La santé mentale des migrants, recherche des clés pour une meilleure prise en charge en médecine générale

Prévalence de l’état de stress post-traumatique, dépression et anxiété chez les migrants

Il est difficile de définir des taux de prévalence des maladies mentales chez les réfugiés en raison d’une forte hétérogénéité des résultats due entre autres aux difficultés méthodologiques. Une méta-analyse réalisée en 2005 de 20 études dans 7 pays occidentaux différents comprenant 6743 migrants provenant de 4 régions, (Asie du sud-est, Moyen-Orient, ex-Yougoslavie et Amérique centrale) mettait en évidence des taux d’ESPT (Etat de Stress Post-Traumatique) à 9%, de dépression à 5% et d’anxiété généralisée à 4 %. Selon l’interprétation des auteurs la prévalence de l’ESPT chez les réfugiés pourrait être 10 fois supérieure à celle des populations occidentales. La revue de littérature de Steel Z & al de 20095 montre une prévalence selon les études aux méthodologies fiables allant de 13% à 25% pour l’ESPT.
En France, plus récemment, une étude a été réalisée sur 17836 personnes ayant consulté dans les centres de santé du COMEDE (Comité Médical pour les Exilés) entre 2004 et 2010. Le taux de prévalence des psycho-traumatismes à la première consultation était de 11,2% avec plus de 60% des patients ayant subi des violences. Également, d’après le rapport de 2018 de MDM , un trouble d’ordre psychologique était retrouvé chez 8,6 % des patients consultant dans les CASO (Centres d’Accueil de Soin et d’Orientation) et chez 13% des seuls demandeurs d’asile. Les patients présentaient majoritairement des syndromes anxieux, du stress, des troubles psychosomatiques (à hauteur de 6.5%), des syndromes dépressifs (1,3%). Il semble probable selon les rapporteurs que ces troubles psychologiques étaient sous évalués en raison des barrières linguistiques et culturelles et de la forte capacité des migrants à ne pas laisser paraître leur souffrance. En comparaison, selon l’enquête de santé mentale en population générale réalisée en France entre 1999 et 2003, la prévalence de l’ESPT était de 0,7%.

Quel outil utiliser en routine en médecine générale ?

Devant le manque d’outils fiables et valides Dowling, Enticott, et Russell défendent la nécessité que des recommandations claires voient le jour pour la conception et le test des outils psychométriques à destination des réfugiés.
C’est également le constat de Rasmussen et Jayawickreme, ils donnent des pistes pour que les chercheurs améliorent les futurs outils psychométriques :
Identifier les problèmes principaux de la population cible et sélectionner des outils de mesure de détresse psychologique existants, faciles d’utilisation, concis et avec une bonne validité etfiabilité.
Réaliser des mesures d’invariabilité de la traduction des outils (le concept théorique étudié doit être évalué de la même manière après traduction). Classiquement un outil doit être traduit puis rétro-traduit à l’aveugle par un deuxième expert.
Tester la validité dans la population cible des nouveaux modèles diagnostiques (par exemple la validité des nouveaux critères diagnostiques de l’état de stress post-traumatique du DSM-V). Définir pour l’outil un «cut-off» spécifique à chaque population pour l’identification de troubles cliniquement significatifs.
Etablir la validité des mesures de « bien-être » développées en Europe et aux Etats-Unis, dans des populations spécifiques.
Utiliser de nouvelles méthodes statistiques en situation de désastre humanitaire pour identifier les individus en état de détresse mentale cliniquement significative.

Quelles applications pratiques des concepts culturels de détresse ?

Bredström cite Kirmayer and Minas qui déclarent que la recherche a montré comment les symptômes peuvent varier entre les cultures mais aussi la manière dont les troubles psychiatriques y sont compris, ils notent l’importance des aspects culturels dans la relation médecin-patient. Elle cite également Alarcón et al qui supposent que le contexte culturel pourrait être à l’origine de sources spécifiques de détresse et pourrait affecter les comorbidités et la sévérité de certaines maladies. Kohrt et al pensent qu’il faut éviter d’homogénéiser ces concepts culturels de détresses aux troubles psychiatriques existants, leur faisant alors perdre leur modèle étiologique et facteurs de risques propres. Pour Kaiser et Weaver la recherche a montrée l’utilité d’incorporer certains idiomes afin de créer des outils de dépistage ou de diagnostic en maladie mentale ou pour adapter des outils existants. Ils font aussi part des travaux de Lewis-Fernandez et Kirmayer qui expriment l’importance de la prise en compte de ces concepts culturels de détresse pour identifier les objectifs d’une prise en charge, améliorer l’observance, promouvoir une thérapeutique ou encore s’accorder avec le patient sur les effets attendus de cette prise en charge. C’est dans ce sens que va la pratique du Dr Bonnel pour qui on doit prendre en compte tout l’appareil culturel de la personne, « si on soigne contre les croyances, les mœurs ou les habitus d’une personne, on soigne forcément mal ». Il prend l’exemple de la présence du monde invisible dans de nombreuses autres sociétés que le monde occidental, comme la présence des esprits. Pour lui si en tant qu’occidental, on reste rationnels et cartésiens il y a le risque de passer à côté de leviers thérapeutiques et même de passer à côté de la causalité d’une maladie. En son sens la religion, est également un levier thérapeutique important, il cite Tobie Nathan, un psychologue très investi dans le champ de l’ethnopsychiatrie, qui dit que la prière est le premier médicament au monde. Il pense qu’il est «important de savoir si les gens croient en un dieu, s’ils pratiquent une religion, de quelle religion il s’agit et comment est-ce qu’ils la pratiquent». Ainsi d’après le Dr Bonnel dans la religion musulmane les personnes qui sont troublées psychiquement n’arrivent pas à faire leur prière, Cela demande un effort, une concentration, une mémorisation que les personnes troublées psychiquement ne parviennent pas à réaliser.

Un suivi du migrant en état de détresse psychologique difficile en médecine générale ?

Teunissen E et al ont réalisé en 2015 aux Pays-Bas une étude qualitative auprès de médecins généralistes pour trouver des causes au manque de prise en charge des pathologies mentales du migrant en médecine générale.
Plusieurs éléments ont été mis en avant : Un manque de reconnaissance du médecin généraliste pour la prise en charge des problèmes de santé mentale. Un délai plus important pour faire part de leurs troubles mentaux. Un manque de suivi régulier. La somatisation des troubles mentaux. La présence d’un grand nombre de problèmes somatiques et sociaux en plus des troubles psychiatriques entrainant une augmentation de la durée de consultation. Les barrières linguistiques et culturelles. Le manque de possibilités thérapeutiques. La considération par le médecin qu’il s’agit d’une réaction normale à une situation anormale.
La prise en charge était très fluctuante selon les médecins, certains prescrivaient très peu de psychotropes en raison du risque de perte de vue quand d’autres en prescrivaient plus se sentant dépourvus de possibilités thérapeutiques. Très peu adressaient le migrant à un spécialiste car une prise en charge y était rarement effectuée et certains avaient des doutes sur la possibilité du migrant à y accéder.
Les solutions mises en avant comprenaient la tentative de mettre en place un suivi, éviter le nomadisme médical, établir une relation de confiance ou encore adresser le patient vers l’assistante sociale, des infirmières psychiatriques ou d’autres référents nécessaires.

D’une meilleure prise en charge vers une meilleure intégration dans la société ?

L’étude de Olff & al met en avant le dysfonctionnement des fonctions exécutives chez les patients atteints d’ESPT (Etat de Stress Post Traumatique). Une altération du fonctionnement psychosocial est aussi mise en évidence par Momartin & al en cas d’ESPT mais également de dépression sur une population plus spécifique de réfugiés bosniens. C’est sur la base de ces études que M. Schick & al ont étudié la relation entre intégration sociale et santé mentale. Leurs résultats montrent que les difficultés d’intégration sont fortement corrélées avec les symptômes d’ESPT et dépression. Cependant cette étude a été conduite sur de très faibles effectifs, mais l’étude longitudinale réalisée par Beiser M et Hou F en 2001 en Afrique du sud sur une population de réfugiés va dans le même sens et montre que les facteurs socio-économiques défavorables permettent de prédire la dépression jusqu’à 10 ans après réinstallation.
Pour Bogic & al, si le statut socio-économique est clairement corrélé à la dépression, il joue très peu de rôle sur l’ESPT dont l’étiologie semble dominée par la répétition d’évènements traumatiques. J. Das-Munshi & al dans une méta-analyse en 201262 font un lien entre pathologies mentales et perte du statut socio-économique prémigratoire, mais émettent l’hypothèse en s’appuyant sur l’étude de C. Muntaner & al que ce lien peut être causal (perte du statut socio-économique comme facteur de risque de maladies mentales) mais également que les pathologies mentales peuvent engendrer une «sélection» et entraîner un glissement vers un statut socio-économique plus défavorable. Cependant L’étude de J. R. Warren en 2009 incluant 5290 américains à partir d’une base de données créée de manière longitudinale permet clairement d’exclure l’hypothèse de sélection et de mettre en avant le lien causal du statut socio-économique sur la santé générale et la dépression. A noter cependant que cette étude ne porte pas sur les migrants.
Il est donc clair que c’est d’une meilleure prise en charge sociale que découlera une diminution de la prévalence de certaines pathologies mentales chez le migrant mettant en lumière la nécessité avant tout d’une volonté politique d’intégration avant de se concentrer sur un soin purement psychiatrique des patients.

Table des matières

INTRODUCTION 
Matériel et méthodes
Prévalence de l’état de stress post-traumatique, dépression et anxiété chez les migrants
Quelle méthodologie pour mieux évaluer la prévalence ? 
Facteurs de risques
Les risques sont-ils les mêmes chez le réfugié et le migrant volontaire ?
Méthodes de dépistage des troubles mentaux à destination des populations réfugiées
Quels outils diagnostiques sont les plus pertinents pour les populations réfugiées ?
Quel outil utiliser en routine en médecine générale ?
Les concepts occidentaux de maladie mentale sont-ils valides à travers les cultures ?
DSM et Culture « s », des cultural bound syndromes aux concepts culturels de détresse
Quelles applications pratiques des concepts culturels de détresse ?
Et plus précisément, l’état de stress post-traumatique à travers les cultures ?
Et la dépression à travers les cultures ?
Quelle prise en charge du migrant ?
Un suivi du migrant en état de détresse psychologique difficile en médecine générale ?
D’une meilleure prise en charge vers une meilleure intégration dans la société ?
Quel dispositif pour l’accueil des migrants en France ?
Accès aux soins
Quels systèmes pour une couverture médicale en France ?
Une possibilité d’accès aux droits à la couverture maladie en tant qu’étranger malade ?
Des dispositifs pour faciliter l’accès aux soins en France ?
Interprétariat 
CONCLUSION
Bibliographie
Annexes

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