Identification du terme Islām dans la langue arabe

Identification du terme dans la langue arabe

La morphologie du mot islām indique qu’il assume une valeur factitive et causative et signifie bien, au départ, « conserver intact ». Le verbe aslama garde d’ailleurs de nos jours, parmi d’autres acceptions, celle de « se livrer » qui était jadis, dans des conditions sociales données incluant l’esclavage pour dette, une manière de se « conserver intact », ou, dans celles de la conquête d’une cité, une manière d’avoir la vie sauve. Si l’on applique à ce mot la pierre de touche de la racine sémitique ŠLM dont dérive l’arabe SLM, on doit convenir qu’il existe un sens premier du terme islām exprimant ces notions profanes. Le fait que ce mot n’est pas connu dans un autre sens que religieux s’explique peut-être par la valeur symbolique forte qu’il a prise en se spécialisant pour désigner la religion musulmane. Mais l’arabe n’est pas né avec le Coran. Il est le résultat d’un long développement à partir du tronc commun sémitique et l’on repère aujourd’hui, dans l’onomastique, les premières traces d’un protoarabe dès le début de la seconde moitié du IIe millénaire avant notre ère, par exemple dans les fouilles archéologiques de Nuzi en Irak. On ne peut donc pas faire comme si le mot islām était né ex nihilo avec le sens spécialisé qu’on lui connaît dans l’élan de la religion nouvelle qui porte son nom. Sa signification est bien à relier au patrimoine sémantique de la racine arabe SLM. Plus encore : on ne peut se contenter d’une explication étymologique qui relie le mot aux autres significations dans la seule sphère de la langue arabe. La fréquence des manifestations d’un rapport au divin contenu dans la racine Š/SLM dans l’éventail des langues sémitiques suffit à assurer un substrat solide à l’apparition du sens spécialisé que prend le terme islām en langue arabe dans le domaine religieux.

Essai de traduction

Traduire un mot consiste à le transporter dans un autre univers culturel, et là, attention à l’adage : traduttore, traditore ! Traduire ne consiste pas seulement à choisir dans un lexique ou un dictionnaire un équivalent ou un correspondant supposé du mot. Il faut non seulement le mettre en situation dans l’univers linguistique et culturel de la langue de départ, ce que nous avons fait précédemment. Il faut aussi changer d’univers culturel et donc mettre également en contexte les mots proposés par le lexique et les soumettre eux aussi à une étude attentive de la morphologie, de l’usage en rapport avec l’imaginaire porté par la langue d’arrivée avant de choisir le bon terme, ou du moins de s’en approcher un tant soit peu, et si l’on ne trouve rien de satisfaisant, chercher ailleurs.

islām = « soumission » ?

Traduire le mot islām par « soumission » pose un gros problème car cela revient à sélectionner parmi les sens ou les connotations du terme arabe données par le lexique un sens marginal, périphérique et dérivé hors contexte. Le mot peut effectivement signifier « soumission », mais c’est avant tout de façon tardive dans le domaine religieux, mystique, dans le sens où, chez les Catholiques Jean de la Croix ou Thérèse se « sont soumis à Dieu, s’y sont « abandonnés » pour leur le salut, c’est-à-dire pour y trouver une libération spirituelle. S’il existe un mot dérivé de la racine SLM pour dire « soumission » au sens guerrier, ce n’est pas islām mais istislām, et encore il n’est pas le plus courant. Nous avons surtout ḫuḍūᶜ, « soumission [subie par le vaincu] », iḫḍāᶜ, « soumission [imposée au vaincu] », ou à la rigueur taᶜbīd, littéralement « assujettissement (de qqn) ». Si l’on voulait garder le mot « soumission », il faudrait préciser « soumission mystique ». Mais seuls des gens ayant une culture religieuse et sensibles à la démarche mystique, ou du moins en accepter la possibilité pour ceux qui ne sont pas croyants et ne s’enferment pas dans un agnosticisme ou un athéisme exclusivistes, sont accessibles à cette acception. Le grand public est insensible à la nuance. Quand il entend « soumission », il pense aussi à « asservissement », « subjugation », tant il est vrai que tous ces mots appartiennent au même champ sémantique, qui est celui de la guerre et de la conquête. Demandez à Michel Houellebecq si ce n’est pas cela qu’il a voulu signifier dans son ouvrage intitulé Soumission. Il a parfaitement le droit le considérer la religion musulmane comme « la plus con »10 et, comme il le revendique, « d’écrire un livre islamophobe »11. Il n’agit pas par simple paresse intellectuelle, il s’appuie sur l’opinion préconçue et partisane répandue par la religion chrétienne vis-à-vis de la musulmane depuis plus de mille ans. Il patauge dans les préjugés dont ont pris le relais, à l’ère des impérialismes coloniaux, les sociétés européennes sur celles qui se réclament de l’Islam lorsqu’il s’agissait d’inférioriser l’Autre et d’avilir sa culture pour justifier sa domination. Et il surfe sans vergogne, pas seulement au plan littéraire, sur la peur contemporaine de ces mêmes sociétés, où comme un retour de flamme de l’Empire, pénètre aujourd’hui la religion musulmane et où l’Islam comme religion, comme civilisation et comme société sont confondus, ethnicisé pour ne pas dire racialisé, en un magma insécable et inquiétant.
De l’arabe islām au latin salus Il n’est pas pourtant pas bien difficile trouver dans le français et sa famille linguistique une racine possédant un univers sémantique se rapprochant de celui de la racine sémitique Š/SLM. C’est la racine indoeuropéenne solo-, sol(e)ṷo-* qui donne : * le sanscrit sarvā « tout, tout entier, universel » ; * l’avestique haurvō et le vieux persan haruva, « entier », puis le moyen perse har(w) et le persan har, « tout, chaque » ; * le germanique all et tous ses correspondants ; * le grec gr. ὅλος et le latin ancien sollus, « totus, entier, intact ». Source importante du lexique français, le latin est particulièrement intéressant. L’évolution de cette langue donne l’adjectif salvus (< saluos, saluus), « entier, intact », d’où « bien portant, en bonne santé, en bon état, sauf, etc. » ; le substantif salus, -utis, qui n’est pas seulement « santé », mais aussi « conservation, salut », enfin « action de saluer » ; et le verbe salutare, qui est, entre autres, « donner le salut, sauver ».Si une partie de la niche sémantique de l’arabe SLM n’était occupée par KML, qui exprime l’idée de « complétude, achèvement » », nous aurions une identité plus grande encore entre les champs sémantiques de l’arabe SLM et du latin saluus. Ernout & Meillet, qui se sont penché sur l’étymologie de la langue latine, notent qu’il est « un exemple d’ancien terme religieux, passé ensuite dans la langue courante, puis repris par la langue de l’Église chrétienne, qui lui a redonné un nouveau sens religieux ». Un parallélisme sémantique remarquable existe entre le latin et l’arabe, lui-même lisible dans la plupart des langues sémitiques. Il fait passer de la notion de « entier, intact », à celle de « conservation » sur le plan religieux, c’est-à-dire dans un rapport avec le divin permet la transposition directe extrêmement rare d’une idée d’une langue et d’une culture à l’autre. Révélant une vraie similarité dans l’imaginaire religieux de civilisations puisant en partie à des sources communes, mais différentes entre elles, il est vraiment trop manifeste et trop significatif pour être ignoré dans la traduction du mot islām. Si le Christianisme se veut une « religion du salut », qu’il conçoit comme une « délivrance » et une « libération », il y a mauvaise grâce à présenter l’Islam comme une « religion de la soumission ». C’est bêtement polémique et péjoratif. La notion de « salut » est en effet inscrite dans le terme même qui la désigne et, si elle est vraiment nécessaire, la traduction la plus proche d’islām serait bien « salut ».

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