La réflexivité dans la cognition humaine

La réflexivité dans la cognition humaine

Les processus de représentation et redescription

L’effet des processus réflexifs est de continuellement réarranger les structures cognitives afin de construire des représentations de plus en plus abstraites et de plus en plus flexibles. Cette capacité d’auto-modification à partir d’éléments internes est pour KarmiloffSmith (1992, 1994*) la marque de la cognition humaine : My claim in that specifically human way to gain knowledge is for the mind to exploit internally the information it has already stored (both innate and acquired), by redescribing its representations or, more precisely, by iteratively re-presenting in different representational formats what its internal representations represent48. Ainsi, Karmiloff-Smith distingue quatre niveaux de connaissance et de compréhension dont il n’est nécessaire ici de distinguer que deux grandes catégories. La première est la forme de connaissance que les humains partagent avec les autres animaux, bien que chaque espèce ait sans aucun doute sa propre version. Cette connaissance est implicite et procédurale. Elle est initialement élaborée à partir de caractères innés, puis se développe sur des données externes pour s’adapter au mieux à l’environnement dans des domaines particuliers. Par exemple, l’apprentissage d’un morceau de piano peut dans un premier temps être constitué de la mémorisation d’un acte sensorimoteur pur, qui englobe la performance comme un tout indivisible. À ce stade, le musicien n’a pas accès aux détails de la pièce et ne peut par exemple pas reprendre le morceau au milieu après une interruption. La connaissance est à ce stade purement procédurale. La deuxième forme de connaissance dérive de la redescription des connaissances au niveau procédural et aboutit à une connaissance explicite et consciente qui peut également être accessible verbalement. Par exemple, une fois un morceau maîtrisé du point de vue de l’exécution mécanique, le musicien peut s’intéresser à produire des nuances dans le jeu, étudier l’harmonie et prendre possession de manière plus fine des différentes parties du morceau. Ainsi, après avoir acquis une certaine maîtrise de la tâche sur laquelle porte la connaissance, une personne peut commencer à réfléchir sur les raisons de cette maîtrise et isoler les éléments sur lesquels la connaissance peut être approfondie. Le point défendu par l’auteur est que ce processus de réécriture, qui émerge d’une activité réflexive fondée sur l’observation de soi, constitue précisément le processus que nous appelons pensée.

Connaissance directe et connaissance réflexive

Un autre exemple de ce type d’approche est la position du psychologue Pierre Mounoud (cf. Mounoud 1995*), qui propose une théorie du développement consistant en une alternance de connaissance directe et de connaissance réflexive. Celui-ci qualifie la connaissance de directe lorsque celle-ci est adaptée à une certaine dimension de l’environnement ou lorsque les structures de connaissance sont adaptées aux catégories de problèmes rencontrés. Lorsque la connaissance est directe (ou lorsque les processus sont automatisés) le sujet n’a pas besoin de penser ou de réfléchir avant d’agir. Il y a un couplage direct entre le sujet et son environnement. En revanche, lorsque le sujet est confronté à un problème nouveau, celui-ci se trouve dans un état de déséquilibre. Il doit alors modifier ses structures ou ses réseaux (au sens neurologique du terme) pour en élaborer de nouveaux : During the elaboration of new structures to the new category of problems (or to similar problems but processed by new structures) subjects are in a state of desequilibrium. In humans these phases of desequilibrium manifest themselves by searching behaviors or exploratory activities which are associated with (what is usually called) « thought », « reflection », « explicitation processes » as well as by various states of consciousness and intentionality. The relationship between subject and environment becomes (in a certain way) « undirect » or « mediated ». In these cases I will suggest to qualify knowledge as reflexive. From my point of view reflexive knowledge is a transitory phenomenon. It is necessary as long as the subject is elaborating new structures or networks50. Ainsi, Mounoud, tout comme Karmiloff-Smith, place l’activité de connaissance réflexive au centre de l’élaboration du système de connaissance. Alors que Karmiloff-Smith 1992 se concentre sur les processus d’explicitation des représentations, tout en reconnaissant l’importance du mouvement contraire de « procéduralisation » voire de « modularisation », Mounoud insiste sur la transformation continuelle d’un savoir-faire (éventuellement inconscient) en un savoir-faire plus complexe au cours de phases de réorganisation réflexive pendant lesquelles le savoir-faire initial est explicité et manipulé. Ce savoir-faire plus complexe peut alors lui-même redevenir non explicite. Dans les deux cas, nous voyons que la réflexivité est le moteur d’une complexification croissante des représentations ou des savoirs-faire manipulés par les individus au cours de leur développement.

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