La géogouvernance territoriale de la ville méditerranéenne

La géogouvernance territoriale de la ville méditerranéenne

Les indicateurs de l’espace-mémoire A Marseille, dans le quartier du Panier, l’indice de satisfaction des habitants atteint un niveau élevé, (84 %) ; il indique une satisfaction des habitants à l’égard de leur environnement résidentiel. De manière plus précise ce résultat décroît avec l’âge, ce qui indique une certaine désaffection du quartier pour les tranches d’âge les plus élevées. Les indicateurs d’adhésion, qui paraissent pertinents se composent d’abord d’indicateurs immatériels comme l’identité, l’espace villageois. Les habitants satisfaits répondent. « C’est un village. Ici c’est le village gaulois qui est préservé, avec la mer » (40-49, cadre, Les Chartreux) Cette identité se constitue autant par identification à un territoire du dedans auquel on adhère qu’à une résistance à l’intrusion du dehors. 2 Les indicateurs de refus se réfèrent avant tout aux relations entre les différentes catégories de résidents : les habitants anciens et les nouveaux venus. Cette dichotomie fondamentale apparaît rapidement comme une césure majeure dans l’appréciation du quartier du Panier et davantage encore dans celle des processus de rénovation, au cours desquels de nouvelles fonctions ou des fonctions renouvelées modifient substantiellement le système de formes. Elle nous permet de mieux centrer notre propos sur les différentiels de conception de l’espace-mémoire corrélativement aux modalités différentes, voire antagonistes, d’appropriation du territoire. Il apparaît que certains nouveaux arrivants voient leur volonté de rester dans le Panier s’étioler face à une série de déconvenues. Ces habitants récents découvrent progressivement une singulière identité de village avec ses rites et ses codes. Ce territoire, aux limites bien identifiées, recèle une mémoire aux multiples facettes, constituée de sédimentations migratoires successives à proximité du complexe portuaire. Les caractéristiques sociologiques du quartier populaire, un temps délaissé, puis reconquis semblent rassemblées au Panier. La cohabitation de populations aux statuts et aux revenus différents semble s’incarner dans la notion de mixité sociale. Mais qu’entend-on par mixité sociale ? Le partage de l’espace public, ne va pas sans frictions, qui se cristallisent autour du thème de la propreté et de celui de la sécurité. Les indicateurs matériels de l’espace-mémoire proviennent de la ressource patrimoniale du quartier et également de la morphologie de la trame vernaculaire. Les bâtiments remarquables comme la Vieille Charité et l’Hôtel-Dieu servent de repères matériels de l’espace mémoire. Le village incarne un centre ancien, d’une part une dimension physique, aux limites clairement identifiées : la rue de la République, la rue Caisserie, la rue de l’Evêché, le Vieux-Port. La topographie de l’espace-mémoire prend une importance singulière, elle superpose un espace en position de centralité et un nucléus de nature villageoise. Les processus de rénovation de la métropole de Marseille, confèrent à ce territoire une dimension iconique, il incarne le cœur de la ville. Ainsi, à une dimension populaire correspond une architecture vernaculaire méditerranéenne qui perdure sous des formes modifiées mais de manière telle que de nouveaux venus s’identifient à elles et les chargent d’un nouveau faisceau de significations. A Thessalonique, dans le quartier de Ano Poli, l’indice de satisfaction atteint également un niveau élevé (72%). Il indique une bonne appréciation des habitants de leur environnement résidentiel. Les résidents avancent leur tranquillité, le pittoresque, leur sécurité et leur convivialité. Comme pour Marseille, les habitants proposent d’abord une dimension immatérielle et invisible de l’espace-mémoire comme la qualité du cadre de vie et la relation entre voisins. « C’est tranquille et pittoresque il y a des liens particuliers entre le voisinage dans mon quartier » (30-39, employée, Ano Poli) Cette première approche à base d’indices immatériels se complète d’une série d’indicateurs matériels et visibles qui tiennent à l’ancienneté des monuments présents dans la ville haute. « cela me plait puisqu’il s’agit d’une partie ancienne de la ville , elle a un caractère culturel précis en conservant ses monuments byzantins. » (30-39, employé, Yedi Coule)

L’interprétation des indicateurs de l’espace-mémoire

Mais, l’interprétation des indicateurs de l’espace-mémoire et de ses formes associées, peut-elle revêtir une sens différent quand on change de niveau ? 

L’espace-mémoire favorise l’émergence d’une nouvelle centralité 

A Marseille, dans le quartier du Panier, les habitants du quartier utilisent des mots, qui évoquent outre le caractère ancien et la sociabilité, une dimension artistique digne d’apparaître dans un centre renouvelé au niveau métropolitain : le secteur artistique. Au niveau local, l’appropriation du centre ancien, intègre les processus de rénovation en cours et davantage encore les mutations sociologiques de la composition de la population. L’arrivée de nouveaux résidents dans le quartier du Panier, résulte d’abord d’un long processus de reconquête du centre ancien de la métropole de Marseille. La dimension affective et subjective du village, constitue à un autre niveau, celui de la métropole, un héritage marseillais en partage, une identité urbaine à préserver. C’est dans ce cadre, que la dimension artistique occupe une place importante. Tout d’abord la réhabilitation de la Vieille-Charité, prolongée par l’installation de nombreux ateliers et de boutiques artisanales, modifie la physionomie du quartier, elle remplace le desserrement de l’emprise commerciale sur les pasde-porte. Ensuite l’installation d’un pôle des arts du spectacle sur le site de la friche de la Belle-de-Mai, et le dynamisme théâtral et cinématographique, de la métropole dessine une image renouvelée de Marseille. Ainsi, le développement de la production du son et de l’image, dans des studios d’enregistrement ou cinématographiques, dépasse le cadre national. Ce secteur devient, non seulement un pôle national mais également international. De ce fait, l’interprétation des indicateurs de l’espace-mémoire, intègre au niveau régional, l’émergence de la dimension culturelle dans les processus de métropolisation au sein de l’Arc méditerranéen. A Thessalonique, dans le quartier de Ano Poli, parmi les termes qui proviennent des réponses apparaît pittoresque . Pittoresque qui au sens premier : digne d’être peint, est remarquable. « traditionnel petit village, idéal privilégié » car « il est traditionnel et pittoresque de la vieille Thessalonique des réfugiés et de la contemporaine d’aujourd’hui, il combine la ville pittoresque le village traditionnel avec les relations de voisinage de la vieille Thessalonique » (40,49, profession intermédiaire, Yedi Coule) L’accent mis sur ce terme, ne peut s’interpréter que dans le contexte plus général de la métropole de Thessalonique, marqué par une identité urbaine composite, qui repose sur les 339 apports récents de populations variées et donc pittoresque dans son rapport à l’espace : l’exode d’Asie Mineure de 1923, l’exode rural des années 1950-1960. La dimension de locale de centre du village, tend à s’estomper, au profit d’ une identité urbaine de la métropole de Thessalonique. Le renouvellement de la population du quartier de Ano Poli, implique un changement des modalités d’appropriation territoriale, par de nouveaux résidents, dont la perception du centre ancien dépend d’abord des qualités de résidence qu’il offre, donc de sa centralité, par rapport au reste de la métropole. A Séville, les habitants du Casco Norte, donnent des réponses qui s’articulent autour de quatre thématiques dont : son dynamisme, son histoire et son évolution en cours. Les indicateurs de l’espace-mémoire du Casco Norte, recouvrent une dimension mémorielle, héritière à la fois d’une culture historique et d’une tradition de luttes sociales, vraie aussi au niveau supérieur. Au niveau régional, le renouveau de la centralité de la métropole de Séville, intègre une fonction patrimoniale qui s’avère déterminante. Elle se conjugue avec une fonction culturelle, qui tend à investir des formes anciennes rénovées. « vieux et sale » car « car il est sûrement l’un des premiers de Séville; pour la culture et pour l’histoire ;» (25-29, commerçant, centro historico) « étonnant, gai » car « parce que pas encore bien défini, on sent un devenir plutôt bien et positif quelque chose d’artistique; les couleurs l’espace un lieu tourné à la fois vers l’histoire et vers la modernité. » (50-69, profession intermédiaire, autre) La vision négative de désordres nocturnes de voie publique constitue une réaction à une concentration des établissements culturels et festifs dans le secteur de la Alameda. Il s’agit bien d’indices d’émergence d’une nouvelle centralité au sein de la métropole de Séville. La rénovation du Casco Historico, favorise le développement d’une fonction culturelle de dimension festive pour la jeunesse qui s’exprime d’abord dans le Casco Norte, alors que la muséification du Casco Sur et la domination de la fonction résidentielle de prestige, interdit de facto de telles pratiques dans le conjunto historico. La métropole de Séville entend d’une part promouvoir un renouvellement de fonctions culturelles et d’autre part permettre à la jeunesse de se retrouver dans des lieux festifs. Cependant, la volonté d’attirer de nouveaux résidents dans le centre ancien implique pour ces derniers, l’acceptation de désagréments nocturnes limités aux alentours de la Alameda. « (…) Généralement les personnes entre 30 et 40 ans qui vivent dans le quartier pensent que les plus jeunes ont le droit de se divertir comme eux l´on eu à la Alameda et je crois que c´est un problème qui pour eux ne provoque pas une opposition frontale. Cependant pour les personnes plus âgées, l´augmentation de l’attraction de la Alameda après sa rénovation, en particulier, avec de nombreux jeunes qui ne peuvent se rencontrer ailleurs dans la ville, a augmenté leur perception du vandalisme dans le quartier, qui est à mon avis objective si l´on compare avec ce qui se passait dans le quartier il y a dix ans. (…) » (N° 4)

L’émergence de la ressource patrimoniale au sein de l’espace-mémoire

Nous avons étudié, au cours de la première partie de cette recherche, les conditions de la constitution de la ressource patrimoniale dans les trois centres anciens des trois villes méditerranéennes retenues pour ce faire. Nous avons évoqué le cas de la ville de Bursa (Turquie) et du complexe de Muradiye. Nous voudrions à présent indiquer, le sens que peut revêtir, ce processus quand on change de niveau. Nous pensons que l’interprétation des indicateurs de l’espace-mémoire et de ses formes associées, revêt un sens différent quand on change de niveau. En effet, la récente métropolisation des territoires induit une nouvelle articulation de niveau local/régional, au sein des centres historiques. Dès lors, la constitution de la ressource patrimoniale peut se décrire à partir de deux niveaux interdépendants et selon trois phases. Nous appuyons notre propos sur l’étude de cas du complexe de Muradiye (Bursa, Turquie)8 . L’émergence de la forme patrimoniale du complexe dynastique de Muradiye, prend place au cours de la phase d’expansion de l’espace impérial ottoman. La dynastie des ottomans fonde son pouvoir sur la fonction du califat, qui repose sur la fondation d’une dynastie, donc la construction d’une mémoire dynastique, gage de continuité et de légitimité. Bien que Constantinople devenue Istanbul, représente la capitale de l’Empire, la nécropole dynastique reste à Bursa. La forme du complexe perdure car investie d’une fonction sacramentelle. La centralité, au niveau local, correspond à la présence de signes matériels et immatériels, visibles et invisibles, d’un pouvoir dynastique sur un territoire urbain. A un autre niveau la centralité indique la structuration de la domination d’un système impérial sur l’espace régional de l’Asie-Mineure, dans un contexte d’entropie et de dissolution de l’empire Byzantin 9 . (Fig. 17). Le déplacement du centre de gravité de l’espace impérial ottoman, sa contraction au cours d’une phase centripète, par la perte des provinces balkaniques, européennes et moyen-orientales, puis sa dissolution en 192010, lors du traité de Sèvres, interrompt cette position de centralité tant au niveau local que régional. En 1923, la Société des Nations reconnaît les frontières de la République turque, laïque, moderniste, qui d’ailleurs change de capitale pour Ankara. La forme perd sa fonction sacramentelle ; seules persistent les fonctions cultuelles et médicales qui assurent la transmission de cet objet jusqu’à aujourd’hui. La perte de la centralité originelle, se distingue, au niveau local, par la dissolution de signes matériels et immatériels, visibles et invisibles, donc du sens et des formes afférentes au complexe dynastique.

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