La modification unilatérale du contrat au cours de son exécution

La modification unilatérale du contrat au cours de son exécution

Les raisons traditionnelles du refus légal de la révision du contrat. Parce que le contrat a longtemps été perçu comme une « brève amourette » 1824, il ne paraissait pas nécessaire de permettre son évolution au cours de son exécution. Insensible à l’écoulement du temps, il avait vocation à rester immuable et à ne pas être révisé. 493. Une consécration légale exceptionnelle. Prenant cependant conscience que certains contrats étaient susceptibles, à l’instar de la société, de s’inscrire dans la durée, le législateur a multiplié les dispositions permettant à certains d’entre eux d’être unilatéralement révisés. Ainsi at-il admis la révision des rentes viagères1825, des loyers à usage commercial1826, des conditions de cession du droit d’exploitation en matière de propriété littéraire et artistique1827 et des conditions et charges en matière de libéralités1828. Toutefois, l’absence de consécration légale d’un principe général de révision des contrats signait dans un même temps l’arrêt du processus de rapprochement du droit des sociétés et du droit commun des contrats. 494. Le refus jurisprudentiel d’une généralisation. Nombre d’auteurs ont alors placé leurs espoirs dans une jurisprudence qu’ils espéraient suffisamment innovante pour promouvoir l’usage de l’unilatéralisme en droit commun des contrats. Longtemps, pourtant, la jurisprudence y est demeurée sourde en droit privé, à rebours de ce que le Conseil d’Etat autorisait. Aussi, sauf à caractériser une véritable situation de force majeure, le contractant victime des meurtrissures du temps ne pouvait-il demander à modifier le contrat dont l’équilibre avait été substantiellement modifié.

Des raisons illégitimes

Admettre la révision du contrat par les parties à la suite de la survenance d’un évènement imprévisible ne contrevient pourtant à aucune considération morale ou économiqueb. D’abord, il n’y a rien d’immoral à ne pas tenir ses promesses si le changement de circonstances est tel que l’équilibre initial du contrat en est totalement bouleversé. A l’inverse même, il devient immoral de la part du créancier d’exiger du débiteur victime des circonstances qu’il s’exécute dans les conditions initialement fixées. Ensuite, si la sécurité des contrats doit être assurée, ce n’est que dans la mesure où elle conserve un intérêt pour le commerce. Or, où demeure l’intérêt de maintenir une situation contractuelle fortement déséquilibrée qui risque à terme de dégénérer en force majeure ? Si l’on veut préserver la sécurité juridique, il importe justement de garantir aux parties l’exécution de leur convention1834 grâce à une nouvelle répartition de la charge de l’évènement imprévu. A un contrat statique laisse place un contrat dynamique capable de résister aux effets du temps. 

Un unilatéralisme relatif

En offrant à une partie la possibilité de requérir de son cocontractant qu’il accepte bon gré mal gré de procéder à la modification du contrat1835 , on accepte d’ouvrir la voie d’un unilatéralisme en droit commun des contrats. Pour autant, cet unilatéralisme n’est que relatif. En effet, lorsque la Cour de cassation accepte d’ouvrir une brèche dans la traditionnelle immutabilité contractuelle, ce n’est certainement pas pour permettre à l’une des parties de procéder elle-même à la modification requise. Celle-ci demeure entre les mains des deux parties, quand bien même l’une d’elles l’aurait unilatéralement demandée. Rien ne garantit donc que les discussions menées par les parties en vue de modifier le contrat aboutissent effectivement à son adaptation aux circonstances nouvelles. C’est dire si l’exigence unanimiste demeure fortement ancrée en droit privé des contrats 1836. Preuve en est que, en droit du travail, la jurisprudence a clairement souhaité circonscrire le domaine de la modification unilatérale de l’employeur aux éléments de moindre importance1837. Si le changement des conditions de travail peut être effectivement imposé au salarié sous peine d’être licencié pour faute, la modification à proprement parler du contrat de travail sollicitée par l’employeur demeure subordonnée à l’accord du salarié1838 . Cette rigueur jurisprudentielle se comprend en réalité parfaitement. Parce que le contractant est naturellement guidé par ses intérêts personnels, il est sans doute enclin à abuser de son pouvoir de modification unilatérale. Il n’est donc pas question de déroger de manière absolue à la règle unanimiste. La question se pose pourtant différemment lorsque les parties ont omis de fixer un élément du contrat lors de sa conclusion. 2- La fixation unilatérale d’un élément du contrat au cours de son exécution 497. Le rejet traditionnel de la fixation unilatérale. L’idée qu’une partie puisse postérieurement à la formation du contrat procéder à la fixation d’un de ses éléments ne s’impose pas avec la force de l’évidence. Outre que ce serait heurter de front la conception volontariste du contrat, aucune disposition du Code civil ne peut en fournir un fondement textuel. A l’inverse, même, tout porte à croire que le législateur condamne un tel principe. En effet, si l’article 1134 du Code civil est peu propice à la reconnaissance de l’unilatéralisme dans l’exécution du contrat, il paraît difficile d’admettre qu’une partie puisse fixer seule un élément essentiel du contrat en cours de son exécution. Plus encore, les articles 1108 et 1129 du Code civil semblent indiquer que les prestations doivent être prévues ab initio par les parties. Le premier dispose en effet que l’objet doit être certain et le second exige qu’il soit déterminé ou du moins déterminable. Précisément, ce dernier énonce dans son alinéa premier qu’ « il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce » et, dans son alinéa second, que « la quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu’elle puisse être déterminée ». Certes, il y a donc une place à une détermination ultérieure. Toutefois, sa compréhension traditionnelle est fort restrictive1839. D’abord, la détermination ultérieure ne peut concerner que des choses de genre et non des corps certains1840. Ensuite, elle « ne peut concerner que les caractéristiques de l’objet dont la fixation n’est pas indispensable à la naissance d’un engagement contractuel » 1841. Enfin, elle ne doit pas émaner d’une partie seule, ce qui implique que les parties aient prévu ab initio un mécanisme objectif ou un tiers impartial permettant de procéder à la détermination postérieurement à la formation du contrat. En somme, pas plus que l’alinéa premier, l’alinéa second ne permet l’usage de l’unilatéralisme dans l’exécution du contrat. Enfin, l’article 1591 du Code civil relatif à la vente prescrit un prix déterminé et désigné par les parties. Or, puisque le contrat de vente a été érigé par le législateur en modèle du droit commun, il ne paraît pas anormal d’étendre l’exigence légale à l’ensemble des contrats. Partant, c’est bien de la combinaison des articles 1134, 1129 et 1591 du Code civil que la jurisprudence a pu déduire la prohibition d’une détermination unilatérale de l’objet de l’obligation. 498. Le revirement progressif. La prise de conscience de l’influence de l’évolution des circonstances sur les contrats de longue durée a cependant contraint la jurisprudence à relativiser cette prohibition. Afin de permettre au contrat de produire durablement et efficacement ses effets, la jurisprudence a ainsi progressivement assoupli l’exigence d’un prix déterminé lors de la conclusion du contrat. Tout d’abord, elle a accepté qu’un prix de vente puisse être, non plus déterminé, mais seulement déterminable en fonction d’éléments objectifs indépendants des parties1842. Par la suite, cette interprétation souple et réaliste de l’article 1591 du Code civil a bénéficié au contrat de bail1843, de location de chose1844, de travail1845, d’assurance1846 et de prêt à intérêt1847. Puis, dans les années 1970, la jurisprudence a franchi une nouvelle étape en écartant l’exigence de détermination ou de déterminabilité du prix pour le contrat d’entreprise1848, de commande d’art1849 et de mandat, considérant que le prix n’était pas un élément essentiel de ces contrats et ne pouvait de toute façon pas être déterminé ab initio. 

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