La discordance entre le message gouvernemental et la réalité sociale

Pertinence scientifique et sociale de la recherche

Notre étude s’ inscrit dans la lignée des recherches qui se sont penchées sur l’étude du cadrage des épidémies afin de comprendre la médiatisation des situations d’exception en santé comme celles de Watin (2010), de Liu et Kim (2011) ainsi que de Gerlach (2016). Notre étude tient sa pertinence scientifique de la manière dont nous avons approché notre corpus. En effet, notre compréhension médicale et biologique des épidémies nous permet d’aborder le sujet d’une manière originale. Alors que la plupart des recherches étudient la couverture médiatique du début à la fin d’une épidémie, nous avons décomposé notre intervalle d’étude selon les moments clés de l’épidémie de Zika. Cette distinction entre les phases de l’évolution de l’épidémie nous permet de poser un regard différent sur l’évolution des cadres tout au long de l’évolution de l’épidémie de Zika, d’où l’originalité de notre approche. Notre étude tire sa pertinence sociale du fait qu’elle pourrait aider à comprendre (même à petite échelle) l’image projetée de l’épidémie dans l’espace public. À plus grande échelle et avec une étude dans un terrain plus large, la compréhension des cadres utilisés dans la couverture médiatique de l’épidémie aiderait les institutions de santé à saisir l’image de la maladie dans l’espace public et à prendre cette image en considération dans la conception des campagnes de sensibilisation. D’un autre point de vue, notre étude pourrait aider à outiller les professionnels de la santé à mieux comprendre les questionnements, les peurs et les inquiétudes des patients lorsqu’il y a une nouvelle épidémie

L’agenda-setting

L’agenda-setting est un concept qui a été proposé pour la première fois par McCombs et Shaw en 1972 (Derville, 2013). On entend par agenda-setting la manière dont les médias établissent et construisent les préoccupations et les sujets de discussion des citoyens. Dans la perspective où la communication est un processus stratégique de la focalisation de l’ attention, les médias, par la fonction de l’ agenda-setting, attirent l’ attention du public vers des sujets plus que d’ autres en les priorisant. L’agenda-setting implique donc deux sous-concepts: la sélection et la hiérarchisation. En effet, les études en communication politique ont montré que les médias tirent leur agenda de l’ agenda politique (McComb et Shaw, 1972). Il ne s’ agit pas de le copier, mais plutôt de sélectionner les événements qu’ il faut prioriser ainsi que les hiérarchiser, même si cet agenda médiatique diffère de l’agenda institutionnel. Par ce fait, la hiérarchie des priorités qu’ ils établissent est censée devenir aussi celle du public; les problèmes qu’ils évoquent en priorité tendent à devenir aussi les problèmes prioritaires dans l’esprit des citoyens (Derville, 2013, p. 43). Cette construction oriente les débats publics puisqu’ elle sélectionne l’angle selon lequel les sujets sont présentés: C’est que non seulement l’effet d’agenda incite fortement à la sélection des événements pertinents du moment, mais les stratégies de communication des sources et les lignes éditoriales incitent les journalistes à traiter tel sujet selon tel cadre interprétatif plutôt que selon tel autre (Macé, 2005, p. 190).

Cela dit, le choix des sujets à débattre dans les médias et la hiérarchisation des priorités ne se font pas par hasard. Selon Kiousis et ses collègues (2010), plusieurs éléments entrent en considération lors de la construction de l’agenda médiatique comme la newsworthiness c’ est-à-dire à quel point l’information est suffisamment intéressante pour être publiée, le timing qui réfère à la rapidité avec laquelle l’information doit être traitée et la crédibilité des sources qui permet de fournir des preuves pour appuyer l’information publiée. De là nait la nécessité du concept d’agenda-building qui permet de mieux comprendre la saillance des sujets et la construction de l’agenda médiatique. Si l’agenda-setting aide à cerner la manière dont les médias établissent les sujets à discuter dans l’espace public ainsi que leur priorité, l’agenda-building permet de comprendre pourquoi certains sujets sont sélectionnés pour être présents sur l’agenda médiatique alors que d’autres ne le sont pas (Weaver, Elliott, 1985). La théorie de l’agenda-building soustend que la presse ne choisit pas seulement la priorité des événements, mais elle interagit lors de ce choix avec différentes institutions afin de créer l’agenda public. Tanner (2004) a même affirmé que les médias, la société, le gouvernement et toute institution ayant son propre agenda s’influencent mutuellement. De là, une interdépendance naît entre l’agenda médiatique et l’agenda institutionnel. Cette interdépendance a été mise en relief par Stromback et Aelst (2013). Selon ces auteurs, les politiciens et les partis politiques sont confrontés à l’obligation de modifier leur agenda, ou au moins, de l’adapter selon l’agenda des médias et vice versa.

Nous pensons que l’interinfluence entre les différentes institutions (médias, gouvernement et autres organismes impliqués directement ou indirectement dans le sujet d’ actualité en question) permet à l’information de valser entre les institutions dans un mouvement de va-et-vient pouvant provoquer un changement, une modification ou une relecture de chacun des agendas. Cette valse n’ est pas toujours fluide, car elle dépend de la rigidité du système, sa bureaucratisation ainsi que le degré de malléabilité de son agenda Stromback et Aelst (2013). Pour ce qui nous concerne, ces interactions se situent dans la sphère de la santé et ont ainsi des spécificités propres à cette sphère. D’une part, l’agenda des institutions de santé contient des informations très délicates (confidentialité de l’ information, les peurs de la société liées à des souvenirs d’anciens épisodes épidémiques, la non-disponibilité d’un traitement, etc.) et, d’autre part, les décisions en matière de politique de santé sont statuées par les représentants du gouvernement (ministres, députés) qui ne prennent pas nécessairement en considération la complexité de cette information. Par exemple, pendant l’épidémie de HINI , le gouvernement américain avait lancé un appel massif à la vaccination. La diffusion de ce message était priorisée dans plusieurs médias. Mais face au grand nombre de patients, les institutions de santé étaient dans l’ obligation de fermer la porte devant les gens en soulignant que l’urgence n ‘ était pas dans la vaccination systématique pour toute la population (Ratzan, 2010). Pour les institutions de santé, il était surtout question de vacciner les travailleurs de la santé, les secouristes et les personnes présentant un risque de conséquences graves. Dans ce cas, l’agenda médiatique, par son choix d’accentuer le discours du gouvernement, non seulement ne correspondait pas à la hiérarchie des priorités de l’agenda sanitaire (relatif aux institutions de santé), mais aussi il le contredisait.

La médiatisation

L’agenda-setting et le cadrage contribuent à choisir ce que le public reçoit comme information, la manière dont cette information est divulguée ainsi que la hiérarchie des sujets à discuter. Cette schématisation de l’information nourrit l’enchevêtrement entre les médias et la société. Par ce fait, les médias deviennent un important, si ce n’est pas le principal, pourvoyeur de produits culturels, de normes et de croyances (Krotz & Hepp, 2011). Par leur statut en tant que source d’information crédible, les médias peuvent alimenter les débats publics, les ori~nter, voire même participer à imposer des normes et des comportements à travers les discours publics (Delforce et Noyer, 1999). En effet, en accentuant certains aspects de la réalité, les médias finissent par imposer une opinion dominante, et « fermer le jeu du débat démocratique » (Rieffel, 2005, p. 38). Rieffel (2005) souligne que les citoyens se tournent vers les médias à la recherche d’information dès qu’un sujet excède « leur sphère personnelle ». Pour Stromback et Van Aelst (2013), les médias constituent la principale source d’information pour le citoyen lorsqu’ il s’agit de politique. Lorsqu’ il s’ agit de santé, Romeyer (2007) affirme que les émissions en santé constituent la référence en information pour les citoyens. Le changement social que les médias visent s’ inscrit dans une logique chronotopique (Bakhtine, 1978). Il s’ agit d’un processus qui s’étend dans l’espace et dans le temps permettant qu’un sujet perdure dans la sphère publique assez longtemps pour opérer un changement social ou du moins modifier une perception.

Ce processus social d’information et d’ influence est basé sur le principe de la médiatisation, soit une action de mobilisation collective (Hassenteufel, 2010) ou une mise en forme d’un contenu par un média (Delforce et Noyer 1999). Le concept de médiatisation a été amplement étudié depuis les années 1980 avec l’émergence des recherches en communication politique (Véron,1995; Mazzoleni et Schulz, 1999; Lundby, 2009; Krotz et Hepp, 2011). La médiatisation ne comporte pas la diffusion et le partage d’ événements isolés, éparpillés et fragmentés comme les faits divers. Elle est plutôt considérée comme un processus de construction de sens à travers lequel les médias exercent une influence sur la société (Delforce et Noyer, 1999). En effet, selon Mucchielli et ses collègues (2004), il y a « processus lorsqu’il y a, au fil du temps, modification de la position et de la forme d’un phénomène dans un référentiel » (Mucchielli, 2015, p. 23). Il s’agit d’une corrélation à long terme qui fait interférer la mise en médias, l’ agenda-setting ainsi que le cadrage. Une corrélation dans laquelle interagissent plusieurs composantes (politique, économique, sociale) créant ainsi une interdépendance entre les médias et ces composantes. Cette interdépendance, qui rappelle d’ ailleurs celle existant entre l’agenda institutionnel et l’agenda médiatique, est illustrée par Hjarvard (2008). Selon cet auteur, la médiatisation permet d’étudier les médias avec une double vue. D’une part, les médias, comme étant une entité distincte ayant ses exigences et sa manière de faire, doivent s’adapter à celles des différentes institutions. D’autre part, les médias deviennent une partie intégrante des autres institutions (la santé, la politique, la religion) et doivent s’ acclimater à leurs normes.

Table des matières

REMERCIEMENTS
Sommaire
Liste des figures
Liste des tableaux
Liste des abréviations
Introduction
Chapitre 1 – Constats, objectif et objet de recherche
1.1 Constats
1.2 Objectif général de la recherche
1.3 Objet de recherche
1.4 Pertinence scientifique et sociale de la recherche
Chapitre 2 – Cadre théorique
2.1 L’agenda-setting
2.2 Le cadrage
2.3 La médiatisation
Chapitre 3 – Méthodologie
3.1 Méthodologie générale de la théorisation enracinée
3.2 Construction du corpus
3.2.1 Choix des périodes
3.2.2 Choix des journaux
3.2.3 Corpus final
3.3 Analyse de contenu
Chapitre 4 – Résultats de l’analyse
4.1 Cadre informationnel
4.1.1 Incertitude de l’information
4.1.2 Difficulté du diagnostic
4.2 Cadre émotionnel
4.2.1 La crise
4.2.2 Rassurant
4.2.3 Histoires vécues
4.3 Cadre moralisateur
4.3 .1 Responsabiliser les femmes
4.3.2 Avortement
4.4 Cadre institutionnel
4.4.1 Les gouvernements
4.4.1.1 L’incapacité des gouvernements locaux
4.4.1.2 La discordance entre le message gouvernemental et la réalité sociale
4.4.2 L’OMS
Chapitre 5 – Discussion
5.1 Zika : entre cadrage thématique et cadrage épisodique
5.2 Zika: entre la primeur et les données quantitatives
Conclusion
1. Rappels nécessaires
2. Limites de la recherche et perspective futures
Liste des références
Annexes
Annexe 1 : Construction du corpus
Annexe 2 : Description du corpus

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