Importance du soutien de la famille et de la communauté

Lien au territoire

Le lien au territoire est l’expérience personnelle subjective que la personne, le groupe ou la communauté vit en un lieu; ce qui lui donne une signification (Tuan, 1974). Les peuples autochtones d’Amérique du Nord ont toujours entretenu une relation particulière avec leurs territoires (Asselin, 2015; Basile et al., 2017; Berkes, 2014; Big-Canoe et Richmond, 2014). Cette relation est au coeur de leur vie et s’ancre dans des pratiques propres à certains lieux spécifiques qui sont la base de la connaissance (épistémologie autochtone) et du bien-être. Le lien au territoire et les responsabilités à son égard sont le fondement qui soutient et mobilise diverses communautés autochtones dans leur compréhension du monde (Freeman, 2019). Les territoires sont créés au croisement entre l’environnement (le territoire physique), les relations sociales (le territoire social) et les significations données (le territoire culturel) (Sack, 1992). Parmi l’ensemble d’éléments symboliques, on trouve : la vision du monde propre à une société, les pratiques, l’histoire, ainsi que la relation entretenue entre les humains et les autres composantes de l’environnement.

Cette description du paysage culturel fournit un cadre d’analyse adapté à une vision autochtone du monde. Le territoire est ce qui forme la vie culturelle, spirituelle, émotionnelle, physique et les aspects sociaux des Autochtones, ce qui leur fournit les plantes et les animaux pour la nourriture et la médecine (Wilson, 2003). Le lien au territoire comporte trois aspects: émotionnel, cognitif et fonctionnel (Anton et Lawrence, 2014; Jorgensen et Stedman, 2006; Masterson et al., 2017). Séparés de leur territoire, les Autochtones vivent de l’isolement et un sentiment de dislocation (désorganisation) (Kornelsen et al., 2010). C’est pour cette raison qu’ils entretiennent leur lien au territoire, qui se traduit par une attitude affective et un comportement qui vise à préserver le lien et, par conséquent, le territoire (Wilson, 2003). Le lien au territoire permet de mieux comprendre comment les humains réagissent aux changements dans leur environnement. Ainsi, l’environnement et l’humain sont liés, réciproquement affectés par des changements; le lien au territoire n’est pas fixe dans le temps, il évolue (Cheng et al., 2003). Mckinley (2007) affirme que le concept de lien au territoire est intimement lié au concept d’autochtonie (indigeneity), en ce sens qu’il est caractérisé par la relation avec des paysages naturels et culturels qui coïncident. Ces paysages évoluent, le lien au territoire est ainsi continuellement « renégocié » socialement (Casey, 1996).

Choix méthodologiques

Ce projet a reçu l’appui du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or et l’approbation du Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec en Abitibi-Temiscamingue. Les communautés ont été choisies pour leur implication en foresterie. Les représentants des communautés ont été approchés par l’entremise de liens crées par le professeur Hugo Asselin dans le cadre des activités menées par la Chaire de recherche du Canada en foresterie autochtone. Le projet leur a été présenté et leur décision de collaborer fut motivée par leur intérêt à mieux connaître les variabilités du lien au territoire. Avant de commencer la collecte de données, un pré-terrain à été réalisé afin d’être imprégnée des contextes culturels et de mieux connaître les communautés avec lesquelles la chercheuse principale allait collaborer. Ce pré-terrain a été constitué de différentes activités culturelles d’observation participante, telles que : pow wow, visites culturelles des communautés, festivités de la Journée internationale des peuples autochtones. De façon plus notoire, la chercheuse a passé une semaine dans un camp familial lors du goose break de Waswanipi. Dans la conception de plusieurs peuples autochtones, le chemin permettant d’acquérir des connaissances est plus important que l’acquisition de connaissances en soi (Hatcher et al., 2009). Ce pré-terrain a donc permis de donner du sens à la démarche scientifique s’inscrivant dans un cursus scolaire de géographie, de sciences de l’environnement et d’études autochtones. Par ailleurs, les choix méthodologiques, tout comme les outils de collecte de données, ont été faits, élaborés et révisés en collaboration avec les représentants des communautés avec qui la chercheuse principale à travaillé. La validation des résultats s’est déroulée au fur et à mesure de la collecte, en interprétant avec les répondants les éléments suscitant des interrogations ou nécéssitant davanatage de précisions pour mieux comprendre le sens des réponses données.

Matériel et méthodes

Cette recherche se base sur une revue de littérature sur le mino pimatisiwin et d’autres concepts apparentés, ainsi que sur 15 entrevues réalisées avec des membres de différentes communautés autochtones reconnus par leurs pairs pour leurs connaissances du mino pimatisiwin et de la vie en milieu urbain (Tableau 2.2). Nous avons d’abord recruté les participants grâce à un échantillonnage ciblé d’informateurs clés que nous connaissions déjà puisqu’ils faisaient partie de nos réseaux de collaborateurs de recherche, puis par échantillonnage boule de neige, où les participants ont identifié d’autres informateurs clés à inclure. Nous avons arrêté de recruter de nouveaux participants lorsque nous avons atteint la saturation de l’information, c’est-à-dire lorsque de nouvelles entrevues ne généraient plus d’informations supplémentaires (Davis et Wagner 2003). Les participants – des hommes (10) et des femmes (5) de différents groupes d’âge – vivaient ou avaient vécu en ville pour différentes raisons : travail, études, famille. Ils occupaient ou avaient occupé différents métiers : artisans, politiciens, intervenants, professionnels, professeurs, techniciens. Le groupe de participants comporte certains biais : un seul des 15 participants était Atikamekw, les participants Cris étaient plus jeunes (un seul parmi les 60 ans et +), les participants Anicinapek étaient plus âgés (aucun de moins de 45 ans), les femmes participantes étaient plus jeunes (aucune de 60 ans et +) et principalement Anicinapek (4/5).

Cela dit, la nation et le genre semblaient peu influencer les représentations du mino pimatisiwin. Des entrevues semi-dirigées, d’une durée de 1 à 2 heures chacune, ont permis aux participants d’exprimer librement leurs points de vue, tout en s’assurant que certains thèmes étaient abordés. Nous avons basé le guide d’entrevue sur les représentations sociales du territoire chez les Anicinapek de Kitcisakik (Saint-Arnaud et al. 2009). Nous avons considéré trois thèmes généraux pour explorer l’importance du lien au territoire pour le mino pimatisiwin des Autochtones vivant en milieu urbain : (i) le territoire, (ii) les milieux urbains, et (iii) le soutien de la famille et des amis. Nous avons réalisé une analyse thématique (Wolf et Klein 2007) avec le logiciel NVivo (Version 10, QSR International, Chadstone, Victoria, Australie). Un certificat a été obtenu du Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Le consentement libre, préalable et éclairé a été obtenu de tous les participants, notamment en leur présentant un formulaire de consentement précisant les objectifs de la recherche, la nature de la participation demandée, la façon dont les informations allaient être traitées et diffusées, les mesures de protection de la confidentialité, de même que les bénéfices et inconvénients associés à la participation à la recherche. Afin de respecter le principe de réciprocité, une compensation a été offerte aux participants en remerciement pour le partage de leurs connaissances (Asselin et Basile, 2012). Après les entrevues, les répondants ont eu la possibilité de valider l’interprétation des résultats afin de s’assurer que le sens de leurs propos avait été conservé.

Définir le territoire

Trois éléments ressortent des entrevues quant à la définition de territoire. D’abord, le territoire est parfois un espace physique, parfois un espace conceptuel ou spirituel. Ensuite, la ville est souvent incluse dans la définition de territoire. Enfin, il existe certaines nuances dans les définitions de territoire entre les générations, traduisant des parcours identitaires différents. Les entrevues ont révélé le caractère multidimensionnel des représentations sociales du territoire, tel que déjà révélé par Saint-Arnaud et al. (2009). Pour certains répondants le territoire est un espace physique, avec ou sans limites géographiques précises. Certains ont nommé un endroit avec des référents biophysiques, comme le territoire ancestral. Le territoire est parfois défini en termes d’usage: localisation du camp ou du terrain de trappe familial. D’autres ont plutôt parlé d’un territoire qui ne possède pas de contours définis à proprement parler : « Pour moi, le territoire n’est pas associé à un endroit en particulier. » (10) « Mon territoire c’est la nature.

Comme un territoire spirituel. » (15) Le bien-être est, pour certains Cris, une conception de la santé fondée sur des réalités à la fois culturelles et politiques (Adelson, 2004). Par contre, le territoire n’a pas été évoqué d’une façon technicisée, ou politisée, au premier abord; le territoire défini au sens de la loi ou encore évoqué en faisant référence aux revendications territoriales, par exemple. Chez six participants, une dimension politique du territoire a effectivement été relevée, mais plus tardivement dans les entrevues. Ils ont alors fait référence à leur responsabilité de défendre le territoire (Niezen, 2016), menacé et « grugé » par les compagnies forestières, minières et les pourvoyeurs. Et pour cause, la perte de territoire est le facteur qui contribue le plus au stress culturel des communautés autochtones (Bartlett, 2003; Richmond et Ross, 2009). Le fait que la dimension politique n’ait été abordée qu’en deuxième lieu dans les entrevues peut s’expliquer par le but annoncé de l’entrevue, soit de parler du lien au territoire, et de son lien avec la santé, le bien-être. Pour plusieurs participants, parler du territoire les a amenés à préciser que la ville est aussi leur territoire et que le lien au territoire se vit aussi en ville.

Table des matières

AVANT-PROPOS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
RÉSUMÉ
CHAPITRE I INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.1 Introduction
1.2 Problématique
1.2.1 Ville, lien au territoire et mino pimatisiwin
1.2.2 Différences générationnelles du lien au territoire
1.2.3 Implications dans les consultations en foresterie
1.3 Objectifs de l’étude
1.4 Cadre théorique
1.5 Cadre conceptuel
1.5.1 Mino pimatisiwin
1.5.2 Territoire
1.5.3 Lien au territoire
1.5.4 Mobilité et urbanité
1.5.5 Consultations
1.6 Aire d’étude
1.7 Choix méthodologiques
CHAPITRE II LIEN AU TERRITOIRE ET MINO PIMATISIWIN (SANTÉ HOLISTIQUE) DES AUTOCHTONES QUI VIVENT EN MILIEU URBAIN DANS L’EST DU CANADA
2.1 Résumé
2.2 Introduction
2.3 Matériel et méthodes
2.4 Résultats et discussion
2.4.1 Définir le territoire
2.4.2 Ville et lien au territoire
2.4.3 Importance du soutien de la famille et de la communauté
2.5 Conclusion
CHAPITRE III MANIFESTATIONS, SELON LA GÉNÉRATION, DES TROIS ASPECTS DU LIEN AU TERRITOIRE (ÉMOTIONNEL, COGNITIF ET FONCTIONNEL) CHEZ LES ANICINAPEK ET LES CRIS (CANADA)
3.1 Résumé
3.2 Introduction
3.2.1 Lien au territoire
3.2.2 Territorialité
3.2.3 Manifestations générationnelles du lien au territoire
3.3 Méthodologie
3.3.1 Analyse des données
3.4 Résultats
3.4.1 Aspect émotionnel
.4.2 Aspect cognitif
3.4.3 Aspect fonctionnel
3.5 Discussion
3.5.1 Aspect émotionnel
3.5.2 Aspect cognitif
3.5.3 Aspect fonctionnel
3.6 Conclusion
CHAPITRE IV CERTAINS GROUPES AUTOCHTONES SONT-ILS PLUS INVISIBLES QUE D’AUTRES DANS LA CONSULTATION EN FORESTERIE?
4.1 Résumé
4.2 Introduction
4.3 Cadres des consultations
4.4 Méthodologie
4.5 Résultats
4.5.1 Participants ciblés
4.5.2 Questions abordées
4.5.3 Rôles des gouvernements et des entreprises forestières
4.5.4 Influence
4.5.5 Profil des participants autochtones
4.5.6 Formalité des processus
4.6 Discussion
4.6.1 Défis de gouvernance
4.6.2 Défis juridictionnels
4.6.3 Défis culturels
4.6.4 Défis géographiques
4.6.5 Vaincre l’invisibilité
4.7 Conclusion
CHAPITRE V CONCLUSION GÉNÉRALE
5.1 Lien au territoire, mino pimatisiwin et urbanité
5.2 Lien au territoire : différences générationnelles
5.3 Consultations : certains groupes ne sont pas consultés
5.4 Pistes d’action
5.5 Perspectives de recherche futures
ANNEXE A Lettre d’appui
ANNEXE B Formulaire de consentement (entrevue)
ANNEXE C Formulaire de consentement (questionnaire)
ANNEXE D Canevas d’entrevue
ANNEXE E Questionnaire
RÉFÉRENCES

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