Gouvernance et politiques publiques de protection sociale des enfants

Gouvernance et politiques publiques de protection
sociale des enfants

Premières réflexions sur les politiques sociales

Le mot « politique »45 a une racine grecque issue de polis, la cité. Politeia désigne donc « l’art de gérer la cité ». Le terme « social » vient du latin socialis : « fait pour la société ». La politique sociale, instrument de l’Etat a pour objectif primaire d’organiser la société et les rapports entres ses membres. En France, au 18e siècle, les Lumières ont formalisé ce concept en lui conférant son sens moderne, et notamment Jean Jacques Rousseau dans le contrat social. Il a été décliné au fil des siècles en de nombreux objectifs secondaires impliquant plusieurs formes d’interventions de l’Etat de la répression aux politiques apportant un réel progrès social et qui ont progressivement constitué le socle de « l’Etat- providence ». Ainsi, on voit naitre des propositions de penseurs français qui faisaient référence à des projets sociaux. Ce n’est qu’au milieu du XIXème siècle que les premiers fondements de l’Etatprovidence ont vu le jour en Allemagne avec le Chancelier Bismarck qui donne à l’Etat une véritable fonction sociale. A la fin de ce même siècle, la troisième République pose les fondements en France en promouvant les premières grandes lois sociales : amélioration des conditions de travail des femmes et des enfants à partir de 1898 sous l’influence tardive du rapport Villermé en 1840, protection contre les grandes épidémies et création de l’aide médicale gratuite en 1893, d’une assistance à l’enfance abandonnée en 1904 et d’un minimum vital pour les vieillards en 1905. Mais le champ social ne se réduit pas à la politique sociale,  instrument de l’Etat. Il intègre de multiples autres actions et intervenants de statut privé qui constituent l’autre pilier de la protection sociale. Les politiques sociales sont des projets de transformations permettant à la société d’évoluer. Elles se développent grâce à l’Etat mais celui-ci utilise parfois l’aide des institutions publiques ou privées. Son but est de maintenir au niveau optimum la qualité de vie même là ou celle-ci est touchée par la réalité sociale. Le rapport de synthèse du CRDI 46 explique que « les politiques sociales sont le fruit de mesures et de mécanismes politiques conçus, planifiés et mis en application pour répondre aux besoins fondamentaux des êtres humains. Elles découlent de décisions nationales et locales qui visent un développement plus efficace des ressources humaines en vue de changements d’ordre social et économiques ». Dans cette définition, la politique sociale apparait comme une solidarité nationale qui recherche la satisfaction des besoins de l’individu. Cela montre que cette satisfaction doit être valable aussi bien chez l’enfant pour qui ces politiques sont conçues que pour l’Etat. Selon la définition de Marie Thérése Join-Lambert47, « les politiques sociales sont des interventions de l’Etat dans le domaine social. « Intervention » nécessaire pour rendre gouvernable une société ayant opté pour un régime démocratique dans le cadre d’un système économique libéral ; ensemble d’actions mises en œuvre progressivement par les pouvoirs publics pour parvenir à transformer les conditions de vie d’abord des ouvriers, puis des salariés et éviter les explosions sociales et la désagrégation des liens sociaux ». D’emblée dans la définition de la politique sociale, on peut dire qu’une personne morale comme l’Etat peut décliner sa politique sociale dans plusieurs domaines. Cependant, il faut signaler que la notion de politique sociale a évolué au cours de l’histoire et elle se développe différemment suivant la collectivité l’utilisant pour son action sociale. Pour Thomas H. Marshall48 « la politique sociale consiste dans l’usage du pouvoir politique pour supplanter, compléter ou modifier les mécanismes du système économique en vue d’atteindre les résultats que le système ne pourrait pas atteindre par lui-même ». L’OCDE49 estime qu’une politique sociale efficace aide les individus à vivre pleinement et à s’épanouir et ce faisant permet aux économies de mieux s’adapter aux nouvelles possibilités de  croissance. En revanche, une mauvaise politique sociale est synonyme d’engrenage dans la pauvreté ou d’exclusion sociale. Le professeur J. F. Bickel50, dans son cours de politique sociale donne trois définitions de la politique sociale :  la politique sociale n’est pas un terme technique avec une signification exacte. Il est utilisé en référence à la politique du gouvernement quand ses actions ont un impact direct sur le bien être des citoyens en leur procurant services et revenus. Le noyau central se compose donc de l’assurance sociale, de l’assistance publique, des services collectifs et de santé et de la politique de logement ;  les politiques sociales sont l’usage du pouvoir politique dans le but de supplanter, compléter ou modifier les opérations du système économique afin d’obtenir des résultats que le système économique n’atteindrait pas tout seul ;  les politiques sociales est un terme générique désignant des mesures politiques visant explicitement à influencer la situation de vie des individus. P. Rosanvallon  historien, lui explique qu’il existe quatre grands volets de la politique sociale que sont :  le social redistributif. C’est l’État providence qui a pour mission d’assurer la solidarité entre les citoyens ;  le social de « capacitation » : ce sont les outils par lesquels les personnes ont les moyens de gérer leurs chances (égalité des chances, la santé, l’éducation, …) ;  le social régulateur qui concerne la règlementation comme le droit du travail ;  le social protecteur qui vise à préserver la dignité humaine. Ce sont par exemple les droits fondamentaux. Parmi ces quatre grands volets, le social de capacitation et le social de protecteur semblent être les volets qui reflètent le plus notre recherche. En effet, en estimant que tous les êtres humains naissent libres et égaux et disposent d’un ensemble de droits alors nous disons que les enfants sénégalais doivent tous bénéficier d’une même politique sociale. La définition adéquate de la politique sociale est les interventions des pouvoirs publics dans le domaine du social. 

Les politiques éducatives

Partant de ces définitions sur les politiques sociales, une politique éducative est une politique d’orientation de la connaissance et de la culture. Ainsi, au Sénégal, ces dernières décennies ont été marqué par l’élaboration de plusieurs politiques éducatives. En ce sens, Sophie B. Thurpin52 dans sa contribution propose une approche inclusive dans les défis politiques concernant l’éducation. En effet, depuis une décennie, l’éducation et la protection de la petite enfance a pris des repères avec l’adoption et la ratification des différents traités clés relatifs aux droits des enfants en mettant sur le droit à l’éducation dés la naissance. Le Sénégal grâce à la démocratisation de l’accès et des efforts dans la diffusion et l’harmonisation de l’approche intégrée a fait des efforts. L’expérience sénégalaise en matière d’éducation de la petite enfance remonte au XIXe siècle avec l’arrivée des missionnaires occidentaux qui, dans le cadre de leurs activités pastorales, vont mettre en place des structures en faveur de la petite enfance (pouponnières, garderies, jardins d’enfants etc.). Les premiers établissements préscolaires tous nés de l’initiative privée furent ouverts au niveau des capitales régionales. Ainsi, la première classe enfantine est crée à Saint-Louis en 1822. De 1960 à nos jours différentes périodes vont marquer l’évolution de ce secteur. D’abord, une période de balbutiement où, l’Etat entreprit un programme d’implantation des structures en réponse à la demande sociale. En milieu rural, dès 1962, est menée en Casamance (Tandiem), l’expérience des garderies saisonnières. En milieu urbain à partir de 1965, l’éducation préscolaire publique voit le jour avec l’ouverture à Dakar de la première école maternelle publique. Puis il y eut une période d’expansion (1970-1980), avec la mise en vigueur d’un cadre légal par l’élaboration de textes fondamentaux telle la loi d’orientation . Celle-ci fait de l’éducation préscolaire le premier maillon du système éducatif et, souligne le rôle propédeutique de l’école maternelle, la préparation à la grande école. On assiste à l’expansion, au développement du secteur, sont crées tour à tour une structure de coordination nationale, une structure de formation des éducateurs préscolaires. Le réseau de services à la petite enfance se diversifie, essaimant à la faveur de nombreuses initiatives pour répondre à la demande d’éducation des populations. Ce fut ensuite une période de ralentissement, voire d’essoufflement (fin des années 80- milieu des années 90), période d’atonie de l’économie sénégalaise dans un contexte de forte 52 S.B. Turpin, 2013, « Défis politiques et pratiques inclusives pour améliorer l’EPPE chez les 0-3ans au Sénégal » in Revue Petite Enfance, Fastef, Ucad, pp. 18-37. 35 croissance démographique. Le système éducatif subit le contrecoup des ajustements structurels et doit faire face à une grave crise à effets multiples : déficit en structures, en ressources humaines, matérielles et financières. La fin des années 90 marque une rupture. La situation de crise a dévoilé les limites du secteur de l’éducation formelle et incité les pouvoirs publics, appuyés par les ONG, à se tourner vers le secteur de l’éducation non formelle qui développe des modèles non conventionnels, peu coûteux. Une nouvelle vision de l’enfant et de son éducation fait évoluer les représentations des jeunes enfants et les modalités de leur prise en charge. Un nouveau paradigme pour l’éducation préscolaire se développe, on s’oriente vers un modèle de programmes globaux associant l’éducation à une prise en charge sanitaire liée à la nutrition et à l’hygiène de l’enfant. De nouvelles conceptualisations investissent le domaine: il est question de développement intégré de la petite enfance (DIPE) ou encore d’éducation et protection de la petite enfance (EPPE). Face à ces enjeux, une nouvelle politique nationale pour le développement intégré de la petite enfance (DIPE) est élaborée, puis adoptée en 2007. Cette politique vise d’abord la reconnaissance et la promotion des droits de l’enfant ; ce principe affirme explicitement le droit des enfants à être éduqués, protégés. Un autre principe l’approche holistique met l’accent sur l’ensemble des besoins de l’enfant qui sont à promouvoir. Au lieu d’une intervention fragmentée en faveur de la petite enfance, il prévoit une approche globale, coordonnée, s’inscrivant dans un continuum allant de la période prénatale à l’accès à l’école élémentaire. Est également adopté le principe d’une approche communautaire du développement de la petite enfance, dans laquelle l’implication active des parents et des communautés locales peut garantir la réussite d’une prise en charge des enfants défavorisés au moyen de services à faible coût. Le dernier principe et pas des moindres, souligne l’ancrage de cette politique aux valeurs culturelles du milieu tout en intégrant les acquis scientifiques. Les défis essentiels de cette politique relèvent d’une part de la gouvernance du secteur par l’expansion des services et l’amélioration de leur accessibilité sociale ; et d’autre part, l’amélioration des déterminants de la qualité des services et la mobilisation des ressources financières. La nouvelle politique DIPE a tendance à se concentrer sur les enfants de 3 à 6 ans, l’importance d’une prise en charge précoce et l’inclusion dans le système éducatif des enfants plus jeunes est certes, une volonté politique affirmée, mais sa mise en œuvre rencontre un obstacle de taille, l’absence d’un cadre réglementaire. 36 Le réseau comprend différentes structures dédiées à la petite enfance, et une offre d’éducation diversifiée : préparation à l’école élémentaire, approche holistique intégrée ou simple garderie. Les écoles maternelles publiques, les jardins d’enfants et les garderies privées dominent en zone urbaine où 78,1% des structures sont des écoles maternelles et 68,5% des structures sont des garderies. Ces structures forment le segment de l’éducation préscolaire le plus ancien et le mieux structuré. Elles accueillent les enfants de 3 à 6 ans répartis en trois sections (petite, moyenne et grande), développent une approche fortement marquée par l’école maternelle française, axée sur la préparation de l’enfant à l’entrée dans l’école élémentaire. La situation du personnel au plan de la qualification et des conditions de travail se présente sous une forme contrastée. Les écoles maternelles publiques ont un personnel enseignant généralement bien formé, disposant de diplômes académiques requis. Les structures privées catholiques, de bonne qualité avec un personnel formé offrent de bonnes conditions de travail. Dans les structures privées laïques, le personnel est souvent peu qualifié, avec des rémunérations peu élevées. Les cases communautaires relèvent du non-formel. Elles dominent en zone rurale qui concentre 66,1% des cases communautaires en 2010. Les cases communautaires se sont développées surtout à partir des années 1990, sont crées et prises en charge directement par les communautés locales, appuyées par une ONG ou une agence de coopération. Pour l’ensemble, ces structures fonctionnent le plus souvent dans des conditions précaires, sous des abris de fortune, avec un équipement minimal, un personnel peu qualifié et des moyens de financement dérisoires. Les cases des tout-petits (CTP) font partie des structures communautaire car elles sont gérées par les populations locales et accueillent les enfants de 0 à 6ans. Créée depuis 2000, sur initiative du chef de l’Etat sénégalais, la CTP représente 22,8% des structures DIPE en 2010. C’est un modèle de référence devant promouvoir un système d’offre harmonisé pour le développement intégré de la petite enfance. Son implantation privilégie les zones rurales et périurbaines pour cibler davantage les enfants vulnérables issus de milieux défavorisés Les Daaras ou écoles coraniques correspondent à une forme traditionnelle de prise en charge axée sur la formation religieuse précoce. Elles sont très répandues dans le pays et présentent des avantages pour les familles à cause de leur faible coût et l’éducation religieuse prodiguée. Le nombre exact n’est pas encore maîtrisé par les autorités. Ces écoles accueillent des enfants de tous âges, et la qualité ainsi que les conditions matérielles dans lesquelles elles 37 opèrent limitent la portée de leur intervention. Une inspection nationale créée depuis 2009, est chargée de l’organisation et du développement de ces structures. Les crèches accueillent les bébés de 0 à 3 ans. Première forme de prise en charge préscolaire, les quelques crèches privées qui existent n’ont pas un ministère de tutelle actuel clairement défini et semblent opérer dans un vide juridique. Le taux de fréquentation des structures d’accueil pour cette tranche d’âge est quasiment nul : 0,5% dont 0,4% pour les filles et 0,6% pour les garçons. Leur intégration à la réglementation en vigueur est un impératif pour compléter le système d’EPE et donner une cohérence d’ensemble aux services de la petite enfance. Le cadre réglementaire actuel n’est pas adapté aux réalités ; les services de crèches figurent en parent pauvre dans la réglementation en vigueur. Il n’existe aucune norme concernant l’ouverture et le fonctionnement des services dédiés aux enfants de 0-3ans. Sophie B. Turpin dans son article formule des recommandations quant aux politiques d’implantation, d’expansion, d’amélioration des facteurs de qualité des structures, de la formation et du statut du personnel de ce secteur afin de promouvoir une EPPE inclusive de qualité. Ici l’auteur fait référence aux approches alternatives c’est-à-dire les crèches rurales, communautaires, regroupements de femmes et formulées pour répondre aux problèmes des crèches privées qui ne disposent pas de réglementations. Le souci principal demeure dans l’implantation même de ces structures et sous quelles conditions. Car il ne s’agit plus d’instaurer un projet pour soulager les parents qui vaquent à leurs occupations le matin mais plutôt de prendre en compte les besoins de l’enfant de moins de 3 ans. Nous avons remarqué à y voir plus clair que le développement du secteur de la petite enfance est dispersé. Sur le terrain, nous avons rencontré plusieurs structures qui ont comme domaine d’intervention la petite enfance, après une analyse est toujours considérée comme sujet et non acteur au Sénégal à cause des nombreuses incohérences liées à sa prise en charge dés le bas âge. Si l’Etat a établit des programmes pour les enfants de 0-6 ans par l’approche holistique intégrée, il reste quasiment nul sur la tranche 0-3 ans car la juridiction est inexistante. 

Table des matières

 PREMIÈRE PARTIE
Cadres théorique, analytique et méthodologique
CHAPITRE 1 : CADRE THÉORIQUE
CHAPITRE 2 : CADRE ANALYTIQUE
CHAPITRE 3 : CADRE METHODOLOGIQUE
DEUXIÈME PARTIE
Politiques de protection, cartographie des acteurs de l’enfant au Sénégal et cadre général de l’étude
CHAPITRE 4 : DE LA PROTECTION SOCIALE PROFESSIONNELLE A LA PROTECTION DE L’ENFANT
CHAPITRE 5 : CARTOGRAPHIE DES ACTEURS DE L’ENFANT ET DOMAINES D’INTERVENTIONS
CHAPITRE 6 : PRESENTATION DES CADRES DE L’ETUDE
TROISIÈME PARTIE
Enfance, vulnérabilité, pratiques de la protection sociale, enjeux et gouvernance
CHAPITRE 7 : CARACTÉRISTIQUES DE LA POPULATION D’ENQUETE ET REPRÉSENTATIONS DE L’ENFANT
CHAPITRE 8 : PRATIQUES ET MECANISMES DE PROTECTION SOCIALE DE L’ENFANT
CHAPITRE 9 : LA PROTECTION SOCIALE DE L’ENFANT DANS LES POLITIQUES
PUBLIQUES : ACTEURS, COLLABORATION, ENJEUX ET GOUVERNANCE
CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

projet fin d'etudeTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *