La période de retour du risque de défaillance d’un aménagement hydrologique

La période de retour du risque de défaillance  d’un aménagement hydrologique : une variable à risque ?

Concepts de base

Soit X une variable aléatoire pouvant prendre, suivant un processus temporel (ou chronologique) d’apparition, une valeur x sur son domaine de variation {xm ;xM}. Soit Dx la probabilité de dépassement d’une valeur x particulière, probabilité résultant, théoriquement, de la « fonction de distribution » des probabilités de X. La période de retour T de la variable X répond à :

Prob [X ≥ x] = Dx et T = 1/Dx (eq.1)

T est la durée « moyenne » séparant deux réalisations successives de X ≥ x dans le processus aléatoire d’apparition dans le temps de la variable X. Elle s’exprime, ainsi, en unités de temps correspondant à la distance temporelle moyenne entre deux apparitions de la variable X au cours du processus temporel. Pour illustrer le propos, imaginons une durée d’observation de N années au cours desquelles on a observé n réalisations telles que X ≥ x (n pouvant être > ou < à N) on obtiendrait T, par exemple en années, unité usuelle de comptabilité du temps, en multipliant 1/Dx par N/n.

Périodes de retour théorique et empirique

Si le « jeu » de probabilité à l’origine de la variable X est connu (fonction densité de probabilité f(x) et processus d’apparition temporel) alors la période de retour peut se déduire théoriquement de l’équation 1 ci-dessus. Pour les variables « naturelles » supposées aléatoires, comme de nombreuses variables hydrologiques (pluies, débits, neige, vent etc…), le jeu de probabilité supposé à l’origine de ces variables est quasiment inconnu. Le caractère aléatoire masque en fait notre incapacité plus ou moins totale à inscrire l’apparition de ces variables dans des processus déterministes (de causes à effet). Le traitement probabiliste de ces variables ne peut donc se faire que par l’évaluation de leurs probabilités d’occurrence, ou de leurs périodes de retour, et relève de l’estimation statistique qui doit satisfaire à la théorie de l’inférence statistique, c’est-à-dire à la théorie de l’échantillonnage. Cette théorie comporte un certain nombre de règles de base auxquelles doit satisfaire la prise d’échantillons, notamment, par exemple :

– la stationnarité (invariance) du (ou des) processus de génération des variables (pas de « changement climatique » par exemple durant l’échantillonnage, pas de modifications de l’occupation des sols (urbanisation, déforestations, etc.) d’une unité hydrologique pendant l’échantillonnage, etc.).
– la stationnarité du mode de prise d’échantillons et du mode de mesure des variables (pas de changement des sites et des dispositifs de mesure durant l’échantillonnage).
– l’indépendance stochastique de deux valeurs successives de la série chronologique d’observation (ce qui n’est pas le cas par exemple des hauteurs de pluies successives sur une durée dt inférieure à 12 à 24 h (phénomène de « persistance »)).L’approche empirique conduit alors à une estimation de la période de retour T soit :Tes = Tv + ε(T) (eq.2) dans laquelle Tes est la valeur estimée à partir de l’échantillonnage, Tv la vraie valeur de T et ε(T) un résidu aléatoire dont la distribution est généralement inconnue dans la mesure où la distribution de la variable X est également inconnue. L’estimation de l’équation 2 tend vers la vraie valeur T lorsque la taille de l’échantillon tend vers l’infini (loi des grands nombres).La durée des séries d’observation des variables hydrologiques étant nécessairement limitée (rarement supérieure à la centaine d’années en général), l’estimation de la période de retour d’une valeur particulière de ces variables sera, en général, d’autant moins précise que cette valeur sera plus rarement atteinte ou dépassée dans la série des observations. Ceci est d’autant plus vrai qu’il n’est pas toujours facile de s’assurer de la stationnarité du mode d’échantillonnage sur des durées longues au cours desquelles les appareils, les modes opératoires, les sites de mesure, ont pu connaître diverses modifications (station de jaugeage d’un cours d’eau modifiée par des crues successives, environnement d’un pluviomètre ou pluviographe modifié par des constructions ou la poussée de la végétation, modification des appareils de mesure ou des méthodes de jaugeage, etc…)

L’évaluation empirique de la période de retour d’une variable hydrologique supposée aléatoire repose sur le dénombrement à partir des séries chronologiques observées de cette variable : hauteur de pluie sur une durée donnée, intensité maximale moyenne sur une durée donnée, débit de pointe d’un hydrogramme de crue, volume de crue sur une durée donnée. Les exemples ci-dessus sont proposés pour rappeler un point important, source de confusion possible dans le traitement des données hydrologiques. On notera, en effet, que la notion de période de retour suppose une relation d’ordre (≥ à) (eq. 1) et donc une variable unique dûment identifiée. Elle ne peut s’appliquer simplement, par exemple, à un processus stochastique temporel comme celui rencontré dans l’analyse des hauteurs de pluie successives sur une durée dt donnée. « La pluie ou la crue de période de retour T » n’ont donc pas de sens entendu comme la réalisation d’un processus i(t) ou h(t) (intensité ou hauteur de pluie variant en fonction du temps au sein d’un « événement » ou « épisode » pluvieux ou débimétrique). Elle n’a de sens, au regard de l’équation 1, qu’au travers d’une variable identifiée, indépendante du temps et correspondant par exemple à la hauteur maximale de pluie sur une durée ∆t au sein d’un événement, ou au débit maximal d’une crue, etc.

Supposons une variable hydrologique X observée n fois au cours de N années. Ce sera par exemple la hauteur de pluie d’un mois particulier auquel cas n sera égal à N. Ou encore la hauteur maximale de pluie en 1 heure observée au sein d’un « événement pluvieux ». Dans ce cas n, nombre d’épisodes, pourra être très supérieur à N. Si la hauteur de pluie mensuelle ne pose pas de problème de définition, si ce n’est pour les pluies se produisant le dernier jour du mois précédent et se poursuivant le premier jour du mois, de même que celle se produisant le dernier jour et se poursuivant le premier jour du mois suivant, il n’en va pas de même pour la définition d’un « épisode pluvieux » qui peut répondre à une certaine subjectivité. La détermination de la période de retour d’une valeur particulière de la variable X découle du classement par ordre décroissant des valeurs observées. Soit j le rang de classement d’une valeur particulière, la fréquence empirique de dépassement pourrait répondre à :
Dj = j/n (eq.3)
Au demeurant, la formule 3 implique que la plus petite valeur de rang n serait toujours dépassée (Dn = 1). De la même façon, si l’on réalise un classement par ordre croissant la fréquence empirique (de non dépassement cette fois) pour le rang j devient :
Fj = j/n = Prob [X ≤ xj] = 1 – Dj (eq.4)
et donc pour la valeur de rang n, la plus grande, Fn = 1 et donc Dn = 0 qui signifie que cette valeur ne pourrait être dépassée. Pour contourner les difficultés résultant de l’emploi des équations 3 et 4, diverses formules de calcul des fréquences empiriques ont pu être proposées, comme, par exemple :
Dj = j /(n +1) (eq.5)
De même, le recours à la théorie de l’échantillonnage, permet de déterminer l’estimation des fréquences empiriques d’échantillons tirés d’une population mère dont la fonction de distribution serait connue. Une formule générale peut être :
Dj = (j – α) /( n + β) (eq.6)
dans laquelle α dépend de la nature de la fonction de distribution. Ainsi, pour des fonctions de distribution à comportement exponentiel utilise-t-on la formule de Hazen dans laquelle α est égal à 0,5 et β = 0. Les formules 3, 5 ou 6 conduisent donc à des valeurs de T qui peuvent être sensiblement différentes selon le rang j de la valeur classée et la taille de l’échantillon. Supposons 100 observations au cours d’une durée de 50 ans soit en moyenne 2 événements par an. L’équation 3 donne pour j = 1, 2, 50 et 100 :
j = 1, D1 = 1/100 et T1 = 1/D1 = 100 unités de 50/100 années (ou 6 mois) soit en années
T1(ans) = (100/1) . (50/100) = 50 ans
j = 2 → T2 = (100/2) . (50/100) = 25 ans
j = 50 → T50 = (100/50) . (50/100) = 1 an
j = 100 → T100 = (100/100) . (50/100) = 0,5 an = 6 mois
De même l’équation 5 conduit-elle à :
j = 1, T = 50,5 ans ; j = 2, T = 25,25 ; j = 50 , T = 1,01 an ; j = 100, T = 0,505 ans = 6,06 mois

et l’équation 6 pour α = 0,5 et β = 0 :

j = 1, T = 100 ans ; j = 2, T = 33,3 ans ;  j = 50, T = 1,11 an ; j = 100, T = 0,5025 = 6,03 mois.

La formule empirique retenue peut donc avoir une incidence non négligeable sur l’estimation de la période de retour empirique d’une variable hydrologique, en particulier pour les valeurs les plus élevées.

Incertitudes hydrologiques et fluctuations d’échantillonnage

Les données hydrologiques de base comme les précipitations ont longtemps été partielles, incomplètes et de durées d’observation réduites. Leurs traitements en vue de l’obtention de variables de projet de période de retour donnée sont donc incertains et liés à la « représentativité » ou « vraisemblance » des séries observées au regard de la population mère à laquelle ces données hydrologiques sont supposées appartenir. Les jeux probabilistes à l’origine de ces données étant inconnus, les traitements statistiques reposent sur des hypothèses de leur appartenance à une population dont les caractéristiques statistiques seraient connues. Les traitements statistiques consistent alors à estimer, à partir des observations, les paramètres décrivant les populations mères auxquelles sont supposées appartenir ces observations. Ces estimations sont entachées d’incertitudes et conduisent à évaluer le degré de confiance que l’on peut leur accorder. La mesure des précipitations aux petites échelles de temps, par exemple, n’a débuté qu’à la fin du 19ème siècle. C’est ainsi qu’un premier pluviographe fut installé à l’Observatoire de Paris Montsouris en 1873. Cependant, pour la réalisation de l’Instruction Générale 1333 de 1949 pour les systèmes d’assainissement des agglomérations, l’ingénieur Grisollet ne s’appuya que sur la série 1927-1946, car, en 1927, on avait changé l’appareil initial… La formule de calcul du débit de ruissellement pluvial décennal de la CG 1333 n’était donc valable que pour les pluies de Paris observées sur une période assez courte de 20 ans. Or, suivant l’irrégularité du climat, les fluctuations naturelles d’échantillonnage des variables hydrologiques peuvent entraîner des incertitudes très significatives sur les estimations des périodes de retour de valeurs particulières de ces variables. Ainsi, la série de référence Montpellier Bel Air 1920-1971 compte peu de précipitations intenses bien qu’elle couvre une période  de 50 ans. Dans la décennie suivante 1972-1981 on a, au contraire, observé plusieurs pluies intenses (1979, 1980, 1981…). Ainsi, pour des durées de 30 minutes à 2 heures intéressant l’hydrologie urbaine, une hauteur de pluie de période de retour 30 ans sur 1921-1971 n’a plus qu’une période de retour de 10 ans sur la période 1921-1981… Les estimations des périodes de retour ont donc varié dans un rapport de 1 à 3. Certes, les hauteurs de pluies de même période de retour dans les deux séries varient dans des proportions beaucoup moins importantes (20 à 30 %).De même, la mesure des débits de crue des cours d’eau excède rarement la centaine d’années, voire moins pour des cours d’eau de petite taille. Ainsi pour le Lez, fleuve côtier méditerranéen traversant Montpellier, la première station de jaugeage a été installée en 1975. L’estimation de la crue centennale à Montpellier a, de ce fait, fortement fluctuée depuis cette date. Les dernières estimations ont d’ailleurs donné lieu à une controverse, la crue centennale étant estimée, selon les experts, à 750 ou 900 m3/s. Si l’on fait l’hypothèse que la crue centennale est bien de 900 m3/s cela signifierait que l’estimation à 750 aurait une période de retour de 46 ans environ, en supposant que les débits varient comme le logarithme de leur période de retour. A l’inverse, si la crue centennale devait être à 750, cela signifierait que l’estimation à 900, finalement retenue par les autorités, aurait une période de retour de 250 ans. La période de retour apparaît donc comme une variable peu fiable, car très liée aux fluctuations d’échantillonnage. Dans ce cas, pour une fluctuation de débit de 20%, la période de retour varie dans un rapport de 1 à 5.

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