Le détournement de pouvoir 

Le détournement de pouvoir 

Le contrôle du détourne~ent de pouvoir (I) 

  1. Détinitions. – TI. Mise en muvre du contrôle du détoul’llement de 

pouvoir. – III. Le controle du détournement de pouvoil’ est-i1 un 

controle de la légalité ? 

  1. – Lorsqu’il s’était bien pénétré de l’iêfée que l’acte  administratif ne pouvait trouver sa véritable raison d’ être

(1) V. outre les auteurs ciLés au texte, A. EnREN, Théorie du détournement de pouDoir, thêse Lyon, 1901. V. AUnHY, Etude sur la jurisprudence du Conseil d’Elal cn malitlre de délournemenl de poulJoir, lhese 

CONTRÔLE DU DÉTOlRNEMENT DE POUVOIR PAR LE CONSEIL D’ÉTAT 

que dans le but légitime poursuivi par l’agent public, le  conseiI d’Etat admit sans peÍlie le recours pour détournenlent de pouvoir, c’est-à-dire le recours pour exces de pouvoir dirigé contre toute décision exécutoire pour le motif  qu’elle tendrait à un but autre que celui qui aurait da être régulierement poursuivi. C’est, comme le remarque tres bien M. Duguii (I), « par la jurisprudence si intéressante du « Conseil d’Etat SUl’ le détournement de pouvoir », que la théorie du but dans l’aete juridique « prend un relief, « une précision et une étendue d’application qu’elle est « bien loin d’avoir dans la doetrine et la jurisprudenee du « droit privé ». Nous anms déjà indiqué pIus haut que l’idée du détournement de pouvoir s’es! définitivement affirmée vers 186(r. Certains auteurs, et non de~ moindres, affirment que cette théorie avait déjà trouvé des applications intéressantes bieu avant cette date. M. Artur, notamment, dans son étude intitulée Séparation des pouvoirs ct séparalion des fonctions (Rev. dr. p., 1903, lI, p. 463 et s.), soutient qu’elle avait été appl,iquée des le début par le Conseil d’Etat. A l’appui de son affirmation, il ,cite de nombreux arrets intervenus bien avant 1860. Nous ne croyons pas que ce point de yue, puissevraiment se· justifier . Si l’0n peut admettre· avec Laferriere Copo cit., t. lI, 

  1. 549) qu’à l’époque même ou iI !je renfermait dans la pIus stricte application de la loi des 7-14 octobre 1790, le juge .administratif « a plus d’une fois annulé pour incompétence « -,- et en réaJité pour détournement de pouvoir – des actes « dont le dispositif semblait irréprochable », il convient cependant de remarquer que les arrêts généralement cités dans cet ordre d’idées peuvent à peu ‘pres tous se ramener à des cas d’application du contrôle contentieux de la violation des dispositions formelles de la 10i, parce qu’ils réprimaient, avant tout, de. véritables usurpations de pouvoir … de l’autorité administrative SUl’ I’autorité judiciaire. II reste, en tous C&S, que l’idée mêll1e du détournell1ent de pouvoir ne s’est l’éellement aff~rll1ée qu’apres r860. Le juge administratif se reconnait donc le droit de contrôler et de censureI » spécialement les buts déterll1inant l’ activité administrative. II nc suffira plus, pour la régularité de l’acte, que celui-cí ait été accoll1pli selon les prescríptions formellcs de la loi, que I’agcnt administratif, en prenant lIne décision, se soit tenu dans les limites strictes de sa compétence légale, qu’il se soit exactement conformé aux formalités adminístratives; il faut, de plus, que son acte ait eu pour but le bien du service. Celui qui commet un détournement de pouvoir, dit Laferriere (op. cit., t.H, p. 548), « prend, sous une fausse « apparence de légalité, des décisions qu’il ne Iui appartient « pas de prendre et qui sont ainsi entachées d’une sorte « d’incoll1pétence, sinon par Ies prescriptions qu’elles édictent, du moins par Ie but qu’elles poursuivent » (I). La formule de M. Hauriou (op. cit., lI » éd., p. 419), reproduisant à peu de choses pres celle que nous verrons pIus tard adoptée par la jurísprudence, est la suivante : « Le détournell1ent de pouvoir est Ie fait d’une autorité « administrative qui, tout en aecomplissant un aete de ;,a « eompétence, tout en observant les formes preserites, tout « en ne eommettant aueune vioIation formelle de la loi, « use de son pouvoir pour des motifs autres que eellX en vue 
  1. 548), a été run des premiers à accréditer l’expression de détournement ue pouvoir, déclare que « le détournement de pouvoir est le fait « d’un agent administratif qui, tout en faisant un acte de sa compé-« tence et en sllivant les formes prescrites par la législailon, use de « son poulJOir discrétionnaire pour des cas et pour des motifs autres « que ceux en vue desquels ce pouvoir lui a été attribué « . Cette définition est assez défectueuse, notamment, en ce qu’elle comprend également sous la désignation « àétournement de pouvoir » Ies décisions prises par l’administration pour des cas autres que ceux en vue dcsquels le pouvoir discrétionnaire a été reconnu à l’autorité administrative, alors que, comme le fait tres bien remarquer M. MICHOUD (Ann. Gren. 1914, p. 29, n. (2)), l’expression « pour des cas autres )) se rapporte plutôt· à la violation de la loi.

CONTRÔLE DU DÉTOURNEMENT DE POUVOIR PAR LE CONSElL D’ÉTAT 

« desquels ce pouvoir lui a été conféré, c’cst-à-dire autres « que la sauvegarde de l’intérêt général et le bien du service. Nous préférerions remplacer dans cette formule le mot « motifs )l par celui de « buts )l, parce ‘que ce ne sont pas tant les motifs, lesquels intéressent plutôt le conteniJ. mcme de l’acte, que lcs buts déterminant l’intervention des agents publics, qui constituent le critérium propre du détournement de pouvoir. Remarquons, du reste, qiI’en cas de pluralité de buts poursuivis par I’administrateur, c’est en principe toujOUl’S le but déterminant principal dont il est spécialemcnt tenn compte ·par le juge de l’exces de pouvoir pour }’appréciation de la régularité ele ) ‘arte attaqué (I). Par ailleurs, dans certains cas, le Conseil d’Etat a refusé d’annuler, parce qu’il.n’était pas établi que l’administration ait eu pour but unique de satisfaire à des intérêts contraires aux regles de Ia bonne administration (2). La tendance du juge est, du reste, caractérisée par une tres grande prudence dans I’application de ce contrôle. [;. – Dans les cas de détournement de pouvoir, Ia question qui se pose au juge est donc de savoir quels sont Jcs huts précis qui auraient dd être poursuivis par I’agent administratif dont l’ade est atlaqué. 

II convient de remarquer, à cet égard, que Ies buts spéciaux correspondant à chaque fonction exercée par I’agent pubIic peuvent encore assez facilement être déterminés par I’idée même se trouvant à la base de chaque droit attribué par Ia loi à la puissance publique. Mais les difficultés commencent lorsqu’il s’agit de trouver les moyens pratiques qui peuvent conduire, d’une façon certaine, à la découverie du but réelIement poursuivi par I’auteur d’un acte administratif. 11 ne faut pas se dissimuleI’ qu’à l’époque ou I ‘idée de I ‘inviolabHité absolue des prérogatives de la puis-sance publique étaÜ encoretres forte,le ConseU d’Etat dut éprouver maintes hésitàtions à trancher dans le vif pour entre r franchement dans la voie de la répression du détournement de põuyoir dans tous les cas quipouvaient se présenter à soncxarllen. Les regles déterminant le sens et les modalités de son eontrôle n’ont donc pu se dégager que Ientement.

L’ application concrete des regles imposant à l’ autorité .adminislrative Ie respect de certains buts adminis.tratifs déterminés par l’idée même de I’institution peut donner lieu à des complications sérieuses. C’est que, sous ce rapport, naus ne naus trouvons plus sur Ie terrain f~rmc dn fand du droit autorisant des déductions précises et permanentes, mais dans un domaine essentiellement mouvant dans lequel les applications diverses des principes une fois ‘posés ne peuvent généralemcnt avoir que la valeur, toute relative, de directives (r). II ne faudra clonc pas s’étanner outre mcsure si, dans ccs canJitians, les déeisions jurisprudentielles ne semblent pas touJours se !ier dans une cohésion absolument parfaite. Les résultats n’ en sont pas moins tres instructifs, cal’ ils naus font entrevoir les possibilités variées contenues dans le principe fécond du détournement de pouvoir. 

Les arrêts du Conseil d ‘Etat que nous étudierons 

par la suite naus apparaltront non seulement comme une  conséeration de Ia regle générale et élémentaire qui s’ appose  que les agents publics prennent des décisions exécutoires dans des fins sortant du domaine rpropre des buts administratifs, mais encore com me des applications d’un précepte important de notre droit administratif qui joue un rôle primordial dans notre matiere et qu’on a appelé Ia r(~gle de la spécialité des· fonctions. Cette regle de discipline, destinée à assurer efficacement le développement ordonné de l’action administrative, prescrit aux agents publies de se tenir, dans l’exercice de leurs attributions, strictement dans les limites de la fonction particulière exercée par eux, par exemple : de ne pas faire usage d’Ull pouvoir de police dans un but étranger à celle-ci, même si, en général, la poursuite d’un tel but ne se trouve pas absolumellJ en dehors de& attributions légales de l’ agen t. Caril faut bien se pénétrer de l’idée qu’en droit public chaque fonction a son but propre qui, sous aucun prétexte, ue saurait être méconnu. M. Hauriou dit tres bien, dans umt note au Recueil Sirey (S. II .3.33), que « l’exercice de « chaque pouvoir administratif est étroitement renferrné « dans la poursuite de Son but propre et ne saurait être « employé à d’ autres buts même administratifs ». C’ est <tinsi, notamment, que l’exercice du pouvoir de police ne peut jamais servir à sauvegarder les intérêts pécuniaires de la collectivité. C’ est ]à une regle qui est souvcnt violée et qui a donné au Consei} d’Etat I’occasion de fouruir des solutions particum~rement intéressantes.Le détournement de pouvoir constitue-t-iI une illégalité proprement dite? Est-il permis de dire que, dans les solutions que nous aIlons étudier, le Consei! d’Etat se soit borné à appliquer la loi (2)? 

Nous avons déjà attiré l’attention SUl’ le fai! que le détournement .de pouvoir est l’ expression IÇl plus caractéristique de cc que nous appelons le contrôle contentieux de la moralité adminisll’ative. Le détournement de pouvoil’, dit M. Alibert (op. cit., p. 237), « consiste, somme toute, « beaucoup moins dans une illégalité ouvertement COffi- « mise, que dans l’incorrection du but ef des intentions « chez l’auteur de l’acte». « Ce contrôle du but et des in- {( tentions vabeaucoup plus loin que le pur contrôle de la « légalité » (Jean Devaux, note D. 28.3.34). « L’ouverture {( du détournement de pouvoir, dit d’autre part M. Hau- « riou, ne se confond pas avec ceIle de la violation de la loi. « La loi nepeut jamais lier entierement le pouvoir discré- (1) Cons. d’Et. 2 juin 1905 de Crozals: « Considérant que I’apprécia- « tion des motifs, alors qu’ils ne constituent pas un détournement de « pouvoir, n’esl pas susceptible d’être soumise au Consei! d’Etat sta- « tuant au contentiellx ».nous savons déjà que la grande majorité des auteurs I’efusent de voiI’ dans le contrôle juridictionnel du détournement de pouvoir autr~ chose qu’un contrôle contentieux de Ia légalité proprement .dite. M. Artur, notamment, voit dans les cas de détournement de pouvoir des cas d’atteinte directe à la loi (I). M. Michoud repousse absolument I’idée de la moralité administrative (2); il insiste SUl’ le fait que le détournement de pouvoir est une véritable violation de la loi, tout en s’élevant contre les exagérations de M. Artur et en se montrant disposé à distinguer oe vice de I’acte de la violation ordinaire de la loi (3). La ferriere, sans assimileI’ le détournement de pouvoir à la vioJation de Ia loi de fond, déclare, cependant, qu’i! s’agit iei d’une illégalité proprement dite. Beaucoup d’auteurs modernes, tels que M. Bonnard (4), se rallient également à la doctrine qui voit dans le vice du but de I ‘acte une atteinte à la loi elle-même. Sans doute, iI n’est pas précisément faux d’affirmer que le législateur, en accordant des pouvoirs discrétionnaires à I’ administration, a, par là même, sous-entendu que celle-ci ne devrait en useI’ que pour atteindre des fins déterminées.

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