La nécessité de l’abolition du système pénal

La nécessité de l’abolition du système pénal

L’adage veut que la liberté soit le principe, les restrictions, l’exception. Le droit pénal est une exception au principe de la liberté, du point de vue de la défense. Cependant, il est conçu comme une exception nécessaire et proportionnée. Nécessaire car il représenterait le dernier garant de la sécurité de la société et de la protection de l’ordre public. Si le système pénal n’est pas nécessaire, il ne peut être juste, puisqu’il s’oppose aux droits fondamentaux43. Les restrictions aux libertés individuelles doivent par ailleurs être proportionnées. C’est donc d’abord l’utilité du système pénal qui doit être déconstruite (Chapitre 1). La critique sera ici d’ordre épistémologique. Il s’agira de démontrer « que ce que le système ou l’organisation considère comme étant, en réalité, n’est pas »44, en s’attaquant aux fondements du savoir pénal. En outre, le système pénal ne répond pas aux objectifs qu’il s’est fixé. Il s’agira d’une seconde critique centrée sur les « incidences sur le plan socio-politique »45 du système pénal. Celui-ci ne réussit pas à régler efficacement les conflits, tout en préservant les intérêts de la victime et de l’auteur de l’infraction. Qu’elle que soit l’issue du procès pénal, les parties demeurent, en général, insatisfaites. De surcroît, les peines, et particulièrement l’emprisonnement, ne parviennent pas à endiguer la criminalité, comme en témoignent les taux élevés de récidive. La détention et la réclusion créent énormément de souffrances chez les détenus, sans pour autant réussir à remplir leur fonction de resocialisation, et d’amendement du condamné. En un mot, le système pénal paraît inefficace (Chapitre 2). Chapitre 1 : L’inutilité du système pénal Certains comportements pourtant criminalisables ne le seront jamais, faute de dénonciation de la part des victimes, qui peuvent même ne pas se considérer comme telles. L’existence d’un chiffre noir dans les statistiques de la criminalité prouve que le droit pénal n’est pas une réponse nécessaire à la criminalité. Par ailleurs, il n’est pas prouvable que le droit pénal joue réellement un rôle d’intimidation des populations. Dès lors, le système pénal ne remplit pas ses deux fonctions principales : prévenir et punir les crimes (Section 2). Il ne peut donc être jugé nécessaire au regard de ces points.  La nécessité de l’abolition du système pénal 12 De surcroît, les fondements du droit pénal ne permettent pas de justifier le maintien du système pénal. Sur le plan de la philosophie du droit, le monopole étatique du droit de punir peut être remis en cause. Au regard de la science juridique, les critères actuels de mise en œuvre du droit pénal ne semblent pas convaincants. Il s’agira donc de constater en quoi le droit pénal repose sur des fondations instables (Section 1). 

Les fondations instables du droit pénal

Le monopole étatique en matière de comportement indésirable est présenté comme allant de soi, pourtant il n’en est rien (§1). De même, les définitions édictées par le droit pénal, et plus particulièrement par la doctrine, sont artificielles (§2).

Le manque de légitimité du droit pénal

L’abolition du système pénal dépend de la critique des critères légitimant le recours au droit pénal. Ce dernier s’est construit tout un vocabulaire juridique et philosophique qui lui permet justifier son existence et son maintien. Il s’agit de la notion de crime, du critère de gravité, et du critère de dangerosité. Dans une logique abolitionniste académique, il faut se défaire de l’ensemble du « dialecte pénal »

Absence de définition ontologique du crime

Fonder une critique sur l’ontologie revient à dire que l’objet critiqué n’est pas en soi, qu’il est défini arbitrairement. Certains auteurs considèrent qu’il existe des crimes universels qui reposent sur la violation du droit naturel. Il ne s’agit que d’un postulat. Empiriquement, il est impossible de trouver un crime qui soit universellement criminalisé. Nous ne retiendrons donc pas cette théorie. À l’inverse, la relativité de la définition des crimes doit être soulignée. Ce qui est désigné comme un crime au sens large varie d’un pays à l’autre, d’une culture à une autre, voire d’une époque à une autre. À titre d’exemple, alors que l’homosexualité souffrait de discriminations pénales jusqu’en 1982, c’est à présent l’homophobie qui constitue un délit. Ce n’est donc pas la nature intrinsèque de l’acte qui en fait un crime. Un même acte pourra être interdit, toléré, accepté, voire encouragé selon le contexte47. Tel est le cas du fait de tuer, puni sévèrement en temps normal, encensé en temps de guerre.  Comme le remarquent Louk Hulsman et Jacqueline Bernat de Célis48, il n’existe pas de dénominateur commun entre un meurtre, les violences familiales, le vol d’un commerçant et le recel de fausse monnaie, que ce soit dans les mobiles, dans la façon de les prévenir, ou dans les réactions du système pénal. Durkheim relevait déjà que nous appelons crime « tout acte qui, à un degré quelconque, détermine contre son auteur cette réaction caractéristique que l’on nomme la peine »49. Le lien entre ces faits est artificiel. Est un crime un comportement qui relève de la compétence formelle du système de justice criminelle. Le crime n’est donc qu’un concept applicable à certaines situations sociales où il est dans l’intérêt des parties de l’appliquer50. Le comportement est donc défini comme crime selon une « décision humaine modifiable »51. En l’absence de contenu au concept de crime, « la décision de qualifier ou de ne pas qualifier un comportement de criminel devient une option, c’est-à-dire une responsabilité humaine »52. Il n’y a donc pas de « réalité ontologique du crime »53, c’est-à-dire que le crime n’est pas en lui-même, il ne repose que sur une qualification humaine, il n’existe que par le biais de la loi pénale. 2. Non pertinence du critère de gravité : Confronté à la relativité du concept de crime, il serait tentant de définir le crime en fonction de la gravité des comportements criminalisés. Le critère de gravité détermine la compétence du système pénal. Le droit pénal est admis en tant que ultima ratio, ce qui signifie qu’il ne doit intervenir que pour les comportements particulièrement graves et nuisibles à la société. Le critère de la gravité est aussi mobilisé pour déterminer l’arithmétique des peines. Les infractions sont classées en fonction de leur gravité, et à l’intérieur de ces classifications, le quantum de la peine est fixé proportionnellement à la gravité du crime ou délit. Le critère de la gravité est lui aussi relatif. Selon Hulsman et Bernat de Célis 54, un acte serait grave si le préjudice qu’il entraîne était élevé, si l’auteur de l’acte avait l’intention de nuire. La gravité est appréciée par rapport à des critères extérieurs, tels que l’intensité du préjudice, le risque provoqué par le comportement, et à des éléments intérieurs, comme l’intention de nuire, et la culpabilité subjective. Encore une fois, il s’agit d’éléments hétérogènes, qui ne donnent pas en eux-mêmes de définition de ce qu’est un acte grave et  indésirable pour la société. Ces aspects n’indiquent en rien que le droit pénal doive être mobilisé, pas plus que la punition prononcée, ni comment prévenir ces comportements. Proportionner la peine et la souffrance causée au condamné sur ces paramètres constitue alors un non-sens 55. Par ailleurs, le droit pénal englobe des actes qui, intuitivement, ne semblent pas graves. Ainsi, le vol dans un supermarché ne cause pas de souffrances à une victime, et viole modérément le droit à la propriété. À l’inverse, un licenciement cause plus de souffrances et peut avoir des conséquences bien plus tragiques pour un individu que le vol. Pourtant, comme le relève Margaux Coquet56, le second comportement ne relève pas du droit pénal. De la même façon, de nombreux auteurs se demandent quel est le comportement le plus grave entre celui d’un voleur, et celui d’un pollueur à l’échelle locale ou nationale. Le second demeure néanmoins en grande partie impuni. Margaux Coquet s’interroge d’ailleurs ; le droit pénal pourrait-il contrer les chagrins d’amour, parfois particulièrement destructeurs ? Cet exemple démontre bien la faille qui réside dans l’appréciation de la gravité. La gravité est relative, subjective. On ne peut déterminer le degré minimal de gravité nécessaire à la criminalisation d’un comportement, pas plus que le degré maximal. Encore une fois, la gravité ne procède donc que d’un choix humain légèrement arbitraire de criminaliser certains comportements. Il est difficile de se fonder sur la gravité car cela supposerait que tous les comportements relevant de la compétence formelle pénale soient fortement indésirables, et que tout ce qui est fortement indésirable doive relever du pénal, or ce n’est pas le cas57. Ce serait de plus particulièrement dangereux et répressif. L’adéquation entre la peine et le crime n’est pas une science exacte, il n’y a pas d’arithmétique possible. Dès lors, Margaux Coquet58 relève que la peine ne peut être de nature à éveiller chez les délinquants une volonté d’obéir. La peine serait même injuste, en ce qu’elle ne repose que sur une appréciation arbitraire de la gravité d’un acte. Dans une conception hobbesienne, il s’agit d’un acte d’hostilité en ce qu’il viserait à la destruction et non au redressement de l’individu. Le critère de la gravité ne peut donc fonder la légitimité du système pénal.

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