaise du premier thermomètre centigrade en 1743 par le mathématicien Jean-Pierre Christin et l’artisan verrier Pierre Casati, un suivi météorologique est mis en place par les Jésuites à l’Observatoire du Grand Collège de Lyon. Comme sur tout le pays 556, les enregistrements lyonnais de l’année 1749 soulignent de très fortes chaleurs estivales, avec le 13 juillet, une température de 35 degrés au-dessus du point de congélation557 ! C’est lors de cette éprouvante journée que Jean-François-Clément Morand, jeune et brillant médecin de 23 ans558 , Professeur d’anatomie et de l’art des accouchements, quatrième génération d’une célèbre famille de médecins-chirurgiens, Docteur-Régent de la faculté de médecine, membre de la Société Royale de Lyon et scientifique de renom, est confronté à un vidangeur 559 (voir Figure 119). Admis à l’Hôtel-Dieu, ce dernier est soigné par Morand qui rapporte les faits après avoir entendu les témoins560 dans les grandes chaleurs du mois de juillet 1749, un homme qui se disposait à vuider des latrines, plaça la chandelle allumée sur le bord de la fosse. Aussitôt qu’il eut levé la pierre qui la fermait, il en sortit une espèce de nuage fort épais.Cette narration permet de souligner, d’une part la soudaineté de l’explosion, qui se produit sitôt le tampon de la fosse d’aisance ôté, et d’autre part sa puissance, avec une flamme d’une hauteur proche de 8 mètres. Compte tenu des lacunes dans les connaissances sur les fermentations 561 , Morand est dans l’incapacité d’expliquer le phénomène à l’origine du feu produit par la fosse, difficulté surmontée vers la fin du XVIIIe s. avec Lavoisier et les progrès de la chimie. En conditions anaérobies, les déjections humaines entrent en fermentation putride, à l’origine du biogaz, mélange volatil nauséabond saturé en humidité (H20) principalement constitué de méthane (CH4) et gaz carbonique (CO2). Ignorant ces causes, Morand procure au malade des soins pour cicatriser ses nombreuses brûlures. Mais après une attaque de rétention d’urine, la complication de maux résista à tous les remèdes et emporta le malade en très peu de temps. Malgré ce dénouement tragique et le peu de détails fournis, le travail de Morand apparait comme précurseur en France, et l’Académie Royale des Sciences le missionne 30 ans plus tard, aux côtés de Portal et Vicq-d’Azir, pour conduire un audit sur une catastrophe survenue le 16 Avril 1779 à Narbonne. Il apparait ainsi qu’en 1749, la ville de Lyon est à la base du mouvement de la médecine vers les vidangeurs, et par la suite, la vidange devient une question médicale qui mobilise de nombreux professionnels de santé.

Pathologies de la vidange

La mitte dans les yeux

Parmi les affections dont sont victimes les vidangeurs, la première frappe les yeux, zone la plus vulnérable du corps humain aux émanations gazeuses. En effet, les fermentations produites dans la fosse s’accompagnent d’exhalaisons toxiques riches en ammoniac (NH3) comme en sulfure d’hydrogène (H2S). L’importance de l’élément chimique azote (N), présent dans les déjections humaines, sous forme d’azote organique (urée CH₄N₂O, protéines…) et minéral (NH3 et N2, N-NH4 + , NO3 2-…), a été poétiquement décrit par Parent du Châtelet qui indique que l’ammoniaque est, en quelque sorte, le véhicule des odeurs, qu’il les développe et leur donne pour ainsi dire des ailes562 . Au contact de l’humidité des yeux, ces substances volatiles s’hydratent et produisent des acides qui s’attaquent les yeux. Comme le souligne en 1844 l’humaniste AdrienCésar Égron, auteur de nombreux ouvrages sur le catholicisme et la vie ouvrière pour être utile à l’humanité, il ne faut pas craindre de descendre aux spectacles les plus repoussants et dédaigner de visiter jusqu’aux fosses d’aisances pour y observer les maux qui attaquent les malheureux vidangeurs. Les yeux sont l’organe que les matières stercorales affectent le plus dangereusement 563 . Les médecins identifient l’ophtalmie miasmatique564 , pathologie des vaisseaux sanguins qui provoquent un gonflement de l’œil et une conjonctivite, avec un blanc des yeux d’un rouge plus ou moins vif et une hypersensibilité au touché et à la chaleur. Cette affection est désignée sous le terme de mitte par les vidangeurs, nom dont l’origine n’a pu être identifiée, et désigne également les vapeurs ammoniacales qui s’échappent des fosses d’aisance et provoquent des picotements suivis de cuisson des yeux qui deviennent rapidement rouges, enflammés, au point d’obliger les ouvriers à cesser leur travail et de se tenir loin de la lumière ; pendant un ou plusieurs jours, les yeux couverts de compresses imbibées d’un liquide frais.

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