La restructuration impliquant un changement notable dans la situation du salarié

La restructuration impliquant un changement notable dans la situation du salarié

Selon l’article L. 1224-1 du Code du travail français, « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ». De même, au terme de l’article 49 du Code de travail libyen « 1- Lors d’une opération de restructuration, issue d’une dissolution, une liquidation, une faillite, une fusion, une cession ou un changement d’employeur pour quelque raison que ce soit, les contrats de travail en cours sont transférés automatiquement au repreneur ; 2- exceptés les cas de dissolution, de faillite et de fermeture définitive de l’entreprise, les contrats de travail à durée déterminée subsistent jusqu’au terme ; le nouveau et l’ancien employeur sont tenus pour responsables solidairement d’exécuter les obligations issues de ces contrats ». 417. Au plan communautaire, la directive 2001/23 du 12 mars 2002 définit les conditions dans lesquelles les droits des travailleurs sont maintenus en cas de transfert d’entreprise ou d’établissement. Ce texte ainsi que les interprétations du juge communautaire exercent une influence importante sur la jurisprudence française. L’application de ces règles nécessite que les conditions qu’elles prévoient soient réunies. Dans le cas contraire, le transfert des contrats de travail peut s’opérer hors de ce cadre, soit en application de la convention collective, soit par la volonté des parties au vue des dispositions pré-étudiées. 418. Les cas évoqués dans ces dispositions diffèrent donc de l’hypothèse de transfert de salariés d’une société à une autre étrangère à leur champ d’application tant qu’elle ne produit aucune modification statutaire dans l’entreprise initiale. Cependant, si l’activité à laquelle participait le salarié était elle-même modifiée – transférée ou disparue –, lesdites dispositions et d’autres doivent être appliquées. On n’est en l’occurrence plus en présence d’un contrat de travail transféré avec modification ou non, mais plutôt d’un changement dans la situation juridique de l’entreprise filiale, lequel emporte des effets importants sur le statut des salariés concernés. Cette modification peut, dans la pratique des groupes, revêtir plusieurs formes juridiques comme par exemple la cession totale ou partielle de l’activité de la filiale, la mise en société, la fusion, la dissolution ou la transformation de la filiale. En d’autres termes, elle peut impliquer pour la filiale une cession totale ou partielle de son activité et de ses salariés, une dissolution de son statut juridique et ainsi une résiliation de ses contrats de travail, ou une transformation. 

Les droits des salariés en cas de cession de la filiale ou de son entité 

Conformément à une jurisprudence bien établie, l’article L. 1224-1, tel qu’interprété au regard de la directive communautaire, s’applique en cas de transfert d’une entité économique autonome dont l’activité est poursuivie ou reprise. C’est-à-dire un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre755. Pour une filiale, l’entité économique peut être une succursale, une agence, une usine ou une branche d’activité. Son autonomie doit être appréciée au regard de son objectif commercial, consistant en l’obtention des résultats spécifiques et des finalités propres. C’est une autonomie économique détachée de la personnalité juridique. Il importe à ce titre de distinguer la cession d’entité économique de celle de contrôle ou de participation que la société mère opère sur sa filiale. L’application desdites dispositions ne relève en effet que de la première, car le transfert de la filiale n’entraîne aucune modification dans la situation juridique de celle-ci qui garde son autonomie et ainsi son lien avec ses salariés.

La cession de filiale 

La cession de filiale constitue une cession de contrôle. Il s’agit de vente massive de droits sociaux détenus par la société mère, qui entraîne la prise de contrôle de la filiale par un tiers757. Autrement dit, cette opération induit un transfert massif des titres détenus par la société mère dans sa filiale au profit d’une société tierce. Elle implique à cet égard un changement de société contrôleuse et, conséquemment une modification dans la situation économique et administrative de la filiale. Dans une affaire relativement ancienne, la Cour de cassation758 définit la cession de filiale en déclarant que « s’il est vrai que la vente, régulièrement conclue entre particuliers, d’actions ou parts d’une société constitue, en règle générale, une opération d’ordre privé à laquelle les dispositions du code du travail ne sont pas applicables, il en va autrement dans le cas où la transmission négociée d’une partie du capital social est utilisée comme un moyen de placer la société qui exploite une entreprise sous la dépendance d’une autre société ; qu’une telle opération (…) équivaut dans l’ordre économique à la cession de l’entreprise elle-même». De même, à la différence des fusions qui entraînent la disparition de la société absorbée, la cession de filiale laisse subsister la personnalité juridique de celle-ci, assurant en conséquence la continuité de ses contrats de travail759. Elle n’implique pas de changement d’employeur pour les salariés760 : la société filiale reste toujours le seul employeur761. Dans cette logique la Chambre sociale de la Cour de cassation estime que «les dispositions des articles L. 122-12 du Code du travail (devenu C. trav. L. 1224-2) et L. 122-12-1 (C. trav. L.1224-2) ne s’appliquent pas en cas de changement de majorité dans la détention du capital social d’une personne morale762 ». En revanche, la cession de filiale peut assurer une grande souplesse dans l’orientation économique de l’activité de celle-ci par le cessionnaire. Elle est, à l’inverse, de cette façon susceptible de présenter pour les salariés un certain nombre d’inconvénients. D’une part, la filiale cédée peut perdre son indépendance juridique en raison de l’ingérence du cessionnaire, et ainsi faire l’objet de restructurations génératrices de suppressions d’emploi et d’abandons d’activité. D’autre part, les salariés participant au capital peuvent voir affaiblir la valeur de leurs titres à cause de l’entrée de leur société dans un groupe en difficulté. Il est en effet possible que les dirigeants de la filiale se trouvent obligés de sacrifier son intérêt particulier en vue de satisfaire l’intérêt commun du groupe, bien que la situation économique de l’ancien groupe fût saine. En troisième lieu, la société filiale peut passer du contrôle de sa mère à risque illimité à une autre société mère à risque limité, ce qui entraîne pour ses salariés la perte d’un gage important attaché au patrimoine de l’ancienne société mère. Il est en effet concevable que la cession ait lieu entre sociétés de formes différentes763. Ce problème peut également se rencontrer lorsque le passage du contrôle sur la filiale se fait d’une société mère française à une société mère étrangère. La différence de nationalité ne fait pas, en soi, obstacle à la cession. Dans de telles situations on doit se demander si les salariés de la filiale peuvent se protéger contre ces comportements préjudiciables. Au regard de la doctrine et la jurisprudence en vigueur, la protection est assurée au moyen de deux mécanismes juridiques : sont accordés un droit d’agir en responsabilité contre la société mère cédante, en vue d’invoquer un préjudice né de la cession, ainsi qu’un droit à l’information et à la consultation des représentants du personnel.

L’action en responsabilité dirigée contre la société mère cédante

Tout d’abord, il est à souligner que les cessions de contrôle ne sont pas soumises à un régime juridique d’ensemble particulier. Les conséquences économiques importantes qu’elles peuvent avoir « ont conduit les pouvoirs publics et les tribunaux à prendre des mesures ponctuelles afin d’éviter certains abus 764 ». En effet, il existe dans la jurisprudence une tendance constante à protéger les salariés de la filiale cédée lorsque le cessionnaire est en difficulté et que la société mère cédante est au courant de cette situation. Dans une affaire, la Cour de cassation765 a reproché à une Cour d’appel d’avoir dégagé la société mère cédante de sa responsabilité issue de la cession de sa filiale. Elle a déclaré en ce sens que «doit être cassé l’arrêt qui déclare irrecevable l’action de salariés employés par un repreneur à la suite de la cession d’une filiale de la société mère au motif que les fautes alléguées contre cette dernière étaient des fautes générales dans la gestion de la filiale, alors qu’ils invoquaient un préjudice né des conséquences de cette cession, particulier et distinct de celui éprouvé par l’ensemble des créanciers de la procédure collective766 ». 423. On peut également évoquer une autre affaire plus récente relative à une société mère ayant cédé sa filiale à une autre société en difficulté. Celle-ci, ne pouvant éviter la liquidation judiciaire, les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, ont saisi la responsabilité de la société mère cédante à l’égard des salariés de son ex-filiale, licenciés à cause de cette liquidation. La Cour de cassation a reconnu que les salariés d’une société liquidée peuvent retenir la responsabilité de l’ancienne société mère de leur employeur pour réparation d’un préjudice particulier767 . La question portait en l’occurrence sur le fondement de la responsabilité de la société mère qui n’était pas en lien avec les salariés licenciés. Ces derniers, victimes de la cession, sont en effet liés à la société filiale, et n’ont aucun rapport contractuel avec la mère, ni avant ni après la cession. Selon certains auteurs768, la responsabilité peut être recherchée à titre exceptionnel sous le fondement du droit commun (l’article 1382 du Code civil). La société mère a commis une faute lorsqu’elle a cédé sa filiale à une société ou à un groupe de sociétés en difficulté.

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