La promotion du sport chez les personnes en situation de handicap

Partenaires du transfert technologique 

Rôle des entreprises L’innovation sportive est indispensable à l’amélioration des performances [Fuss et al., 2013]. Les fabricants des dispositifs technologiques façonnent et diffusent les objets de demain pour la pratique handi-sportive. Ils font la passerelle entre les idées issues du processus d’innovation et les consommateurs désireux d’utiliser les dernières technologies. Les entreprises doivent pouvoir concevoir des dispositifs rentables tout en convaincant à la fois le marché et les industriels de l’intérêt de leur produit. Un des problèmes majeurs des entreprises pour l’investissement dans le domaine du handicap et du handisport est la taille du marché qui n’est pas perçue comme rentable. Le coût des produits en lien avec le handicap est exceptionnellement élevé dû au micro-marché. Le marché du matériel spécialisé dans le handicap pourrait pourtant s’agrandir avec les indus-tries mécaniques. Par exemple, l’industrie automobile pourraient concevoir ou améliorer les dispositifs présents dans les fauteuils électriques (clignotants, sièges chauffants, élévateurs, caméra de recul, pneumatiques). Les investissements pourraient augmenter et la production serait à plus grande échelle, ce qui diminuerait les coûts du produit final. L’automatisation de la production semble toutefois une nécessité absolue dès lors que l’on souhaite casser les prix, aussi il est important d’avoir des ingénieurs de fabrication dans l’équipe dès la phase de conception. Autre exemple, les transformations des villes pour l’accessibilité du handicap moteur peuvent être coûteuses : une demande commune des personnes en fauteuil, des personnes âgées et des utilisateurs de poussettes peut favoriser l’installation d’ascenseurs adaptés dans les bâtiments publics. Le vieillissement de la population est un marché en pleine expansion appelé « marché de l’or gris ». Cent millions de séniors supplémentaires sont attendus dans le monde à l’horizon 2030, avec une augmentation des débouchés commerciaux à la clef [oxfamfrance.org]. Par exemple les prothèses et appareillages destinés aux séniors se sont développés, avec des prothèses auditives très performantes, des congélateurs à poignée à pression, ou encore des casques audio sans fil pour écouter la télévision sans gêner son entourage. Avec la société occidentale prônant le culte du corps sain, il est possible que l’augmentation du nombre de personnes âgées joue en faveur des personnes en situation de handicap. Avec la diminution de la stigmatisation sociétale du handicap et la mise en avant de la pratique handi-sportive, notamment en France via les Jeux de Paris 2024, il semble logique d’affirmer que les industriels vont s’emparer prochainement des questions du handi-sport. Des entreprises spécialisées dans les équipements ou les vêtements de sport, comme le Coq sportif, pourraient développer une gamme de produits pour personnes en situation de handicap (Fig. 2.9). Le développement de produits de première qualité pour les compétitions de haut niveau permet de construire différentes gammes de produits financièrement plus accessible au grand public, comme lors du développement du matériel handiski [Marcellini and Villoing, 2014, Noël, 2012]. Élargir et agrandir le marché permet d’industrialiser la production et ainsi de réduire le coût d’achat. La sortie du marché de niche qu’est le handicap permettrait dès lors de diminuer les coûts et d’augmenter le nombre de pratiquants sportifs. Une entreprise a comme défi de chercher des solutions techniques pour les besoins des consommateurs du marché qu’elle vise. Elle peut adopter différentes stratégies pour diffuser son innovation technologique : elle peut suivre le modèle de diffusion ou le modèle de l’intéressement. Le modèle de diffusion est l’introduction d’un dispositif innovant tel quel dans la société, sans étude socio-économique. Le dispositif se répand dans la société par contagion grâce à ses qualités intrinsèques, comme la diffusion du fauteuil roulant électrique. L’entreprise peut conserver l’intransigeance technique de son innovation si elle maîtrise le contexte socio-économique. Il faut en effet des ressources et de la patience pour diffuser des innovations complexes comme l’exosquelette. Le modèle de l’intéressement est pour sa part

LE TRANSFERT TECHNOLOGIQUE

Figure 2.9 – « Ce sont ses qualités intrinsèques qui servent ensuite à expliquer la plus ou moins grande vitesse de diffusion de l’innovation. Celle-ci, comme dans un phénomène épidémiologique, convainc de plus en plus d’utilisateurs potentiels ». [Mansfield, 1961] Illustration : Ateliers du coq sportif créé en 1885 et fabriquant de vêtements des équipes sportives françaises de haut niveau. un immense travail collectif, participatif et collaboratif. De nombreux alliés s’impliquent en mélangeant leurs savoirs-faire dans différents registres et adaptent activement l’innovation à l’environnement pour la rendre adoptable. Le domaine du handicap ayant autant de besoins différents que d’individus, la piste d’innovation à privilégier semble être le modèle de l’intéressement. Ainsi, comme pour le développement du fauteuil d’athlétisme, ces alliés font partie de différents secteurs dont la médecine, le sport, l’économie, la physique fondamentale ou encore les savoirs de la gestion et de la technologie. Ils peuvent être utilisateurs comme porte-parole, intermédiaires, membres de la direction, ouvriers, ou encore contremaîtres et ingénieurs débusquant les défauts pour adapter le dispositif à chaque athlète. Pour créer un dispositif innovant adapté au sportif en situation de handicap, les concepteurs se basent sur les objets existants afin de s’en démarquer ou s’en inspirer. Ils utilisent également d’autres points de vue implicites dont le leur et celui de leurs proches. L’avis d’experts du domaine est sollicité comme celui des spécialistes du handicap et des concepteurs d’outils adaptés, dont les ingénieurs de fabrication réfléchissant aux applications des dispositifs. Toutefois, les ingénieurs ont parfois tendance à sur-représenter l’usager au risque de le stigmatiser. Ils sollicitent en outre le point de vue explicite des usagers par des questionnaires sur le produit à venir, ou lors des retours de produit au service après-vente. Des enquêtes de marché ou de satisfaction en ligne sont envoyées directement aux usagers, comme lors de l’achat de prothèses auditives [Akrich, 2013]. Par exemple, le retour des perchistes est primordiale après un échec de leur matériel pour concevoir de nouvelles perches adaptées au sauteur (Fig. 2.10).

 FAUTEUIL ET SPORT

« L’innovation c’est l’art d’intéresser un nombre croissant d’alliés qui vous rendent de plus en plus fort » [Akrich et al., 1988]. Illustration : La perche du Cubain Lazaro Borges casse aux Jeux de Londres 2012. Le transfert d’un dispositif technique innovant à grande échelle est empli d’incertitudes, il change les habitudes et provoque une instabilité aux conséquences imprévisibles. Le timing des décisions, comme la présentation du bon dispositif sur le marché, est important. Par exemple les produits technologiques en lien avec le handicap devaient être invisible à une époque, or ils sont valorisés quelques décennies plus tard avec l’avènement des biotechnologies et de l’être humain « augmenté ». Les appareils auditifs peuvent se confondre avec les casques audios, tout comme les fauteuils roulants verticalisateurs avec les gyropodes. L’entreprise doit analyser et être à l’écoute du marché pour choisir quand et comment satisfaire la demande et les besoins de ces utilisateurs anonymes et variés. Pour questionner les utilisateurs, ou des intermédiaires les représentant, elle doit identifier correctement le public visé afin de le préparer au produit et obtenir des retours cohérents pour le réajuster si besoin

Rôle de l’État

L’État a différents rôles dans le transfert et la diffusion d’innovations technologiques en lien avec le handicap. Ils s’étendent de la promotion publicitaire pour convaincre la population des bienfaits des pratiques sportives à la mise en place d’un arsenal législatif garantissant la sécurité des usagers dans leurs pratiques. L’État créé également des évènements sportifs et instaure des dispositifs pour pousser chaque membre de la société à agir en faveur du handicap. L’État a depuis un siècle mis en avant l’intérêt et les aspects mélioratifs de la pratique sportive valorisés par la société. Comme la pratique sportive prévient des risques sanitaires, l’État fait en sorte de (re)construire et développer un comportement sportif durable dans le parcours de vie des individus. Pour cela l’État a un rôle communicatif sur le handisport auprès des différents membres de la société. Les campagnes d’informations de l’État permettent d’informer les individus d’une situation et de la mettre en avant de manière positive, comme présenter la semaine annuelle du handicap. L’État peut également aider à mettre en contact et maintenir le lien entre demandeurs et créateurs, comme par exemple animer des discussions entre organisateurs et associations pour inclure le handisport à un évènement sportif. En plus de valoriser l’image du handicap et de favoriser les interactions sur ce domaine, l’État met en place des politiques de développement des fédérations sportives axées sur le sport-santé. Ces fédérations doivent intéresser aux pratiques physiques traditionnelles et innovantes, adaptées selon les capacités physiques et les risques médicaux liés aux pathologies et à l’âge des pratiquants. Les fédérations doivent également tenir compte du parcours de soins, des besoins, des attentes mais également des ressources des pratiquants. Par exemple, une séance de sport peut être tout aussi efficace qu’une séance chez le professionnel de santé comme le kinésithérapeute avec un impact mélioratif supérieur, sauf que l’un est remboursé et l’autre non [Perrier and Perrin, 2017]. L’État peut investir pour favoriser la pratique sportive en la rendant accessible financièrement. Pour cela il peut mettre en place des subventions d’État ou encore développer le sport sur ordonnance chez les personnes atteintes d’affection longue durée (ALD). La prescription médicale d’une pratique sportive aux personnes atteintes de maladies chroniques par un médecin permet le remboursement total ou partiel par la Sécurité Sociale ou par certaines mutuelles. Ce dispositif permet aussi le remboursement générique partiel de certains matériels handisports, comme les fauteuils multi-sports et les tricycles, par les organismes de prise en charge si le fournisseur est formé, compétent et déclaré auprès de l’autorité compétente [handisport.org]. L’État peut également instaurer des avantages ou des pénalités financières auprès des entreprises pour les pousser à développer des gammes de produits adaptés aux handicaps, ou encore pour augmenter l’embauche des personnes en situation de handicap. L’État est entre autre garant des formations diplômantes existantes depuis la première promotion STAPS avec spécialisation « Réadaptation par le sport » de 1982, ainsi que de la réglementation et la nécessité d’homologation du matériel permettant de s’assurer de la sécurité des utilisateurs [Marcellini and Villoing, 2014]. Toutefois l’État ne peut créer des législations sans tenir compte des pratiques des individus. Par exemple une loi obligeant le port du casque à vélo, matériel sécurisant les pratiquants, doit prendre en compte la multiplication des accidents due à l’augmentation de la dangerosité des voitures. En effet, les automobilistes roulent plus vite auprès des cyclistes casqués car ils estiment qu’ils sont en sécurité, et par ailleurs les cyclistes les moins motivés reprennent la voiture par manque d’envie de s’équiper du casque. Une implication de l’État pourrait néanmoins leur permettre de réinvestir l’espace public en faisant appliquer et en développant les lois sur l’accessibilité. Par exemple, l’État peut obliger l’installation d’appareils destinés aux personnes en situation de handicap sur les parcours de santé existants. L’État peut également avoir son rôle à jouer en mettant en avant sur la scène internationale ses compétences en matière de savoir-faire technologique et de prise en charge des personnes en situation de handicap. La promotion et mise en valeur du handisport par l’État demande un investissement long terme et passe en effet par des facteurs évènementiels  visant l’innovation. Le soutien financier et la mise en avant par les États de compétitions internationales contribuent à améliorer l’image du handicap mais également à mettre en avant la technologie de pointe comme avec les Jeux Paralympiques. Les améliorations technologiques au profit de compétitions sportives paralympiques de haut niveau se propagent progressivement dans la société civile. Elles apportent un gain considérable au quotidien : par exemple la masse du fauteuil qui est passée de 40 Kg à 10 Kg en quelques décennies [Marcellini and Villoing, 2014]. La transformation du fauteuil d’athlétisme a permis de pousser les questions de l’aérodynamisme à son paroxysme, et donc de chercher à limiter la résistance au roulement de tous les fauteuils PMR (Personnes à Mobilité Réduite). Les transformations technologiques optimisent la relation entre l’athlète de haut niveau et son matériel de compétition dans une logique de performance. En effet, la performance prévaut au détriment du bien-être de l’athlète. L’innovation s’effectue en premier sur la masse et la stabilité du matériel, puis éventuellement sur le confort de l’athlète. Le risque de blessure est néanmoins toujours pris en compte pour ne pas pénaliser le travail. De nos jours, le matériel utilisé pour les courses d’athlétisme est en passe d’atteindre un optimum. La recherche utilise du matériel de pointe axé désormais sur le positionnement des athlètes, quitte à réduire leur confort. Organiser la recherche étatiquement, avec ou non des partenariats d’entreprises et des associations, permet d’éviter une évolution empirique de l’innovation sportive. Une alliance permet toutefois d’obtenir des résultats plus rapides, destinés directement au bon public. Les défiscalisations proposées par l’État permettent de pousser de grandes entreprises à l’investissement et à l’innovation du matériel sportif, comme EDF qui est un partenaire financier de l’équipe Française des Jeux Paralympiques.