La dimension symbolique des paysages urbains à Baalbek (Liban)

La dimension symbolique des paysages urbains à
Baalbek (Liban)

 Concepts théoriques majeurs structurant la thèse et menant aux questions de problématique 

Le symbole spatial est une notion polémique chargée de puissance et de valeurs qu’elle peut exercer sur les sociétés et les relations socio-spatiales. Soit que les interprétations sont explicites dans les analyses et les études empiriques, ou implicites dans les représentations des pratiques culturelles, idéologiques, politiques et même économiques, le concept est a fortiori primordial dans l’intervention urbaine et paysagère, étant un instrument de mobilisation des groupes sociaux qui se différencient par des charges identitaires à valeurs culturelles, idéologiques et même mythiques. En sens inverse, ces charges, dans des situations géopolitiques données, à des moments et périodes donnés, exigent des interventions opérationnelles diverses à l’aide d’un levier d’action : le symbole urbain. Un symbole est « le visible » qui représente « l’invisible », il évoque un concept figurant « l’image, l’attribut, l’emblème » (Larousse), fait référence à quelque chose d’autre à des valeurs externes (Nas 2011). Symbole, symbolisme et symbolique sont des mots polysémiques : le symbolique qui est l’adjectif courant dérivé de symbole n’est pas à confondre avec la symbolique qui est un système d’histoire des religions ; or, après 1830, le mot est relié à l’approche d’un nouveau romantisme social (Moreau 1954), et se représente comme étant une marque d’identification convenue à une alliance entre certains associés (Descombes 2009). Cependant ces interprétations tendent, dans les études littéraires et sociologiques, à projeter le symbolique tantôt sur l’immatériel tantôt sur le culturel (Dubois, Durand, et Winkin 2013). Or, dans les études géographiques, urbaines, sociales, anthropologiques et psychologiques des espaces, de nouveaux 22 concepts et termes émergent dès le début du XXe siècle : le symbole spatial, le symbole urbain, symbolisme de l’espace public, le lieu symbolique, le symbolique et le génie des lieux, et la spatialisation des symboles. Ces concepts nous permettent de mieux explorer l’articulation entre le symbole spatial, le monument, l’emblème paysager, et d’autres archétypes urbains et géographiques (Monnet 2000). Le lieu symbolique combine les « références au temps, aux espaces et aux sociétés » (Debarbieux 1995), et la structure spatiale physique combinée aux significations culturelles et sociales des lieux, et aux coordonnées et marqueurs symboliques, arborent le rapprochement sensible des espaces, et constituent ensemble « les représentations des lieux » (Bailly 1990). « L’espace et le lieu définissent ensemble la nature de la géographie » (Tuan 1979). Le lieu a un sens, il incarne les expériences d’une population qui le fréquente et qui lui donne une signification pendant une période donnée. Cette signification construit avec l’identité l’image des environnements et des lieux de la ville (Lynch 2005) et constitue un concept capital dans l’exploration du symbole urbain (Nas 2011). Même si certains chercheurs comme Kevin Lynch et Peter Nas divergent sur la dimension des « significations » et leurs représentations techniques dans les enquêtes sociales par la « carte mentale des lieux » (Ibid.) et « la carte narrative » (Reinders et Van Der Land 2008), nous pensons que le cachet collectif et la mémoire commune incarnés dans les significations symboliques sont toujours en relation avec le temps et la société. L’enquête empirique menée par Enric Pol et Sergi Valera dans des quartiers de Barcelone, révèle la nécessité d’identifier et de situer une personne, à partir de certaines caractéristiques facilitant les interactions sociales suivant une référence spatiale et géographique (Pol et Valera 1999), tout en soulignant la dimension symbolique de l’emplacement géographique et du lieu d’habitation comme un point de repère qui facilite la communication sociale, et plus tard la « cohésion sociale ». Sharon Zukin (Zukin 1996), quant à elle, présente deux directions de pensée sur l’interprétation de l’environnement urbain dans la ville : d’une part « l’économie 23 politique » soulignant l’investissement économique et d’autre part « une économie symbolique » concentrant sur les représentations des groupes sociaux, les significations culturelles et les interpénétrations du pouvoir qui gèrent les symboles et les spatialisent. Yi-Fu Tuan (Tuan 1990) dans son livre Topophilia insiste sur les significations sociales et le rôle du symbolisme dans un environnement du quotidien et dans le paysage de l’ordinaire qui est, pour Bailly, « trop souvent réduit au calcul économique » (1990). Ainsi, l’analyse spatiale révèle des complications socio-spatiales résumées dans les symboles urbains et exprimées dans les représentations des aires symboliques en évolution. Dans la même optique, afin de catégoriser les espaces et d’humaniser le paysage physique vécu, il faut tester le rapport entre l’espace, le social, le symbole et le temps. En fait, ce dernier s’intègre dans la prise de conscience de la conservation ou de la transformation spatiale, dans une perspective dépassant la perception individuelle vers le commun. À ce moment, le paysage culturel peut être vu à travers les lieux qui le composent. Inversement, ces lieux symbolisent une image, parfois un cachet sacré, et fournissent une identité au paysage de l’ordinaire, et un outil aux forces politiques. Les aménageurs (les urbanistes et les architectes du paysage) utilisent les symboles spatiaux pour encadrer l’évolution urbaine et pour mobiliser les acteurs et les gestionnaires (Dembski 2012). Pour Joy Paul Guilford (1926) « le temps » dans le sens psychologique est « l’espace traversé », et la perception de l’espace dépend « d’images temporelles », c’est « le temps vécu », en indiquant que le temps joue un rôle essentiel lorsqu’il est politiquement et socialement actif, et surtout dans les villes en mutation. Or, on trouve que l’idée de Guildford n’est pas fortement applicable hors des espaces urbains en crise et dans les villes en mutation. Sinon, le temps est stable dans certains espaces ruraux éloignés de la mondialisation et de l’économie néolibérale. Par conséquent, l’expérience spatio-symbolique est le résultat d’une interaction complexe entre le temps (le changement politique et géopolitique) et l’espace (en 24 mutation), mobilisée par le social et son vécu, tout en fournissant des identités spatiales, et des facteurs de différenciation valorisés dans les paysages de l’ordinaire. L’identité est « la dynamique évolutive » (Vinsonneau 1997) qui mène les sociétés à valoriser leur existence dans les espaces et avec le temps. De son côté, le pouvoir politique étatique, régional ou local, joue souvent un rôle primordial et impératif dans la préservation identitaire dans un monde néolibéral et ses visions de mondialisation et de banalisation. Cette dernière menace les identités spatiales et met les acteurs dans une confrontation géopolitique face aux images du néolibéralisme, pour le maintien des génies des lieux dans les systèmes vécus ; se pose alors une question combinant le temps et ses indigences, les acteurs et leur puissance sur les espaces. 

Symbole, symbolisme et symbolique : définitions et entités

 Un symbole est le lien entre une réalité physique (un drapeau, un mémorial, un bâtiment, etc.) et une idée, une croyance ou une valeur intangible : c’est le « visible » qui représente « l’invisible ». Le Larousse définit le symbole comme étant un « Signe figuratif, être animé ou chose, qui représente un concept, qui en est l’image, l’attribut, l’emblème », il fait référence à quelque chose d’autre et « porte des valeurs extrinsèques » (Nas 2011). Symbole, symbolisme et symbolique sont des mots polysémiques. « Il est un symbolisme qui exprime un certain état primitif des civilisations, et un autre qui désigne une époque littéraire ; le symbolique qui est l’adjectif courant dérivé de symbole ne se confond pas avec la symbolique qui est un système d’histoire des religions ». Après 1830, le mot s’étend vers « la philosophie, dans l’histoire, dans la littérature religieuse et même politique, il s’accorde à l’avènement d’un nouveau romantisme, social, épris de synthèse, avide d’unité et d’universalité » (Moreau 1954). Vincent Descombes retrouve la fonction sociale dans « le symbolisme purement conventionnel » en indiquant l’étymologie du mot symbole étant une « marque de reconnaissance qui a été convenue, à l’occasion d’un contrat quelconque, entre plusieurs associés » (Descombes 2009). Cependant ces interprétations tendent « à rabattre le symbolique tantôt simplement sur le culturel, tantôt plus largement sur l’immatériel…, que ce soit du côté des études littéraires ou du côté d’autres sociologues » (Dubois, Durand, et Winkin 2013). Dans les études géographiques, urbaines, sociales, anthropologiques et psychologiques, de nouveaux concepts et termes émergent dès le début du XXème 46 siècle : le symbole spatial, le symbole urbain, symbolisme de l’espace public, le lieu symbolique, le symbolique et le génie des lieux, et la spatialisation des symboles. Ces études nous permettent de mieux explorer l’articulation du concept de symbole spatial avec ceux « d’emblème paysager, de monument » et d’autres archétypes géographiques et urbains (Monnet 2000). Le lieu symbolique est avant tout un véritable lieu géographique; il peut désigner d’autres éléments géographiques convoqués pour l’esprit. Le lieu symbolique combine les « références au temps, aux espaces et aux sociétés » (Debarbieux 1995). Un des buts de l’analyse spatiale est de révéler le rôle de relations subjectives des individus face aux lieux, et d’expliquer leurs pratiques sociales. « La structure de l’espace avec les limites physiques du monde matériel » et des liaisons fonctionnelles géographiques constituent avec « les significations sociales et culturelles des lieux », avec les coordonnés et traits symboliques, les images, les marqueurs et les limites culturelles et historiques, présentant « la confrontation sensible » des espaces, constituent ensemble « les représentations des lieux » (Bailly 1990).

 Symbole urbain : rôles et valeurs socio-spatiales 

« L’espace et le lieu définissent ensemble la nature de la géographie » (Tuan 1979). Le lieu est une histoire et un sens, il incarne les expériences et les objectifs d’une population ; c’est une réalité qui peut être interprétée en fonction de la perception des personnes qui le fréquentent et qui lui ont donné une signification pendant une période donnée. Cette « signification », construite avec la structure et l’identité l’image des environnements et des lieux de la ville (Lynch 2005) et constitue « un concept crucial dans l’étude du symbole urbain » (Nas 2011, 20). L’enquête empirique qu’avaient faite Enric Pol et Sergi Valera révèle dans des exemples de la vie quotidienne et dans une connaissance sociale entre deux personnes, 47 les premières questions et interactions sociales : D’où êtes-vous ? Où habitez-vous ? Ces questions accentuent la nécessité « de situer et d’identifier la personne inconnue à partir de certaines caractéristiques générales qui facilitait l’interaction sociale, en soulignant une tendance à l’identification en fonction d’un réfèrent géographique, c’est-à dire, en fonction de catégories spatiales » (Pol et Valera 1999). Cet exemple souligne la dimension symbolique de l’emplacement géographique et du lieu d’habitation comme un point de repère qui facilite la communication sociale, ou peutêtre un peu tôt de parler de « cohésion sociale ». Sharon Zukin (Zukin 1996), quant à elle, présente deux directions de pensée. Elle identifie la première comme étant l’économie politique soulignant l’investissement économique avec les termes de base « la terre, le travail et le capital ». La seconde voit l’autre comme une économie symbolique concentrant sur les représentations des groupes sociaux et les moyens visuels de leurs inclusions et exclusions dans les espaces publics et privés, et les significations culturelles contribuant à la construction d’identités sociales. « Les analyses les plus productives des villes de ces dernières années reposent sur des interprétations et des interpénétrations de la culture et du pouvoir » (Ibid.). Ainsi, l’analyse spatiale révèle des complications socio-spatiales qui peuvent être résumées dans les symboles urbains et interprétées et exprimées dans les représentations et significations culturelles des aires symboliques en évolution ; le fait de gérer ces symboles et de les spatialiser est un des rôles du pouvoir. Les relations entre « espace, temps, social et symbole » conduisent à la catégorisation des espaces et à l’humanisation du paysage physique vécu. Le paysage culturel est perçu et structuré dans les lieux qui marquent le territoire et la question du temps s’intègre dans cette prise de conscience de la conservation ou de la transformation. Lorsque la construction des espaces dépasse la perception individuelle vers le 48 commun, le paysage culturel peut être vu à travers les lieux qui le composent. Inversement, ces lieux symbolisent une image, parfois un « cachet sacré », et fournissent une identité au paysage de l’ordinaire, une image au quotidien sociospatial et ses interactions, et un outil aux acteurs, aux gestionnaires et au pouvoir politique. Les aménageurs (les urbanistes et les architectes du paysage) utilisent les symboles spatiaux « pour encadrer le processus de changement urbain et pour mobiliser les acteurs » (Dembski 2012). Cette expérience spatio-symbolique semble être primordiale dans la construction du paysage urbain et dans la préservation de ses représentations culturelles et de son cachet identitaire.

L’expérience spatio-symbolique : entre l’économie, le paysage, le temps et la société 

Ces interactions entre l’économie, le paysage, le temps et la société doivent laisser des traces sur le paysage biophysique ainsi que sur le paysage culturel des espaces urbains. Les significations sociales et le rôle du symbolisme chez Yi-Fu Tuan est essentiel dans le quotidien qui est réduit souvent à l’action économique (Bailly 1990). « L’espace traversé » introduit le « temps » dans le sens psychologique chez Guilford (1926) , en appréciant « l’expérience temporelle » pour résumer l’expérience spatiale comme étant « le temps vécu ». Or, l’idée de Guilford n’est pas forcément applicable hors des espaces urbains en crise, en signalant que le temps joue un rôle primordial lorsqu’il est politiquement et socialement actif, et surtout dans les villes qui expérimentent des mutations urbaines. Sinon, « le temps » est stable dans les espaces ruraux éloignées de la mondialisation, et de l’économie néolibérale qui essaie de commercialiser et de vendre les idées, les espaces autant que les marchandises. Donc, l’expérience spatio-symbolique est le résultat d’une interaction complexe entre le temps (le changement politique et géopolitique) et l’espace (en mutation), cependant 49 elle ne peut jamais être activée sans le social et son vécu, dans des situations économiques aussi bien que géopolitiques données. Cette interaction complexe fournit des identités spatiales et des variables de différenciation, tout en valorisant les particularités des espaces autant que leurs cachets ordinaires. La banalisation des espaces menace ces identités spatiales « traditionnelles » ou « anciennes » et met les acteurs dans une confrontation face aux images du néolibéralisme, au moment où la question est de préserver l’identité, afin de maintenir les esprits des lieux, et les systèmes vécus dans les paysages physiques et culturels. Le rôle du pouvoir est primordial, d’où se pose une question aux acteurs et leur puissance sur les espaces, combinant le temps et ses indigences. Or cette expérience temporelle dans les paysages urbains porte des exigences géopolitiques fortes, des exigences du pouvoir politique en investissant les lieux. Les acteurs politiques, les promoteurs de tourisme, les planificateurs (urbanistes et architectes de paysage) peuvent investir ces espaces et les marquer par des étiquettes ou « labels » internationaux (comme l’inscription de Baalbek sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO), ou par des identifications locales sous des formes historiques et culturelles ou même mythiques, sans banaliser les espaces et leurs identités par des images globales normalisées. Alors, les étiquettes internationales ne posent pas des défis de standardisation des identités locales fusionnées dans un creuset mondial, lorsqu’elle s’harmonise avec l’image identitaire des espaces non-qualifiés ou nonlabélisés des paysages de l’ordinaire. C’est la connexion, que les aménageurs et le pouvoir politique, tentent toujours à trouver entre le site touristique labélisé de Baalbek, et son entourage et voisinage urbain dans le système vécu de la ville. Autrement dit, trouver une relation entre le site archéologique et la ville qui l’entoure. 

Table des matières

SOMMAIRE
INTRODUCTION
Introduction
Section-A : Concepts théoriques majeurs structurant la thèse et menant aux questions de problématique
Section-B : Cadre méthodologique : cerner, décrire et mesurer les symboles urbains
Section-C : Plan général et structuration hiérarchique des idées et des parties de la thèse
I. CHAPITRE PREMIER
CADRE CONCEPT
Symbole, Espace, Aménagement, Pouvoir, Social, Temps : Relations complexes,comment les décoder, les conceptualiser et les modéliser? .
I-1- La spatialité des symboles et le symbolisme des lieux: concepts primordiaux dans
la construction ou la préservation d’un paysage urbain 44
I-2 Rôle et outils du pouvoir : préservation ou menaces d’identité spatiale ?
I-3 Le paysage et le symbole spatial : Entités, identités et rôles du pouvoir
I-4 Identité spatiale et spatialisation des symboles : les moyens de construction
I-5 Genre et symboles dans la construction spatiale. 101
I-6 Politiques d’aménagement urbain et paysager au Liban : Le paysage dans les droits de l’urbanisme au Liban et en France
I-7 Le « placemaking » (communauté et mixité), l’aménagement (pouvoir et planificateurs), et les symboles urbains (idéologie et culture)
II. CHAPITRE DEUXIÈME
PROBLÉMATIQUE ET CADRE MEÉTHODOLOGIQUE
II-1 La problématique
II-2 Le cadre méthodologique
II-3 Conclusion et traduction des données dans la thématique de la recherche
III. CHAPITRE TROISIÈME BAALBEK : DÉCODER, CONCEPTUALISER ET MODÉLISER LES SYMBOLES
SPATIAUX DANS LE PAYSAGE URBAIN
Introduction du chapitre Troisième : Baalbek « Héliopolis »
III-1 Étude empirique et analyse des données
III-2 Puissance des symboles urbains dans le paysage aménagé de Baalbek :marquage territorial, image de résistante au néolibéralisme et instrument de pouvoir
III-3 Le rapport femme/symbole/paysage à Baalbek
III-4 Image urbaine et dimension spatio-symbolique à Baalbek : placemaking à motivation symbolique/idéologique, et aménagement à mobilisation
touristique/politique
IV. CHAPITRE QUATRIÈME : CONCLUSION GÉNÉRALE
IV-1 Synthèse d’argumentation : le pouvoir des symboles spatiaux dans le paysage urbain aménagé et son identité .
IV-2 Les symboles urbains outils de mobilisation urbaine : formule valable dans d’autres terrains et sujet de recherches ultérieures
Bibliographie
Tables des figures
Annexe : version du questionnaire à questions fermées (traduite en français).

projet fin d'etude

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