La fongitoxicité in vitro des huiles essentielles

La fongitoxicité in vitro des huiles essentielles

L’importance du dosage de l’huile essentielle Le premier paramètre à maitriser dans la mise en évidence de l’activité toxique d’un produit est le choix du produit en question. Nos recherches sont parties d’une large gamme de dix produits dont la mise en évidence du plus antifongique in vitro nécessite le criblage du dosage adéquat. L’HE de ravensare de type MC ayant déjà fait l’objet d’une recherche similaire vis-à-vis des plantes, fût le candidat idéal pour atteindre cet objectif. Nos résultats rapportent une inhibition de la germination conidienne ainsi que de la croissance mycélienne de C. gloeosporioides. Ce qui confirme une activité antifongique de l’HE sur ce pathogène à l’origine de l’anthracnose des mangues à l’île de la Réunion. L’augmentation de cette inhibition avec le volume d’HE utilisé signifie une dose-dépendance de l’activité antifongique ou effet-dose. Kocic-Tanackov et al. (2011) ont rapporté une activité similaire contre la croissance mycélienne de plusieurs espèces de Fusarium, à la fois vis-à-vis de l’inhibition et vis-à-vis de la dose-dépendance et nombreux sont les reviews traitant de l’activité antifongique des HE sur les pathogènes post-récolte des fruits (Sivakumar and Bautista-banos, 2014). Certains travaux attribuent les activités antifongiques des HE ainsi que leur dosedépendance à une dépolarisation membranaire des cellules, menant à une désorganisation métabolique, puis à la mort de ces dernières (Pinto et al., 2009; Xing et al., 2010). Toutefois, d’autres études remettent en question cette théorie au profit, d’action supplémentaire plus ciblée au niveau du métabolisme cellulaire, comme certains enzymes, protéines et voies métaboliques (Carrillo-Muñoz et al., 2006; Shao et al., 2013). Plus probablement, la dosedépendance de l’activité des HE proviendrait de l’existence d’un seuil de tolérance spécifique à l’espèce ainsi que de la quantité de molécules toxiques nécessaires pour endommager irrémédiablement un nombre déterminé de cellules. Nos expérimentations rapportent aussi augmentation de l’inhibition en fonction du volume d’HE utilisé, plus importante et plus rapide sur la germination conidienne que sur la croissance mycélienne. En effet, l’inhibition de la germination conidienne avoisine déjà les 60% avec 100µL d’HE tandis que l’inhibition de la croissance mycélienne est encore entre 0 et 40%. Cela est contradictoire aux dispositions constitutionnelles des deux organes. En effet, les conidies sont protégées par une enveloppe résistante, conçue pour résister aux aléas  hostiles du milieu extérieur tandis que le mycélium est tout juste entouré d’une fine membrane, pratiquement hyalin (Money, 1997). Ou alors, cette différence serait expliquée par le fait que la germination (et par récurrence le tube germinatif) a une croissance plus lente et plus sensible que le mycélium, si bien que si le seuil de toxicité du produit est élevé, le mycélium aurait une vitesse de croissance plus rapide que le temps nécessaire au produit de causer des dommages irréparables. On constate que la variation de la phytotoxicité des HE de ravensare en fonction de la composition majeure de cette dernière (Andrianjafinandrasana et al., 2013) est aussi observée avec ses propriétés antifongiques. Dans la mesure où la composition majeure et la proportion de chaque composant majeur d’une HE sont dépendantes des facteurs environnementaux (Hussain et al., 2010; Van Vuuren et al., 2007; Verma et al., 2010), l’exploitation de cette espèce dans la production d’un traitement post-récolte sera par conséquent limitée par un effet terroir. Les mêmes observations ont été faites sur Cinnamomum osmophloeum, dont l’analyse de la composition chimique d’HE de feuilles en fonction de leur provenance a révélé le regroupement de ces HE en six chemotypes différents et dont les activités inhibitrices de la croissance mycélienne (par diffusion sur PDA, 100 µgml−1 dissolu dans de l’éthanol) diffèrent. Les activités antifongiques vis-à-vis de Fusarium oxysporum n’excèdent pas 18% quel que soit le chemotype, contrairement à Fusarium solani qui est sensible au type cinnamaldehyde, au type cinnamaldehyde–cinnamyl acetate (85.7 et 67.1%). Contre les pathogènes racinaires, Ganoderma australe et Fusarium solani, les types cinnamaldehyde et cinnamaldehyde—cinnamyl acetate sont toujours plus antifongiques (100 et 72% pour G. australe, 100% pour F. solani). Contre les pathogènes foliaires, les six chemotypes ont une activité antifongique maximale de 20% vis-à-vis de Pestalotiopsis funerea, 85 et 100% vis-àvis de Collectotrichum gloeosporioides ( type C et type CCA, respectivement) (H. C. Lee et al., 2005). ii. L’importance du choix de l’huile essentielle D’après les résultats, toutes les HE inhibent la germination conidienne, la germination appressoriale et la croissance mycélienne de C. gloeosporioides. Ainsi les dix HE choisies au départ des investigations ont toute une activité antifongique vis-à-vis de l’agent de l’anthracnose de la mangue. Ce qui concorde avec les travaux de la littérature qui rapportent les propriétés antifongiques de ces 5 espèces : – le girofle étant inhibiteur de plusieurs champignons pathogènes de l’homme et des fruits comme Fusarium oxysporum (Gupta et al., 2011) et Candida albicans (Chaieb et al., 2007). – le géranium étant inhibiteur d’Altenaria alternata, du genre Aspergillus (Džamić et al., 2014) et Botrytis cinerea (Wilson et al., 2015). – la menthe ainsi que le thym étant inhibiteurs de C. gloeosporioides (Sellamuthu et al., 2013) – le ravensare étant inhibiteur de C. gloeosporioides (Estournet, 2012). Il semble que les HE de ravensare engendreraient des inhibitions plus faibles par rapport aux autres HE. En concordance avec les travaux de (Juliani et al., 2004), la toxicité des HE de cette espèce serait par conséquent moins compétitive que celles des autres HE. Cela peut provenir de la très grande volatilité de ces HE (Andrianoelisoa, 2008), ou de leurs compositions, ce qui sera discuté ultérieurement (Partie III) . Les inhibitions obtenues avec l’HE de menthe industrielle, girofle malgache, girofle industrielle et avec le mélange d’HE de menthe et de girofle industrielle sont statistiquement similaires pour la germination conidienne et la croissance mycélienne. La théorie d’une additivité ou d’un antagonisme de l’activité antifongique des HE lors d’une combinaison de deux ou plusieurs HE (Fu et al., 2007), par conséquent, n’a pas été verifiée par nos résultats dans le cadre in vitro. Cela s’expliquerait par un antagonisme entre certains composants des deux HE et un synergisme entre d’autres. En effet, un antagonisme annulerait les effets positifs d’un synergisme, et les deux sont possibles en fonction de la composition du mélange (Bassolé and Juliani, 2012). Les inhibitions observées avec l’HE de girofle sont similaires, indépendamment de la constitution de cette dernière soit, entre la version artisanale extraite à partir de feuilles de girofle malgache ou les formulations industrielles disponibles dans le commerce. Dans la mesure où l’huile industrielle est constitué à partir des composants majeurs connues de l’HE de girofle, cela suggère une importance mineure de cette dernière dans ses activités antifongiques et par conséquence, témoigne d’une toxicité induite par un principe actif à l’image de nombreuses publications à ce sujet (Bakkali et al., 2008a; Pinto et al., 2009) mais cela sera discuté plus profondément dans une autre partie du présent manuscrit (Partie III). Chaque stade du développement de C. gloeosporioides est sensible à la toxicité des HE testées. Toutefois, le degré et l’ordre de sensibilité à chaque HE varient d’un stade à l’autre. Par ailleurs, la sensibilité à chaque HE peut être indépendant du volume d’HE utilisé ou pas, en fonction du stade de développement du pathogène. Par conséquent, d’un stade à un autre, la sensibilité du pathogène à chaque HE n’est pas systématiquement la résultante de l’interaction de l’HE avec le volume d’HE appliqué mais dépend uniquement du choix de  l’HE. Par ailleurs, la germination conidienne et la croissance mycélienne sont sensibles à 100% aux HE non extraites de ravensare tandis que la germination appréssoriale n’est sensible à 100% qu’à deux huiles essentielles industrielles, à savoir l’HE de menthe et le mélange d’HE de menthe et de girofle. Ainsi, les appréssoria réagissent différemment des conidies et du mycélium à la toxicité des dix HE, que ce soit par le degré de sensibilité à la toxicité des HE mais aussi au regard de la théorie de l’antagonisme ou synergisme de plusieurs HE lorsqu’elles sont combinées dans un traitement (cité plus haut) (Fu et al., 2007). Il semblerait que vis-à-vis des appressoria, l’HE de menthe ait une portée plus élevée (environ 20% d’inhibition supplémentaire). Ce qui est compréhensible étant donnée la volatilité nettement plus élevée de cette HE (El Fadl and Chtaina, 2010). Toutefois, si l’HE de menthe est tout aussi volatile que les HE de ravensare, pourquoi la première est parmi les plus toxiques et la dernière les moins toxiques ? Cela suggère qu’un tout autre paramètre soit plus déterminant dans la toxicité des HE que sa volatilité mais cette hypothèse sera discutée dans la prochaine partie, celle sur le mécanisme d’action des HE (partie III). La différence quant au degré de sensibilité à la toxicité des HE proviendrait probablement de la différence anatomique entre l’appressorium et les deux autres stades de développement de C. gloeosporioides. Il est à rappeler que l’appressorium est une hyperstructure conçue pour résister à toute forme d’attaque provenant de l’extérieur, notamment la défense de l’organisme hôte (Emmett and Parbery, 1975; Munaut et al., 1994). Ainsi, il est normal qu’il soit plus résistant à la toxicité des HE que les conidies et l’hyphe mycélien. iii. Les modalités d’un traitement in vitro L’amélioration du dispositif a permis un meilleur criblage des HE, de travailler sur une gamme de concentration plus fine et par conséquent de permettre une optimisation de la qualité du traitement par la minimisation du volume d’HE requise. Ainsi, le mode d’application de l’HE est aussi un facteur stratégique dans l’efficacité d’un traitement. Les deux dispositifs permettent une action de l’HE sans contact de direct avec l’organisme cible (pathogène ou fruit), le premier (dans le screening préliminaire) étant un dépôt concentrée de l’HE au milieu du boîte de Pétri, le second (amélioration du dispositif) étant une imbition d’HE du couvercle de la boîte de Pétri dans sa totalité. Dans ce cas-ci, c’est la densité de l’HE qui a été un facteur limitant, le dispositif a été amélioré de façon a dépasser cet obstacle, par l’augmentation de la répartition de l’HE.  Une inhibition totale et irréversible de la germination conidienne et de la croissance mycélienne des pathogènes semble n’être possible qu’avec 20µL d’HE de girofles malgaches pour les Fusarium spp. extraits de bananes et de papayes malgaches. Les souches isolées à partir de mangues, par contre, sont sensibles aussi à l’HE de menthe industrielle, que les mangues soient d’origine malgache ou étrangère. Ainsi ces HE ont des propriétés fongicides vis-à-vis de Fusarium globosum, Fusarium verticillioides, S16 et C. asianum. Pareils résultats confirment les récits de la littérature sur les activités inhibitrices de l’HE de girofle et de l’HE de menthe vis-à-vis de la croissance mycélienne de nombreux pathogènes postrécoltes dont le genre Fusarium, Aspergillus, Botrytis et Colletotrichum (Cruz et al., 2013; Daferera et al., 2003; Gupta et al., 2011; La Torre et al., 2014; Perumal et al., 2016a). Quel que soit le chemotype utilisé, 20µL d’HE de ravensare induisent une inhibition faible (ou inexistante) et réversible de la germination conidienne et de la croissance mycélienne. Cette réversibilité suggère que sa toxicité est de nature fongistatique et non fongicide. Les HE de cette espèce demandent certainement des modalités d’application plus perfectionnées et plus adaptées à des HE d’une volatilité élevée. Il est clair qu’une dose très élevée est nécessaire. Il faudra probablement augmenter la dose d’HE utilisée, sachant que lors du screening préliminaire, 500µL ne suffisaient pas entrainer une inhibition totale (100%) de la germination conidienne, appressoriale ainsi que de la croissance mycélienne de C. gloeosporioides. Ses propriétés totalement inhibitrices de la germination de graines de cressons, d’ambériques et de riz (Andrianjafinandrasana et al., 2013) suggèrent qu’une atmosphère confinée donnerait de bons résultats in vitro, mais il sera nécessaire de moduler le flux gazeux (02/CO2), la température et l’humidité dans la mesure où la gestion de ces paramètres peut dégrader rapidement et donc compromettre la conservation des fruits et leur innocuité ou au contraire aide à maintenir la qualité post-récolte de ces derniers (Irtwange, 2006). Comme pour C. gloeosporioides, le volume de l’HE utilisée peut ne pas avoir de pertinence en fonction de l’HE utilisée. Toutefois, cette hypothèse est valable dans le cadre des gammes évaluées dans ce dispositif, soit 0, 10 et 20µL. Il est probable, qu’au delà de cet intervalle, le volume de l’HE devienne un facteur déterminant pour la fongitoxicité de l’HE. Ainsi d’autres expériences sont nécessaires pour se prononcer sur ce sujet. Dans toutes les combinaisons HE-pathogène que nous avons évaluées dans ce dispositif, l’interaction entre l’HE utilisée et son volume est un facteur déterminant pour la toxicité induite sur la germination conidienne et la croissance mycélienne. Cela viendrait  probablement du fait que chaque HE soit régie par sa propre dose-dépendance et sa propre spécificité (Amini et al., 2012) et que la même gamme a été testée pour toutes les HE et sur toutes les espèces. Ainsi, il est possible, que l’utilisation d’une dose plus éloignée de cette gamme ait une répercussion déterminante sur l’intensité de l’inhibition observée et par conséquent transfert la fongitoxicité de l’HE dans une catégorie comparable, sinon meilleure que d’autre. Toutefois, comme l’applicabilité et l’efficacité à une dose minimale est un critère décisif pour un bon traitement alternatif post-récolte, l’HE de girofle demeure le candidat le plus prometteur et ce dispositif a permis de réduire la quantité d’HE nécessaire.

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