La pérennité du rôle des courtiers dans l’organisation des marchés d’affrètement

La pérennité du rôle des courtiers dans l’organisation des marchés d’affrètement

Les activités de courtage sont basées sur la capacité de mise en relation d’agents économiques, dans le but de garantir un accès à des biens, des services ou de l’information. Au sens général, le courtier est un prestataire de services, un mandataire qui assume un rôle d’intermédiaire entre plusieurs entités (Devésa 1992) aux intérêts parfois divergents. C’est un facilitateur de la dynamique des échanges car il permet d’établir, de faire fructifier et d’entretenir une connexion entre les différentes parties en présence. Dans ce cadre, le courtier utilise ses connaissances et son expertise du secteur pour mettre en relation différents acteurs, contre rémunération. Il est en quelque sorte l’interface qui agence une coordination marchande entre deux mondes professionnels (Boissin et Trompette 2017) ici entre le secteur industriel et le secteur du transport maritime qui n’ont pas les mêmes intérêts et/ou codes langagiers. Le succès d’une opération de courtage repose donc sur la capacité du courtier à réduire les divergences et les incompréhensions réciproques des acteurs vers une issue, jugée mutuellement profitable par tous. L’opération de courtage, mieux connue sous l’appellation « brokerage », désigne un spectre d’activités professionnelles bien plus large que celles exercées par les seuls courtiers d’affrètement maritime. Le courtage est une pratique très répandue dans plusieurs secteurs de l’assurance et de la finance, même si cette activité s’est développée dans d’autres secteurs, tels que l’immobilier ou les marchandises. Le terme de courtage, au sens large, fait consensus dans le langage courant comme étant une opération intermédiée de mise en relation entre deux personnes qui souhaitent contracter ensemble en contrepartie d’une rémunération que le courtier reçoit sous forme d’une commission. Il convient cependant de distinguer l’activité de courtage de celle du négoce, largement évoquée dans la partie précédente. Le négociant est celui qui achète à un producteur dans la perspective de revendre ensuite à un client. Ce faisant, il encourt un grand nombre de risques (fluctuation des taux de change, du fret ou encore de l’assurance…). Le négociant réduit le plus souvent ses coûts par l’exercice d’un pouvoir de marché La pérennité du rôle des courtiers dans l’organisation des marchés d’affrètement 132 qui pèse sur le vendeur durant la négociation d’achat (Chandler 1977 ; Dunning 1983) ou par le recours historique à des contrats à terme (Williams 1982, 1989)59. La prestation du courtier est clairement différente, puisque celui-ci est un mandataire, c’est-à-dire qu’il a reçu un mandat de la part de ses clients pour accomplir à leurs places et en leur nom, la négociation de la prestation de transport. Par conséquent, si cette « procuration » lui permet de conduire les négociations, elle ne fait pas du courtier d’affrètement maritime le propriétaire du bien ou du service en jeu dans la négociation. De la même manière, juridiquement parlant, la responsabilité du courtier ne peut pas être engagée en cas d’inexécution du contrat par l’une ou l’autre des parties en présence.

Une profession organisée de longue date et libéralisée

Certains offices ont disparu, c’est le cas notamment des courtiers maritimes, d’autres ont été profondément réformés sans disparaître comme les offices notariaux ou encore les huissiers de justice. Les courtiers maritimes, tout comme d’autres officiers ministériels de cette époque, présentent de fortes similitudes. Ils ont été, comme les autres grands corps des officiers ministériels (Mathieu-Fritz et Quemin 2009) largement impactés par les mouvements de libéralisation, intervenus à la fin du XXème siècle. 

Une charge royale

Prenant ses racines sous la monarchie absolue par l’édit de décembre 1657, le monde du courtage maritime voit le jour devant la nécessité de porter assistance aux capitaines de navires étrangers ne parlant pas la langue locale et ne connaissant pas 135 nécessairement la topographie du port dans lequel ils prévoyaient de faire escale. Cet édit est le premier à apporter une définition professionnelle de l’activité de courtage maritime. « Tout maître ou capitaine de navire étranger, qui ignore la langue du pays où il vient commercer, a besoin d’un interprète pour se faire entendre et pour faire, dans les bureaux, les déclarations auxquelles il est tenu. D’un autre côté, qu’il sache la langue du pays, mais qu’il ignore, faute d’habitude du lieu, les usages des bureaux, les formalités à observer et les moyens de se procurer une prompte et sûre expédition, qu’il ne puisse pas enfin ou qu’il ne veuille pas se charger de ce détail, il a besoin d’un courtier conducteur pour 1’introduire et le guider dans toutes ces opérations. (Clamageran 1958, p. 290) ». Interpréter et traduire sont les deux activités principales sur lesquelles s’est construit le capital économique et symbolique (Bourdieu 1979) de cette profession. Le Roi Louis XIV décrète, en outre, l’avènement de deux offices de courtier maritime dans chaque amirauté du royaume. Le premier office est attribué en tant que titulaire d’une charge de courtier interprète, le deuxième en tant que titulaire d’une charge de conducteur des maîtres de navires. Cette charge sera, par la suite, renforcée par d’autres textes fondateurs qui vont plus largement structurer et réglementer le commerce et la marine marchande. Le plus célèbre est, sans nul doute, l’ordonnance de la marine de 1681, appelée également ordonnance de Colbert, en référence à l’influence, sans précédent, que le ministre du roi a eu sur la politique maritime française.

Officier ministériel et commerçant

Officier ministériel est un terme juridique précis. Ceux qui accèdent à cette fonction deviennent, de fait, des représentants de l’autorité publique. Leur nomination s’accompagne d’un office, on peut également employer le terme de « charge », accordée à vie et constituante d’un patrimoine pour celui qui la détient. A ce titre, l’officier ministériel a la possibilité, sous conditions, de pouvoir transmettre ce patrimoine. A la différence d’autres corps de l’État, il présente la singularité d’être catégorisé comme correspondant à des travailleurs indépendants, au sens de professionnels libéraux. Malgré tout, leur statut d’officier ministériel est déterminé par les pouvoirs publics, comme pour les autres corps de l’État. Ce dernier rend compte avec précision du niveau de qualification exigible pour prétendre au statut ainsi qu’à la nature de leurs missions et du niveau de leurs rémunérations. Il y figure notamment la délimitation du monopole du point de vue géographique et institutionnel. La pluralité des activités du courtier maritime est particulièrement bien explicitée dans l’article de Lucien Guillou (1918) qui retrace les opérations d’un courtier maritime lorientais au milieu du XVIIIème siècle : « Comme courtier maritime, Vanderheyde a en mains les intérêts des capitaines, des armateurs et des chargeurs. Il accompagne le capitaine dans les bureaux, le met en règle avec le fisc 138 et l’amirauté, assure au navire une prompte décharge, consent des avances, achète des provisions, réclame la protection du consul, fait débarquer les marins qui se conduisent mal, etc. Il rend, en un mot, au capitaine tous les services dont il a besoin. » Il est intéressant de constater que la dimension prudentielle du courtier maritime est déjà bien identifiée à cette époque « Intermédiaire de tous, le courtier est bien placé pour aplanir les difficultés. (Ibid p. 24) ». Ainsi le courtier maritime a un double statut, il est à la fois officier ministériel et commerçant (Raffard de Brienne 1954, p. 823). Ces deux points sont, par ailleurs, explicités dans le rapport de 1952 émis par le Centre d’études d’Intérêt Public de Rouen et de sa Région : « Il est officier ministériel et, à ce titre, est nommé par le Président de la République, achètera charge, et peut choisir son successeur, lorsqu’il assure la conduite en douane des navires étrangers ou qu’il traduit devant les tribunaux ou les administrations publiques, les documents rédigés en langue étrangère. Il est commerçant et, à ce titre, astreint à la patente et à l’impôt sur les B. I. C62, est électeur et éligible aux chambres et tribunaux de commerce. Il a la même qualité lorsqu’il assume la représentation de l’armateur, l’encaissement du fret, l’établissement du time-sheet, lorsqu’il communique avec l’armateur ou ses agents pour les tenir au courant de la position du navire, qu’il établit les comptes d’escale ». 

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