LA REVOLUTION IBRUTINIB

LA REVOLUTION IBRUTINIB

L’ibrutinib appartient à la famille des thérapies ciblées anticancéreuses orales en tant qu’inhibiteur spécifique et irréversible de la tyrosine kinase de Bruton (Btk). Cette dernière, membre des Tec kinases, joue un rôle central et précoce dans l’ensemble des voies de signalisation indispensables à la bonne fonction du récepteur des cellules B (BCR) ; principalement exprimé par les lymphocytes B (1). Le BCR intervenant dans la maturation, la survie, la prolifération et l’interaction avec le microenvironnement cellulaire, son rôle en physiologie et donc en pathologie humaine est central. Le modèle pathologique que représente l’agammaglobulinémie liée à l’X, ou maladie de Bruton, est le parfait exemple clinique du rôle de la Btk ; puisque les patients atteints de ce syndrome secondaire à une mutation constitutionnelle de la Btk, ne possèdent aucun lymphocyte B (2). Il est donc facile d’imaginer, qu’à l’inverse, un gain de fonction de la Btk serait à l’origine de processus lymphoprolifératifs B malins et/ou auto-immuns. Cette hypothèse sera logiquement confirmée et conduira à partir de 2010 au développement du PCI-32765, futur ibrutinib, dans le traitement des hémopathies B. Cette nouvelle molécule se révèlera être une puissante inhibitrice sélective et irréversible de la Btk, à l’origine d’une inhibition de la prolifération, maturation, interaction microenvironnementale et d’une apoptose lymphocytaire B majeure lors des premières études expérimentales in vitro puis in vivo sur modèles animaux (3, 4). Ces résultats encourageants conduiront à la mise en route d’essais cliniques deux ans plus tard. Les excellents résultats préliminaires seront ainsi confirmés dès les essais de phase 2 avec un taux de réponse de 68%, des médianes de survie globale et sans progression non atteintes (5) ainsi qu’un excellent profil de tolérance chez des patients en deuxième ligne thérapeutique d’un lymphome du manteau. L’ensemble de ces données conduira la FDA a accordé en 2013 le label de « Breakthrough Therapy Designation » ainsi que la mise sur le marché anticipée de la molécule (6). Les essais randomisés à grande échelle de phase 3 se révèleront tous, sans exception, concluants, affirmant ainsi le statut de l’ibrutinib comme véritable nouvelle   pierre angulaire du traitement des hémopathies B : The RESONATE trial (7) montrera ainsi dans le cadre de la leucémie lymphoïde chronique (LLC) un risque de progression ou de décès diminué de 78% en faveur de l’ibrutinib comparativement au traitement de référence, l’ofatumumab. L’ensemble des autres critères étudiés sera également très en faveur de l’ibrutinib avec notamment un taux de réponse de 43% vs 4%, et une supériorité encore plus nette parmi les formes au pronostic le plus péjoratif (délétion 17p13.1) ; le tout chez des patients en deuxième ligne thérapeutique. Burger and al (8) montreront un an plus tard la supériorité de la molécule chez les patients les plus fragiles (âgés de plus de 65 ans non éligibles au traitement conventionnel) en première ligne thérapeutique. Les essais relatifs aux lymphomes du manteau (9), de la zone marginale (10), aux maladies de Waldenström (11), du greffon contre l’hôte (12) aboutissant à des résultats équivalents ; l’utilisation de l’ibrutinib sera généralisée à l’ensemble des pathologies pré citées avec néanmoins des indications sensiblement différentes selon les régions du monde (13, 14). En France, la molécule est disponible en ATU de cohorte depuis 2014, pour une mise sur le marché définitive en Septembre 2017. Nous retiendrons que l’ibrutinib est indiqué par voie orale à vie (arrêt si progression ou effets indésirables non tolérables) en deuxième ligne de la LLC ou en première ligne en présence d’une délétion 17p13.1 à raison de 420 mg journaliers, ainsi qu’en deuxième ligne des lymphomes du manteau à la posologie de 560 mg par jour.

LA FACE CACHEE DE L’IBRUTINIB

A l’image de son étonnante efficacité, l’ibrutinib se distingue également par un profil de tolérance particulier, à l’origine des principales problématiques actuellement posées par le traitement : Initialement au vue des données des études de phase 2, la tolérance se voulait somme toute classique avec des effets indésirables principalement à type de diarrhées (49%), asthénie (32%), infections respiratoires (33%). La sécurité d’emploi semblait quant à elle assurée devant des toxicités principalement de grade 1 et 2 de la classification CTCAE (5, 16) . Ce n’est que deux ans plus tard, à l’occasion de la publication des premières études 4 de suivi à moyen terme que le risque hémorragique de l’ibrutinib était révélé (17). L’ibrutinib est en effet associé à un risque relatif d’évènements hémorragiques égal à 2.72 comparativement aux autres traitements chez des patients qui, rappelons le, ont intrinsèquement un risque hémorragique plus important que la population générale du fait de la thrombopathie secondaire à leur hémopathie (18). Cependant, bien que très fréquents (50% des patients concernés par des hémorragies de grade 1 ou 2), il n’existe pas de relation statistiquement significative entre la prise du traitement et la survenue de saignements majeurs. La relation est dose indépendante et l’ensemble des évènements survient précocement (au cours des six premiers mois de traitement). Le nombre de plaquettes ne semble pas être un facteur de risque indépendant de saignement sous ibrutinib (19). La sémiologie des saignements (principalement superficiels) est corrélée à la réalité biologique puisque les données fondamentales suggèrent que l’ibrutinib agit sur l’agrégation plaquettaire en inhibant la glycoprotéine VI, nécessaire à l’adhésion des thrombocytes et à leur réponse au collagène (20). L’ibrutinib est également associé à un risque de fibrillation atriale (FA). En effet, de façon similaire à ce qui a été décrit pour les saignements, les essais de phase 3 et leurs analyses post hoc ont mis en évidence un risque relatif de FA tous grades, imputable à l’ibrutinib égal à 8.81. Les épisodes de FA ou flutter dits majeurs (grade 3 ou plus) étaient quant à eux 3.80 plus fréquents chez les patients recevant la molécule (21, 22). Sur le plan physiopathologique, l’ibrutinib semble induire de la FA par inhibition de la voie de signalisation de la phosphoinositide 3-kinase-AKT (PI3K AKT), située en aval de la cascade moléculaire initiée par la Btk (23). La PI3KAKT joue un rôle protecteur myocardique en cas de situation de stress et son inhibition sur des modèles murins est responsable de cardiomyopathies dilatées caractérisées notamment par la survenue de FA, de fibrose et de dilatation atriales proportionnelles à l’importance de l’inhibition de la molécule de signalisation (24, 25). La pertinence clinique de l’arythmie, la gestion du rythme, de l’anticoagulation et les conséquences sur le pronostic général (cardiaque et oncologique) des patients sont bien entendus au centre des attentions. Deux types de travaux s’opposent à l’heure actuelle. D’une part, les analyses post hoc et de suivi à moyen terme des cohortes initialement incluses dans les essais de phase 3.

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