Inflammation et rémission symptomatique et fonctionnelle dans le trouble schizophrénique

La schizophrénie dans la CIM-10 (1994)

La dixième version de la classification internationale des maladies (CIM-10) décrit les troubles schizophréniques comme se caractérisant par des distorsions fondamentales et caractéristiques de la pensée et de la perception, ainsi que par des affects inappropriés ou émoussés. La clarté de l’état de conscience et les capacités intellectuelles de base sont préservées bien que certains déficits cognitifs puissent apparaître au cours de l’évolution.
Les phénomènes psychopathologiques les plus importants sont l’écho de la pensée, les pensées imposées, le vol de la pensée, la divulgation de la pensée, les idées délirantes de contrôle, d’influence ou de passivité, les hallucinations dans lesquelles des voix parlent ou discutent du sujet à la troisième personne, les troubles du cours de la pensée et des symptômes négatifs. L’évolution peut être continue, épisodique avec survenue d’un déficit progressif ou stable, ou comporter plusieurs épisodes suivis de rémission complète ou incomplète. Dans cette classification, les critères diagnostiques sont les suivants : G1. Au moins un des symptômes, syndromes et signes indiqués en 1 ou au moins deux indiqués en 2, présents la plupart du temps pendant au moins un mois.

La schizophrénie dans le DSM-5 (2013)

L’Association Américaine de Psychiatrie dans le DSM5 évoque le spectre de la schizophrénie et autres troubles psychotiques. Ainsi les symptômes caractéristiques de la schizophrénie correspondent à un ensemble d’anomalies cognitives, comportementales et émotionnelles, et aucun symptôme n’est pathognomonique. Le diagnostic implique la reconnaissance d’une constellation de signes et symptômes eux-mêmes associés à une altération du fonctionnement professionnel ou social. Les personnes souffrant du trouble varient considérablement au regard de la plupart des caractéristiques car la schizophrénie est un syndrome cliniquement hétérogène. Les critères diagnostiques sont les suivants :
A. Deux (ou plus) des manifestations suivantes sont présentes, chacune pendant une partie significative du temps au cours d’une période d’un mois (ou moins quand elles répondent favorablement au traitement). Au moins l’un des symptômes doit être 1, 2 ou 3 :
1. Idées délirantes, 2. Hallucinations, 3. Discours désorganisé (coq-à-l’âne fréquents ou incohérences), 4. Comportement grossièrement désorganisé ou catatonique, 5. Symptômes négatifs (émoussement affectif, alogie, perte de volonté).
B. Pendant une partie significative du temps depuis la survenue du trouble, un ou plusieurs domaines majeurs du fonctionnement tels que le travail, les relations interpersonnelles, ou les soins personnels sont nettement inférieurs au niveau atteint avant la survenue de la perturbation (ou, en cas de survenue dans l’enfance ou dans l’adolescence, incapacité à atteindre le niveau de réalisation interpersonnelle, scolaire, ou dans d’autres activités auxquelles on aurait pu s’attendre). C. Des signes permanents de la perturbation persistent pendant au moins 6 mois. Cette période de six mois doit comprendre au moins un mois de symptômes (ou moins quand ils répondent favorablement au traitement) qui répondent au critère A (symptômes de la phase active), et peut comprendre des périodes de symptômes prodromiques ou résiduels. Pendant ces périodes prodromiques et résiduelles, les signes de la perturbation peuvent se manifester uniquement par des symptômes négatifs ou par deux ou plus des symptômes figurants dans le critère A présents sous une forme atténuée (par exemple : croyances bizarres, perceptions inhabituelles).
D. Un trouble schizo-affectif et un trouble dépressif ou bipolaire avec caractéristiques psychotiques ont été éliminés soit parce qu’aucun épisode dépressif majeur ou maniaque n’a été présent simultanément aux symptômes de la phase active, soit parce que si des épisodes thymiques ont été présents pendant les symptômes de la phase active, ils ne l’ont été que pour une faible proportion de la durée des périodes actives et résiduelles.
E. La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques directs d’une substance (une drogue donnant lieu à abus ou un médicament) ou d’une affection médicale.
F. En cas d’antécédents d’un trouble du spectre autistique ou d’un trouble de la communication débutant dans l’enfance, le diagnostic additionnel de schizophrénie n’est fait que si les idées délirantes ou les hallucinations sont prononcées et sont présentes avec les autres symptômes requis pour le diagnostic pendant au moins 1 mois (ou moins quand elles répondent favorablement au traitement).
L’autre point majeur à souligner est la reconnaissance du caractère rémittent, c’est à dire la possibilité de rémission complète entre les épisodes, et par là même, la reconnaissance de la possibilité de réinsertion et de réhabilitation des patients atteints de psychose chronique.

Modèles physiopathologiques de la schizophrénie : rôle de l’inflammation

Des arguments de plus en plus nombreux abondent pour évoquer l’implication des phénomènes inflammatoires chroniques dans la pathogénèse de la schizophrénie. Nous allons tenter de les intégrer aux hypothèses physiopathologiques connues.

La théorie dopaminergique

S’appuyant sur l’efficacité clinique des neuroleptiques et après la découverte de leur action sur les voies dopaminergiques, Carlsson propose une première théorie neuro-chimique de la schizophrénie, c’est l’hypothèse dopaminergique (Carlsson et Lindqvist 1963).
Cette hypothèse soutient que le trouble schizophrénique serait lié à des anomalies de la neurotransmission dopaminergique. Par la suite, d’autres données viennent affiner cette première hypothèse. Par la suite, en 1991, Grace revisite l’hypothèse initiale en stipulant des interactions entre le système dopaminergique et d’autres neuromédiateurs, en particulier le système glutamatergique (Grace 1991).
Récemment, des études ont montré qu’une dysrégulation de la neurotransmission glutamatergique peut être induite par des mécanismes immuno-inflammatoires.
Les cytokines pro-inflammatoires intracérébrales pourraient, par modulation d’une enzyme clé, l’indoléamine 2,3-dioxygénase, détourner le métabolisme du tryptophane vers une voie alterne, celle de la kynurénine et de ses métabolites dont certains sont neurotoxiques (Müller et al.2015). La découverte de la voie de la kynurénine met en relief un lien intéressant entre les anomalies de la neurotransmission, évoquées depuis plus d’un demi-siècle, et des mécanismes immuno-inflammatoires dans la schizophrénie.

Le modèle neuro-développemental

Une littérature étendue rapporte des liens entre l’exposition durant le développement à des facteurs environnementaux biologiques et un risque de schizophrénie, supposant l’implication de mécanismes immuno-inflammatoires sous-jacents.
De nombreuses études épidémiologiques ont rapportés le rôle des agents infectieux dans le risque de développer de schizophrénie. Ces études suggèrent que les infections congénitales et les processus inflammatoires qui en découlent joueraient un rôle non négligeable dans le développement de la schizophrénie.
On a pu observer une augmentation d’incidence de la schizophrénie lors des pandémies grippales (risque accru chez les enfants de mère exposée à la grippe en 1957). Sur 25 études épidémiologiques publiées, la moitié soutient une association entre grippe maternelle et schizophrénie. Outre l’exposition prénatale au virus influenza, on évoque aussi l’implication d’autres virus comme le virus herpès simplex (HSV) ou le cytomégalovirus, et des parasites comme Toxoplasma gondii, capable de passer la barrière foeto-placentaire. Ces résultats sont par ailleurs reproduits dans les modèles expérimentaux.
Ces infections sont asymptomatiques ce qui complique la démonstration de leur implication dans l’émergence de la schizophrénie à l’âge adulte.
D’autres facteurs environnementaux sont évoqués comme les complications obstétricales ou les carences nutritionnelles.

CRP et schizophrénie

Généralités sur la CRP

La protéine C réactive (CRP) est le principal marqueur de l’inflammation. Cette protéine est majoritairement synthétisée par les hépatocytes sous l’influence de l’IL-6, cytokine pro-inflammatoire. À l’état normal, les concentrations plasmatiques sont inférieures à 5 mg/l. Lors d’une réaction inflammatoire aiguë, la concentration s’élève très rapidement pour atteindre un pic à 48 heures. Dans le cadre de l’inflammation aiguë, la synthèse de CRP est déclenchée par un stimulus inflammatoire non spécifique, qui peut être d’origine infectieuse, traumatique ou liée à une maladie inflammatoire (auto-immune, systémique…).
Dans certains contextes pathologiques, l’inflammation peut persister et s’installer à long terme. La sécrétion de cytokines dont l’IL-6 est moins élevée mais constante. Il en résulte une concentration de CRP modérément élevée de façon persistante ; c’est que l’on appelle l’inflammation chronique de bas grade. La CRP est aussi un indicateur de cet état d’inflammation chronique.
L’inflammation chronique est le mécanisme à l’origine du développement de l’athérosclérose (Libby et al. 2002), du diabète de type 2 et de certaines maladies hépatiques. Par ailleurs, une relation forte est mise en évidence entre une élévation même minime de la CRP ultrasensible et le risque d’événement cardio-vasculaire. On considère ainsi qu’une concentration supérieure à 3mg/l de façon prolongée est associée à un risque cardio-vasculaire élevé (Blake et Ridker 2002).

Liens entre CRP et schizophrénie

De nombreuses études ont rapporté une association entre l’inflammation chronique et la schizophrénie. Prévalence de l’inflammation de bas grade dans la schizophrénie Plusieurs études ont rapporté une élévation des marqueurs de l’inflammation, essentiellement les cytokines mais aussi la CRP, dans le sang et le LCR, des patients présentant un trouble psychotique.
Dans une méta-analyse de 2014 basée sur huit études transversales, Miller et al. 2014 comparent les taux de CRP de 767 patients ayant un trouble du spectre schizophrénique à 745 témoins. Ils retrouvent des taux de CRP significativement plus élevés chez les patients que chez les témoins avec une taille d’effet moyenne (0.45). Cependant, lorsqu’une étude est exclue (Fawzi et al. 2011), cette taille d’effet décroit et devient faible (0.10) rendant la différence non significative entre les groupes (p= 0.10 IC 0.02 – 0.22). Dans cette même méta-analyse, la prévalence de CRP à taux modérément élevé (définie comme supérieure à 5mg/l) est estimée à 28% dans la schizophrénie. Les auteurs expliquent tout de même que ce résultat provient de l’analyse de cinq études qui ne prennent pas en compte les facteurs confondants comme l’IMC et le tabagisme.
Dans une autre méta-analyse portant sur de plus gros effectifs, il est rapporté des taux de CRP plus élevés chez les patients ayant une schizophrénie que chez les témoins (Wang et al. 2017). Ce résultat est en accord avec celui de la plus grande méta-analyse réalisée, celle de Fernandes et al. 2016., basée sur l’analyse de 26 études transversales et longitudinales regroupant plus de 85000 sujets. L’autre point à relever dans cette étude est que la prise d’antipsychotique n’aurait pas effet sur le taux de CRP.

Liens entre CRP et comorbidités associées à la schizophrénie

Tabagisme actif : Le tabagisme est un facteur de risque cardio-vasculaire répandu en population générale. En France, on estime à 28,7 % la fréquence de fumeurs réguliers quotidiens de tabac (Andler et al. 2018). Dans la schizophrénie, cette fréquence est quasiment multipliée par 2. Une étude française récente retrouve que 54 % des patients ayant une schizophrénie sont fumeurs. Dans le monde, la fréquence des fumeurs chez ces mêmes patients est encore plus élevée, estimée à 62 % (de Leon et Diaz 2005).
Le tabagisme est corrélé positivement au taux de CRP, et cette corrélation est proportionnelle à l’intensité et à la durée de la consommation de tabac. Le sevrage conduit à une normalisation des taux de CRP (Gallus et al. 2018).
Obésité : L’obésité est une maladie associée à des altérations métaboliques et inflammatoires et se caractérise au niveau biologique par une inflammation chronique de bas grade. Une augmentation des concentrations plasmatiques de CRP est en effet observée chez les sujets obèses. C’est le tissu adipeux viscéral qui est incriminé, et serait responsable de la synthèse de l’interleukine 6, principal régulateur du taux de CRP circulante (Choi et al. 2013).
L’obésité est par ailleurs un facteur de risque important de développer d’autres comorbidités comme le diabète de type 2. Sa prévalence est élevée dans les troubles psychiatriques (Lopresti et Drummond 2013), et à fortiori dans la schizophrénie (Brooks et al. 2010).
Syndrome métabolique : Le syndrome métabolique est un syndrome hétérogène qui regroupe un ensemble de facteurs de risque cardio-vasculaires modifiables, donc accessibles à la prévention primaire et secondaire, comme une HTA, une obésité abdominale, une dyslipidémie et une hyperglycémie.
Ce syndrome prédit l’apparition des maladies cardio-vasculaires. Il n’est pas spécifique de la schizophrénie mais il est très fréquemment retrouvé dans les troubles psychiatriques. Selon une méta-analyse, le syndrome métabolique est plus répandue chez les patients ayant un trouble psychiatrique comparativement à la population générale (Vancampfort et al. 2015).
S’agissant plus précisément des patients ayant une schizophrénie, la prévalence est estimée à 30% dans la méta-analyse de Mitchell et collègues, et plus encore dans l’étude CATIE où la prévalence retrouvée est plus importante, estimée à 43% (McEvoy et al. 2005). Ces variations dépendent de la définition considérée, qui fait ou non de l’obésité abdominale, un critère obligatoire.
Une revue systématique suggère une susceptibilité génétique partagée entre syndrome métabolique et schizophrénie ; certains gènes seraient communs à la schizophrénie et au syndrome métabolique (Malan-Müller et al. 2016).

Table des matières

INTRODUCTION
I. LA SCHIZOPHRENIE
A. ÉPIDEMIOLOGIE
B. CLINIQUE
1. La schizophrénie dans la CIM-10 (1994)
2. La schizophrénie dans le DSM-5 (2013)
C. CONCEPT DE REMISSION
1. La rémission symptomatique
2. La rémission fonctionnelle
II. L’INFLAMMATION
A. CONNEXIONS ENTRE INFLAMMATION, IMMUNITE ET SYSTEME NERVEUX CENTRAL 
1. Lors du neuro-développement
2. Lors de la réaction inflammatoire
B. MODELES PHYSIOPATHOLOGIQUES DE LA SCHIZOPHRENIE : ROLE DE L’INFLAMMATION
1. La théorie dopaminergique
2. Le modèle neuro-développemental
C. CRP ET SCHIZOPHRENIE 
1. Généralités sur la CRP
2. Liens entre CRP et schizophrénie
i. Prévalence de l’inflammation de bas grade dans la schizophrénie
ii. CRP et risque de schizophrénie
iii. CRP et altérations cognitives
iv. CRP et particularités cliniques
D. LIENS ENTRE CRP ET COMORBIDITES ASSOCIEES A LA SCHIZOPHRENIE 
1. Tabagisme actif
2. Obésité
3. Syndrome métabolique
E. CONCLUSION DE LA REVUE ET JUSTIFICATION DE L’ETUDE
III. ETUDE : CRP COMME INDICE DE PREDICTIVITE DE LA REMISSION DANS LA SCHIZOPHRENIE
A. INTRODUCTION
B. PATIENTS ET METHODES
1. Sélection de la population
2. Déclaration éthique
3. Recueil des données
4. Analyses statistiques
C. RESULTATS 
1. Dans la population générale
2. Comparaison des deux groupes
D. DISCUSSION
1. Force de l’étude
2. Limites de l’étude
E. CONCLUSION
IV. PRESENTATION DE CAS
A. MONSIEUR B
1. Biographie et mode de vie
2. Antécédents
i. Personnels
ii. Familiaux
3. Histoire du trouble
4. Clinique
i. Symptomatologie
ii. Évaluation psychométrique
5. Paraclinique
i. Les examens biologiques
ii. L’imagerie médicale
6. Discussion diagnostique
i. Diagnostic évoqué
ii. Diagnostics différentiels
7. Discussion thérapeutique
i. Traitement médicamenteux
ii. Traitement non médicamenteux
8. Conclusion
B. MONSIEUR L
1. Biographie et mode de vie
2. Antécédents
i. Personnels
ii. Familiaux
3. Histoire du trouble
4. Clinique
i. Symptomatologie
ii. Évaluation psychométrique
5. Paraclinique
i. Les examens biologiques
ii. L’imagerie médicale et électrophysiologie
6. Discussion diagnostique
i. Diagnostic évoqué
ii. Diagnostics différentiels
7. Discussion thérapeutique
i. Traitement médicamenteux
ii. Traitement non médicamenteux
8. Conclusion
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
LISTE DES ABREVIATIONS

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *