La vérité à l’authenticité vecteur d’auto-positionnement et conquête d’un lieu habitable

La vérité à l’authenticité vecteur d’auto-positionnement et conquête d’un lieu
habitable

Se concentrer sur le positionnement des auteurs en exil nous confronte à une problématique complexe qui est celle de la différence entre une identité comprise sous les critères de la validité et de la vérité et celle comprise sous les critères d’authenticité. Notre objet n’est pas de régler la question de l’identité personnelle et du maintien identitaire, bien plus il s’agit d’indiquer notre orientation conceptuelle afin d’éclairer la lecture que nous faisons de ces récits de l’exil. La première acception de l’identité rejoint le point de vue duquel les auteurs que nous étudions tentent de se défaire : celle de l’identité décrite par P. Ricœur comme mêmeté, c’est-à-dire l’identité d’un sujet s’affirme par le maintien de caractères identifiables tout au long d’une vie. Cette identité repose sur des critères tels que la date de naissance, le lieu, la taille, etc. Cette identité semble devoir exprimer sous l’angle du témoignage véritatif, c’est-à-dire par une exclusion de la subjectivité pour rendre compte de soi en fonction de critères objectifs et computables. De la sorte l’écriture de soi devrait pouvoir être validée par une correspondance exacte entre les propos discursifs et les correspondances de soi que l’on trouve dans le monde « réel ». Or, comme nous l’avons vu au travers de l’exploration du cas d’Anna Langfus, pour devenir communicable le récit de soi ne doit pas forcément répondre au critère de vérité, mais être configuré sous un critère d’authenticité soutenu par celui de vraisemblance afin de devenir, au travers d’un récit engageant du « soi », la vérité du sujet scritptif. Ainsi, il faut dépasser le cadre d’analyse qui ferait des récits de l’expérience exilique des confessions ayant pour objet de livrer un témoignage cohérent. Il faut préférer y voir une « présentation de soi » au sein d’un nouvel espace communicationnel. Cependant cette déviation, quant au critère de vérité, ne doit pas être perçue comme une perte, mais comme un enrichissement de ces récits. Comme le remarque Dominique Wolton, le XXe siècle a trop souvent conduit à faire de l’information, le seul critère de jugement des discours, contrairement à la communication qui, elle, a souvent été caractérisée comme une exposition aux mensonges. Aujourd’hui, c’est plutôt l’information qui s’impose, accentuant l’idée d’une communication « automatique ». Demain c’est la problématique de la la vérité à l’authenticité vecteur d’auto-positionnement et conquête d’un lieu habitable. 236 communication, c’est-à-dire des conditions d’acceptabilité et de négociation, par les récepteurs, des informations reçues de toute part, qui deviendra le défi essentiel. L’information est devenue abondante, la communication rare. Produire de l’information, en échanger ou y accéder ne suffit plus à communiquer.Le mouvement communicationnel du récit de soi exprimé par les auteurs constitue cet élan des récits à se tourner vers autrui pour se définir. Aussi, si le récit du « eux » agit comme une « commémoration négative », il ne le fait pas dans une optique de restitution du passé, mais dans le but de marquer l’orientation du sujet dans le présent. Cette mémoire qui s’inscrit dans le présent permet à l’auteur de définir le lieu à partir duquel il souhaite énoncer son œuvre. Ce changement de finalité du récit de soi entraîne une modification de l’orientation de celui-ci : si le premier tourné vers le passé, le second consiste en une orientation dans le présent et le futur de l’énonciation. Ce récit mémoriel agit comme une légitimation de la prise de parole des auteurs, bien qu’autocentré, ce discours est également l’occasion pour les auteurs de construire une scène de communication. En effet, les lecteurs-cibles ne sont pas absents de ces discours, mais c’est par l’invocation de l’imaginaire discursif de la Nation française que les auteurs dépeignent leur arrivée en France. Ce rapport à soi marqué par une relation d’authenticité se tisse dans une relation avec un autrui, identifié et choisi par l’auteur lui-même. Si l’interpellation joue un rôle dans le récit de soi, nous refusons d’y voir une persécution, nous préférons y voir un engagement dans une trame éthique particulière. Ce renversement d’une force extérieure ayant le pouvoir sur le sujet à la liberté de celui-ci pour se définir, nous le voyons notamment se produire dans le récit de l’exil qui d’un départ subi, se fait choix de l’exil au travers de la configuration narrative. L’exil change alors de sens et devient un engagement discursif et éthique. L’exil est alors vécu comme une expérience qui permet à l’écrivain d’opérer un mouvement réflexif sur lui-même, il est fait seuil d’une nouvelle vie. La configuration littéraire permet de stabiliser une définition de ce « je » hésitant » 750 qui se définit dans son authenticité

Décrire sa France : donner les cadres de saisie de son  énonciation

Notre parcours au sein de la littérature exilique des francophones choisis d’Europe médiane, nous a permis de mettre en avant plusieurs facteurs : refus du témoignage et volonté de décrire leur exil comme relevant d’un mouvement choisi et non subi, permettant de stabiliser un ethos se fondant sur l’intrigue de la liberté. L’ensemble de ces caractéristiques nous a conduits à faire émerger le hiatus entre les lecteurs français de cette littérature et la volonté des auteurs : puisque les premiers lisent celle-ci du fait d’un intérêt dénotatif et les auteurs refusent d’être reçus prioritairement en fonction de critères testimoniaux. Nous avons alors démontré que c’est au travers du récit de l’exil que se construit une scénographie772 singulière de l’écrivain exilique d’Europe médiane : l’auteur se positionnant à l’encontre d’un « eux » quitté en vue de rejoindre un territoire du « nous » représenté par la société française. Le récit avant que d’être dénotatif devient alors un discours de positionnement dans l’espace français et appuie une volonté de se présenter au public selon un ethos singulier. Le mouvement initial de notre thèse a pour volonté de se démarquer d’une recherche de la correspondance entre récit fictif et vérité historique, pour comprendre ces récits comme ceux où émerge la singularité de leur pratique scriptive. Cependant, cet ethos court toujours le risque de ne pas être reconnu dans l’espace français s’il n’est pas inscrit dans un espace relationnel. En effet, la singularité qui émane de leur positionnement dans le champ littéraire français, tout en étant un des critères permettant de susciter l’intérêt du lecteur, est également un risque communicationnel. De ce fait, le discours exilique ne peut s’échapper d’un horizon incommunicable puisque situé entre une singularité irréductible et une mythographie qui se transforme en stéréotypes773 . À l’image du rappel que fait Tzetan Todorov à propos de la communication historique774, le parcours de l’exilé est pris entre deux dangers : d’un côté, la mythification des évènements empêche ceux-ci de valoir comme des expériences singulières, n’étant plus alors que des manifestations d’un évènement plus large775 ; de l’autre, les évènements sont pris dans une singularité irréductible et, dès lors, s’ils sont lus, ce n’est que selon une perspective se penchant sur l’exotisme de ceux-ci, et ne sont pas pris au sérieux. Le travail de Jean-Marie Schaeffer sur la fiction et l’acte de lecture introduit l’idée d’un nécessaire travail de la part des auteurs afin qu’ils puissent inviter les lecteurs à s’immerger dans les fictions qu’ils proposent. 

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