La famille Jourdant-Guerlin et les potiers occasionnels à La Terrasse

Artisans en Grésivaudan aux XVIIe et XVIIIe siècles : les potiers de terre de La Terrasse

La Terrasse en Grésivaudan 

Situation géographique

La Terrasse est située dans les Alpes, au pied du massif de la Chartreuse, dans la vallée du Grésivaudan, à une vingtaine de kilomètres de Grenoble. Ici, le terme de « terrasse » se rapporte à un terrain en hauteur mais aplani, surplombant l’Isère. Le village est composé de six hameaux s’étalant sur une distance de six kilomètres : La Mure, qui constitue le centre de la commune, actuellement situé sur la route nationale 90 ; Le Carre jouxtant la commune de Lumbin dont il est séparé par le ruisseau du Carre appelé aussi ruisseau du petit Lumbin (le petit Lumbin est le nom d’un lieu situé le long de ce ruisseau). C’est dans ce hameau que l’on peut admirer le château du Carre, construit au XIVe siècle. Le Carre et La Mure ont été, et sont encore actuellement, les deux hameaux les plus importants de La Terrasse, par leur superficie et par leur densité de population. La Terrasse comprend aussi le hameau de Lachat, situé au nord de celui de La Mure. Reste Montabon et les Combes, deux lieux un peu plus excentrés, à la limite du Touvet. Le dernier hameau est Chonas, le plus isolé et situé dans la plaine, à proximité de l’Isère. Certains hameaux de La Terrasse ont disparu au fil du temps et il n’en reste que des ruines, découvertes fortuitement3 . Lorsque l’on examine un plan actuel, le hameau des Combes n’existe plus vraiment : à la place nous retrouvons le chemin des Combes menant au Touvet. Une des particularités de La Terrasse est aussi son église, construite à l’extérieur du village. La Terrasse ne donne ainsi pas l’image d’un véritable bourg dont le centre serait l’église mais plutôt de petites agglomérations de maisons reliées entre elles par des chemins et routes. Le fait que les hameaux soient autant dispersés a été déterminant sur les terres cultivables. Généralement, les vergers, prés, vignobles, jardins, n’ont pas de place particulière mais s’axent à proximité des maisons. Ce sont surtout aux hameaux de Montabon et les Combes que l’on cultive la terre. Dans le temps, l’agriculture est donc l’activité principale, la majorité des habitants sont vignerons, laboureurs, bergers, éleveurs… Mais l’élevage est réservé à l’autre rive de l’Isère, la rive droite se focalisant  surtout sur la culture de la terre. Comme le souligne Roger Dubois, c’est le vignoble qui est prépondérant : en effet toutes les conditions pour la plantation et la culture de la vigne sont réunies dans ce paysage : « terrain très ensoleillé et surtout sec et pierreux. Il y avait de nombreux viticulteurs dans le village et les hameaux ». Nous avons pu noter durant nos recherches aux Archives Départementales de l’Isère, que quelques terrassons possèdent des celliers et donc des pressoirs à vin, répartis aux alentours de la commune. C’est spécialement le hameau de Lachat qui supporte les vignobles et celliers. L’auteur souligne très bien le fait que si beaucoup d’habitants sont cités en tant qu’agriculteurs, ouvriers travaillant dans l’industrie, artisans, commerçants peuvent aussi avoir une activité agricole en dehors de leur profession principale et ce, pour augmenter leurs revenus. C’est donc une « activité secondaire »4 pour beaucoup de terrassons et habitants des alentours : « l’activité agricole faisait vivre, selon l’intendant Fontanieu, en 1730, 95,4% de la population rurale, l’effectif ouvrier ne représentant que 4,4% ». Une large part de la population est donc portée sur cette activité et en effet, comme nous le signalerons par la suite, certains artisans potiers de La Terrasse possèdent quelques têtes de bétails, des terres et jardins cultivables ce qui souligne cette volonté empreinte de nécessité d’exercer une autre tâche permettant d’accroître les salaires. En ce qui concerne les biens plus matériels des terrassons de l’époque moderne, leurs maisons, s’ils n’étaient pas nobles ou bourgeois, sont réalisées en pierre et constituées d’une ou de deux pièces sur sol de terre battue. Les animaux d’élevage sont parqués dans une pièce attenante à la maison. Deux ruisseaux traversent encore actuellement le village. Chacun connaît des aménagements particuliers : le ruisseau du Carre, déjà signalé, et celui de La Terrasse qui s’écoule au centre de la commune, lequel alimentait des moulins qui moulaient le grain et permettaient de presser de l’huile. Intéressons-nous à la toponymie des lieux : certains toponymes peuvent être interpellant lorsqu’on les étudie. Des lieux-dits, hameaux, paroisses, quartiers, portent parfois le nom de tupin, tupiniers, tupinière, oules, oulliers… C’est un premier pas de la recherche : en effet ces termes désignent généralement des lieux se référant à l’activité des artisans potiers, sites où ils ont exercé leur profession : dépotoirs, carrières d’extraction de l’argile… A La Terrasse, l’étude des toponymes n’a rien révélé de particulier, rien qui puisse sous-entendre l’installation de céramistes. Et pourtant, comme nous allons le préciser par la suite, même si les noms de lieux ne sont pas significatifs, cette installation fut bien réelle entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. 4 DUBOIS Roger, Un village de la vallée du Grésivaudan : La Terrasse,…

Historique de la commune

Nous ne pouvons correctement déterminer avec précision les dates des premières installations qui se sont effectuées sur le site de La Terrasse actuelle. A la période des Allobroges, vers le IIIe siècle avant notre ère, on relève des fermes gauloises établies dans la vallée. Au VIIe siècle après J.-C, Saint Aupre est le saint patron de La Terrasse, prêtre de Grenoble, décédé en 650 de notre ère. C’est aussi le premier nom de la paroisse5 : « Sancti Aper » au VIIe siècle. Terrassia est la dernière appellation, datée du XIIIe siècle. En 1262, le hameau de La Mure existe déjà (: mura) tandis que le Carre, Montabon et les Combes sont plus tardifs (XIVe siècle). Le Grésivaudan faisant partie du Dauphiné, son histoire est marquée par les grands faits qui ont touchés ce dernier au fil des siècles. C’est au XIe siècle qu’une partie du comté du Viennois (le sud) revient au duc d’Albon, Guigues, et l’autre partie (le nord) au comte de Maurienne, Humbert aux Blanches-Mains. Le premier crée le Dauphiné et le second la Savoie. Dès lors, il y eut beaucoup d’échauffourées entre les habitants de ces deux états. Les limites des territoires sont mal définies et la vallée du Grésivaudan fut toujours un lieu de passage, jalousée par les seigneurs des lieux. Les villageois ont certainement pâti de ces constantes querelles entre communautés et voisins. C’est le dernier Dauphin, Humbert II, qui est à l’origine du transport du Dauphiné à la France : il vendit ces terres en 1349 au futur roi Charles Ier, à Romans. Il percevait « certaines quantités de cens annuels avec leurs valeurs représentées en espèces dans les châtellenies d’Allevard, le Buissière et Montbonnot ». Durant les guerres de religions, au XVIe siècle, le Grésivaudan fut une région de grands troubles entre protestants et catholiques. Pour ce qui intéresse plus particulièrement l’époque moderne, dans les actes notariés, nous retrouvons souvent l’appellation de mandements, communautés ou paroisses qui désignent des noms de lieux. La Terrasse est établie comme une paroisse à la période qui nous intéresse (deuxième moitié du XVIIe-première moitié du XVIIIe siècle). Ces paroisses regroupent parfois plusieurs communautés, celles-ci ayant une administration qui leur est propre, sous la tutelle des parlements (dans notre cas, celui de Grenoble) et intendants. Paroisses et communautés se ressemblent et parfois leurs limites sont identiques. Les premières sont avant tout une « unité religieuse » tandis que  les secondes sont à la base de la vie administrative et sociale des habitants6 . Elles sont donc quasiment indissociables. Au XVIIe siècle, les villageois sont sédentaires et attachés à leurs terres qui leur apporte subsistance et revenus pour certains. Cependant, les échanges sont nombreux entre les différentes communes. Si les déplacements existent aussi, ils sont d’ordre familial, économique avec les marchés notamment, et surtout professionnels. Les crises économiques sont plus nombreuses à cette époque et touchent le royaume de France entier. Crises qui découlent souvent de conditions climatiques assez perturbées, bouleversant les récoltes, les rendements et à terme la qualité de vie à plus grande échelle. Le 6 février 1794, Saint-Bernard, Lumbin et Saint-Hilaire ont été réunis à La Terrasse par un arrêté du représentant du peuple puis s’en sont détachés le 9 octobre 1801. A noter qu’en l’an 1700, La Terrasse compte 450 habitants et 800 en 1754. Ce nombre ne cesse d’augmenter entre 1700 et 18317 . Une augmentation qui donne un aperçu du peuplement de la proche campagne du Dauphiné à l’époque moderne. II) Les sources de l’étude : 1)- Les notaires de Crolles et de La Terrasse La base de nos recherches reposait donc sur l’intitulé du sujet ainsi qu’une cote d’acte notarié conservée aux Archives départementales de l’Isère. Cet acte citait un potier de terre du village de La Terrasse, acte que notre directeur de recherches, Mr Belmont, avait relevé et nous a confié. Notre étude débuta dès le mois d’octobre 2007 aux Archives Départementales de l’Isère. Elle se focalisait principalement sur les actes notariés, les plus prolixes concernant la vie quotidienne de la population dauphinoise. Le premier acte consulté, le 4 octobre, nous a avant tout permis de nous familiariser avec les pratiques et les canons de rédaction des notaires de l’époque moderne ainsi que l’écriture particulière que l’on peut lire à cette période de l’Histoire.  L’intitulé de notre sujet nécessitait donc de consulter les actes des notaires du Grésivaudan et en particulier les notaires de Crolles et de La Terrasse. Avant tout, il est utile de rappeler que les actes notariés sont répertoriés dans la série E, sous-série 3 E des Archives. Les documents cités au cours de ce mémoire seront donc repérés et cités par cotes : 3 E suivie d’un chiffre permettant sa localisation. Lors des premières heures passées au Archives Départementales de Grenoble, notre travail consista donc à relever les noms des notaires ayant exercé dans ces deux villages de Crolles et La Terrasse et ce, durant une tranche de temps comprise entre 1613 et 1768. Ne sachant pas si les recherches aboutiraient à une découverte véritablement intéressante, l’étude débutait d’une façon aléatoire et c’est pour cette raison que la tranche de temps retenue fut la plus large possible. Nous avons donc accédé au répertoire des notaires afin de les classer par date d’activité et relever les cotes des actes liés à ces mêmes dates. Traitons dans un premier temps les notaires de Crolles, plus nombreux que ceux de La Terrasse. Pour le début du XVIIe siècle, le notaire Amabert fut en fonction de 1613 à 1658, les documents rédigés concernent les cotes 3 E 554 à 3 E 565. De 1659 à 1709, c’est Maître Claude Ramel qui prend la suite du travail8 . Ce sont ses actes que nous avons le plus consultés au cours de nos recherches hormis ceux des notaires de La Terrasse. Parmi ces actes, un testament de l’un des potiers en activité à La Terrasse, daté du 20 juin 16719 . Parallèlement, un autre notaire, Jean Ramel, est aussi en activité et nous avons consulté des registres rédigés par ses soins, entre 1699 et 1702. Au XVIIIe siècle, Jean Racle est notaire de 1704 à 1727 puis c’est Joseph Colin, de 1719 à 1734. Les notaires de La Terrasse, quant à eux, nous ont apporté plus d’informations sur les potiers que ceux de Crolles. Les trois notaires les plus étudiés furent Me Claude Pillot, 1er du nom, Me Alexis Pison et Me Claude Pison. Claude Pillot est actif de 1672 à 169610. Ce fut le premier notaire de La Terrasse dont nous avons consulté les documents et c’est par lui que commencèrent véritablement nos recherches. Il est notaire lors de la période durant laquelle une famille de potiers de terre  de La Terrasse est la plus active. Les actes qu’il a rédigés ont été d’une grande importance pour la continuité et la poursuite des recherches. C’est à la lecture de ses documents que notre œil s’est exercé à la transcription des actes écrits en ancien français et dotés des canons de rédaction de l’Ancien Régime. Précisons que le passage d’un notaire à l’autre entraînait donc toujours une perte de temps car il fallait s’habituer à une nouvelle écriture. Mais la connaissance des bases de rédaction notariale acquise au fil des jours permettaient tout de même de limiter ce temps. Autre notaire : Alexis Pison, à La Terrasse de 1683 à 171311 : l’un de ses actes livra un testament de potier, le troisième et dernier que l’on eut la chance de pouvoir transcrire. Les actes rédigés par ses soins ont la particularité d’être mélangés, certains feuillets n’étant pas dans le bon ordre de numérotation et parfois même pas foliotés du tout. Ce fut certainement le notaire le plus prolixe en termes d’actes impliquant des potiers de terre et leurs familles. Le travail de transcription fut donc passionnant mais néanmoins très long : environ un mois uniquement pour deux documents dont l’épaisseur dépassait de loin celle d’une encyclopédie ou dictionnaire de la langue française et suscitait les regards amusés et surpris des employés des Archives départementales. Et enfin Claude Pison, notaire de 1723 à 173912. C’est le dernier notaire dont les documents furent consultés. A cette période, l’activité potière ralentit sensiblement à La Terrasse comme nous l’expliquerons dans les pages suivantes mais c’est néanmoins dans ses actes que l’on pu retrouver les descendants de potiers de terre et leurs nouvelles activités. Si elle était à ses débuts assez aléatoire, notre recherche à travers les actes s’est petit à petit étoffée. Nous ne savions pas à quoi nous attendre à chaque lecture d’un paragraphe et ce sont les actes eux-mêmes qui décidaient de la progression de la recherche. Débutant par les notaires de La Terrasse, nous avons ensuite consulté les registres des notaires de Crolles par curiosité afin de connaître quels types de renseignements ils pouvaient apporter. Constatant qu’ils étaient peu prolixes, nous sommes revenus aux notaires de La Terrasse. C’est donc le contenu des actes qui a permis la progression des recherches. Elle a d’abord été chronologique : mais dès lors qu’un acte en citait un autre qui pouvait intéresser, la chronologie perdait son caractère déterminant. 

Table des matières

Introduction générale
Chapitre premier : Etude des sources
Introduction
I) La Terrasse en Grésivaudan
1)- Situation géographique
2)- Historique de la commune
II) Les sources de l’étude
1)- Les notaires de Crolles et de La Terrasse
2)- Les différents types d’actes
3)- Le cadastre napoléonien, les parcellaires et les patentes
Conclusion
Chapitre deuxième : Les familles de potiers
Introduction
I) La famille Pêcheur
1)- Une branche des Pêcheur en Isère et Drôme
2)- Une famille de potiers à La Terrasse, deuxième moitié du XVIIe siècle-début du XVIIIe siècle
II) Les Duc et Salavin
1)- Un mariage intéressé ?
2)- Louis Duc, marchand potier de terre
III) La famille Jourdant-Guerlin et les potiers occasionnels à La Terrasse
1)- Honoré Jourdant-Guerlin et son fils
2)- Les liens avec les potiers de la région
Conclusion
Chapitre troisième : L’activité potière à La Terrasse
Introduction
I) Economie et production
1)- Situation des potiers et liens économiques
2)- Les fragments de poteries découverts à La Terrasse
3)- De la commande à l’élaboration d’une fontaine, une autre activité des potiers
II) La fin de l’activité
1)- A travers le cadastre, les parcellaires et les patentes
2)- A travers les actes notariés
Conclusion
Conclusion générale
Annexes
Table des annexes
Table des matières

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